mardi 22 novembre 2022

AVANT L’AVENT..

Tes pas vont et viennent
Sur le terre comme au ciel
Tes pas dansent ou chancellent
Selon que tu chantes ou pleures
Accueille le rythme des tes pas
Qui te rappelle que tu es vivant
Laisse-les t’inviter au repos
Qui te rappelle que tu es humain
Ne repousse pas ton humble Seigneur
Quand il veut en prendre soin
Et fais de même pour celles et ceux
Dont les pas croiseront ton chemin

 
Illustration: détail d’une mosaïque de Rupnik

Parce que NOUS LE VERRONS TEL QU’IL EST (1 Jn 3,2)

Un soir, à l’écoute de la LIGNE DE CŒUR (RTS, la première), un auditeur s’interrogeait sur l’éternité et la vie après la mort. Il parlait de notre imaginaire sur le sujet et demandait des réponses à ses questions, je communiquait la mienne ainsi:

« Une réponse possible à Jean-Pierre?
Celle de ma foi en la résurrection : elle ne me fait rien imaginer car je pense que c’est impossible, mais elle est une conviction profonde : là où le Christ a été dans sa mort, je vais être. Et là où il est vivant aujourd’hui, je serai aussi.
« Je suis la résurrection et la vie - a dit le Christ - Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela? » (Une citation de l’Évangile selon Jean, chapitre 11). Pour moi, oui, je le crois.
 
Bien à vous
Éric »
 
 
Illustration: triptyque de la Résurrection du Christ, par le peintre Arcabas (Dans La Chapelle St-Clement, à Colley-Bossy - Genève)

jeudi 10 novembre 2022

Humble et libre... Ecouter.

Car, si notre accompagnement a ses règles (et dans le monde carcéral, ce mot a un poids très particulier!), notre écoute se veut libre, comme une "oreille nue" (selon l'expression de Maurice Bellet1). 

Mais si elle est sans jugement ou volonté excessive, notre écoute n'en est pas moins sans intention : elle est "vivante et sensible"... 

Et si la confiance qui nous lie à la personne détenue n'est pas "aveugle" (je n'aime guère l'expression d'ailleurs...), elle rejoint ce que je vis dans la foi: une confiance qui ne repose pas sur des preuves uniquement perceptibles à la vue, mais sur un discernement, une perception spirituelle - et parfois instinctive - qui nous ouvre à un lien authentique avec l'existence d'autrui pour en découvrir le meilleur.

Ainsi, l’ignorance que j'ai sur les raisons qui ont conduit une personne détenue en ces murs n'est pas un handicap... au contraire, elle est le gage d'une écoute première, humble et spontanée, aussi économe en moyens qu'elle sera fructueuse en effets.

A une personne détenue s’interrogeant sur ce qu’elle pouvait me dire au cours de nos entretiens, je résumais : 

« Vous pouvez tout me dire, mais je n’ai pas besoin de tout savoir pour vous accompagner ici... »

J'écrivais, dans un article, paru dans l'ouvrage réalisé pour les 40 ans de la prison de Champ-Dollon, à Genève:  

"C'est un aspect important de mon activité d'aumônier que celui de l'écoute. Simple et complexe à la fois, l'écoute, c'est n'avoir ni volontarisme ni jugement. Il y a en amont de la disponibilité de l'écoutant, un travail important d'allègement, un émondage, pour parvenir à une écoute réelle. Il s'agit d'abandonner un certain nombre de savoirs et de vouloirs pour être là, à l'écoute. A l'écoute de la vie, de la mort, de la peur, de la colère et autant de réalités humaines présentes en prison, et que je rencontre avec beaucoup d'humilité. Car j'ai appris qu'une écoute qui sais n'entend plus."

L’essentiel de l’écoute n’est pas d'abord dans la sécurité des mots ni des savoirs techniques.

Et la confiance mutuelle ne se négocie pas comme un achat …


Illustration: le songe de Joseph, Arcabas.

C'était il y a deux ans: les Diachroniques étaient lancées... (Et depuis, plus de 7000 lectures - Merci!)

Les Diachroniques se veulent de courts articles de réflexion et de témoignage inspirés par mon activité d'accompagnant spirituel auprès des personnes en situation de vulnérabilité. 

Partant de "Dia" - en grec "au travers", pour faire ensuite un petit détour par le mot "diaconie" (engagement spécifique à mon service diaconal) et parvenir enfin à "chronique" dont un des sens peut être, selon le Robert: le récit d'événements réels ou imaginaires qui suit l'ordre du temps. Mais encore, dans un sens plus technique, diachronique signifie "Qui concerne l'appréhension d'un fait ou d'un ensemble de faits dans son évolution à travers le temps." 

C'est ici un premier article, et j'ai souhaité lui donner pour "dédicace" un extrait de Maurice Zundel (dans "Vie, mort et résurrection), dont le sens de l'humanité du Christ, et de sa compassion, nous a offert des pages d'une spiritualité profonde et authentique. Dont acte:

"La dignité de l'humain.
 
... Pour celui qui n'a pas senti cette valeur dans l'humain, qui ne s'est pas incliné devant ce secret inexprimable, pour celui qui n'a pas senti un jour dans l'innocence d'un enfant un monde infini, Dieu ne sera jamais qu'une idole. 
 
Les institutions, les rites, les prières, tout cela ne sera qu'une formidable imposture ou une immense illusion, si l'humain n'a pas été reconnu comme tel. Il y a là, une base commune où tous les humains peuvent se joindre, sur laquelle tous peuvent construire, et qui est l'univers de l’Évangile : J'ai eu faim, j'ai eu soif, j'étais en prison, j'étais infirme, j'étais nu et c'était moi en chacun, avec chacun, à travers chacun. 
 
Il n'y a pas d'autres Dieu dans la pensée de Jésus Christ que ce Dieu-là, intérieur à l'humain piétiné, méconnu et méprisé, à l'enfant persécuté, martyrisé et désarmé, à la petite fille dont parle Dostoïevski, qui bat et frappe en vain à la porte des cabinets où elle est enfermée dans le jardin de Moscou en hiver parce qu'elle a mouillé son lit. Elle appelle, elle implore, et personne ne répond. Et pourtant, Dieu entend et crie à travers le gémissement de cet enfant. Dieu nous appelle parce que qu’il a pu naître dans cette dignité fragile et désarmée. C'est là qu'il a pu naître, et c'est là que l'humain apparaît dans ses possibilités inépuisables. 
 
Cet enfant ... porte en lui tout l'espoir, tout l'avenir du royaume de Dieu."
 

Illustration: Le bon samaritain. Vitrail de Cantalupo Thierry. IVR24_20113600633NUC2A communication libre, reproduction soumise à autorisation

dimanche 16 octobre 2022

Jésus, le bon berger...

« En vérité… Je suis le bon berger. » L’image du berger qui conduit et protège le troupeau avait été appliquée entre autres, dans l’A.T., à Dieu. Nous l’avons lu dans Ez 34, très clairement : « Je serai le berger de mon troupeau, je le mettrai à l'abri, c'est moi, le Seigneur Dieu, qui l'affirme ». Mais aujourd’hui : Quelle image avons-nous d’un berger ?

Lorsque l’on vit dans une ville, il est possible de ne plus savoir ce que cela représente. Et quand on vit dans une prison ?... Mais on peut se rappeler deux choses : le berger est continuellement avec ses brebis et il en prend soin attentivement.

Courte prédication offerte aux détenu.e.s des prisons à Genève. Texte d’Evangile : Jésus le bon berger (Jean 10)


Jésus, le bon berger ? Dans toutes les professions, il y a de bons et de moins bons ouvriers. De bons et de moins bons pasteurs. De bons est de moins bons gardiens. De bons et de moins bons avocats, soignants, etc.


Ces quelques exemples nous rappellent l’importance pour vous et pour moi d’avoir à faire à de bons professionnels. Mais quelles que soient nos capacités, nous avons tous des limites à la qualité de notre travail !


Alors Jésus, bon berger ? Oui, en ce sens qu’il est là, parmi les humains, proche d’eux, et que ses soins, son amour, ira jusqu’au bout. Jusqu’à la mort même. Ce que le mauvais berger, le mercenaire, ne fera pas. (v.12). Son intérêt est pour lui d’abord. S’il y a du danger… il renonce, il abandonne ses brebis. Mais pas Jésus, son amour est allé jusqu’au bout.


Jésus n’a pas seulement donné sa vie… mais il nous DONNE la vie ! Jésus ne nous donne pas seulement la vie par sa mort, mais aussi par sa vie sur terre : ses paroles et ses actes dans les Evangiles. Et encore par sa vie actuelle, le Christ est ressuscité, il est vivant, et il a des paroles et les actes qu’il accompli chaque jour dans notre vie, ici et maintenant.


« Et moi, je leur donne la vie éternelle ; elles ne périront jamais et personne ne pourra les arracher de ma main. » Quelle sécurité ! Jésus peut nous entourer de sa présence, nous assurer une protection parfaite, parce qu’il partage la puissance du Père. « Mon Père qui me les a données est plus grand que tout, et nul n’a le pouvoir d’arracher quelque chose de la main du Père. »


Il y a des ressources sans fin et sûres pour chacun de nous dans notre lien avec Jésus ; elles sont assurées par le lien de Jésus avec le Père, particulier, unique : Moi et le Père, nous sommes uns.


Pour conclure, une petite histoire à ce sujet. Elle décrit à sa manière cette force qui nous vient de notre communion avec le Christ en Dieu : « Un père regarde son petit garçon qui cherche à déplacer un vase de fleurs très lourd. L’enfant se fatigue, souffle, grogne… mais ne réussit pas à bouger le vase d’un seul centimètre.


As-tu vraiment utilisé toutes tes forces ? lui demande le père. Oui, répond l’enfant. Non, répond le père, car tu n’as pas encore demandé mon aide ! Et le père déplace, avec l’enfant, le lourd vase de fleurs !




jeudi 8 septembre 2022

D'humain à humain... En toute liberté!

(Extrait d'un article sur mon travail) : 

... La spécificité du rôle d’aumônier dans les prisons, ce suivi sur deux ou trois ans qui n’existe pas dans les autres ministères, il le redoutait un peu. Qu’allaient-ils bien pouvoir se dire ? Une appréhension bien vite dissipée. « La durée nourrit ce qui se dit. Une sorte de fidélité mutuelle se crée. Il y a une vraie force, de la beauté et de la profondeur dans ces moments que nous partageons. Ma position est intéressante puisque je n’attends rien des détenus. Je suis libre de leur tendre une « oreille nue ». Je n'ai aucun lien direct avec ce qui leur est reproché », explique Eric Imseng.

Dans son travail d’aumônier en prison, il rencontre le mystère humain, ce dont il est capable, le pire comme le meilleur. Il se consacre à la personne, pas à ce qui l’a conduit entre ces murs. « Chacun reste un être humain même si ce qu’il a fait est inhumain. Il faut aller au-delà de cela. » Il écoute avec empathie les détenus, qu’ils croient en Dieu ou pas.

Ce chemin vers la reconstruction, avec des êtres privés de liberté mais pas de vie, ils le parcourent ensemble. « La vie est la même que dehors, sauf qu’elle est circonscrite. Elle doit demeurer au-delà des faits. Certains n’osent plus après les actes pour lesquels ils ont été condamnés. Il faut alors les remettre en route. Sinon, le projet carcéral n’a aucune chance. J’amène aux détenus quelque chose de dehors ; eux m’en apprennent beaucoup sur la vie », précise l’aumônier. Il voit beaucoup de détresse et autant de courage.

Certains mots le marquent plus que d’autres, tels le « je me sens humain avec vous », à la fois heureux et terrible à entendre.


La véritable humanité du Christ, par Albrecht Durer.

samedi 27 août 2022

« Voulez-vous un café ? Servez-vous en biscuits ! » (Une republication de l'été)

(Je publiais un article de "La Vie Protestante" sur mon activité d'accompagnement spirituel dans les prisons - 22 janvier 2021)

L’entrée en matière amicale d’Eric Imseng est toujours très appréciée des détenus. "Ils me disent combien cet accueil est important pour eux."

La plupart sont cantonnés 23 heures par jour dans une cellule à plusieurs places. La surpopulation carcérale complique tout et allonge les délais. Une vingtaine de prisonniers figurent sur la liste d’attente pour voir un aumônier.

Les plus assidus, Eric Imseng les rencontre une fois par semaine, durant quelques semaines, et parfois deux, trois, voire même quatre ans! Une durée spécifique aux accompagnements des aumôniers de prison à Genève. 

"J'ai l'habitude de dire que ce sont eux les « patrons »" de ce qui se vit durant ces entretiens: "Je n’ai pas d’attente envers eux, j'offre juste une "oreille nue" pour les entendre. C’est un espace privilégié de rencontre, car nous sommes en tête-à-tête. Leur parole est libre".  

Cela peut paraître simple... Mais c'est justement cela qui fait la richesse de ce qui est partagé. "Ils peuvent être eux-mêmes et nous plaisantons parfois ensemble. C’est un des rares endroits où ils n’ont rien à justifier". Dans ce lieu clos qu’est la prison, beaucoup traversent des périodes d’anxiété et de détresse. Y arriver est stressant, tout comme en partir.

L’aumônier rencontre entre 70 et 80 détenus par année, de toutes les religions de toutes les confessions - et de toutes les convictions! Il propose une écoute, une assistance et un accompagnement spirituel, le tout avec empathie: "Je les accompagne tout au long de leur cheminement en les acceptant tels qu’ils sont et au stade où ils en sont. Nous explorons ce qu’ils vivent et comment ils gèrent leur quotidien. Nous parlons aussi de ce qui s’est passé et je les aide à envisager l’avenir hors de la prison."

Eric Imseng ne parle religion que si cela vient d’eux, avec une préférence pour les psaumes et le Nouveau Testament. Leur entretien se termine alors par une prière. Parfois, ce cheminement peut aboutir à leur procurer une Bible: "Sa lecture est une source de stimulation pour réfléchir sur soi et se projeter. Elle ouvre des perspectives. Mais je leur propose également des ouvrages de développement personnel par exemple, selon les questions ou difficultés qu'ils rencontrent. il y n'a a pas d'intention prosélyte dans notre action." 

Notre Charte de l'Aumônerie œcuménique des Prisons précise en une ligne notre engagement: "Offrir une présence humaine, un accueil et un accompagnement en milieu carcéral, dans un esprit d'ouverture aux diverses confessions, religions et convictions."



vendredi 19 août 2022

Quand Jésus relève un salaud en le faisant descendre de sa cachette...

En méditant ce texte, j ’ai pensé donner ce titre à cet épisode : Quand Jésus relève un salaud en le faisant descendre de sa cachette. Ce titre en un peu cru, c’est vrai, mais il a l’avantage de nous rappeler clairement ce que l’on pouvait penser de Zachée au temps de Jésus !

Courte prédication offerte aux détenu.e.s des prisons à Genève. Evangile du jour : Luc 19,1-10 (Jésus rencontre Zachée)


Zachée est le genre de personne que l’on accusait (avec raison d’ailleurs) de profiter de leur travail pour s’enrichir malhonnêtement. De plus, il collaborait avec l’occupant romain (en lui versant l’impôt dû à César) et, pour couronner le tout, il était un « mauvais pratiquant » de la loi de Moïse ! Comme on dit : « On ne peut pas faire mieux en mal ! » Et inutile de préciser que Zachée était détesté de la population.


Mais Jésus montre, dans les Evangiles, une ouverture à rencontrer de genre de personne, ceci au mépris de la règle des rabbins de s’abstenir de tout lien avec eux. Jésus, non seulement les rencontre, mais il mange avec eux. Or, « manger avec des pêcheurs », c’est être en communion avec des gens jugés impurs, et de fait, devenir impur soi-même ! Cette ouverture de Jésus lui vaudra le reproche d’être « l’ami des gens de mauvaise vie, l’ami des pécheurs. » ! (Lc 7,34)


C’est peut-être cette réputation qui a fait l’intérêt de Zachée pour Jésus ? Ou bien, était-ce la gêne de s’intéresser publiquement à Jésus ? Ou encore, voulait-il « voir sans être vu » en venant se cacher dans ce sycomore ? Mais cela ne marche pas : il est repéré ! Dans le fond, on ne peut pas s’intéresser à Jésus sans conséquences. S’intéresser à Jésus, c’est provoquer le sens profond de sa mission. Il l’affirme clairement dans l’Evangile de Jean : « Tous ceux que le Père me donne viendront à moi, et celui qui vient à moi, je ne le rejetterai pas… » (Jn 6, 37-38).


L’accueil de Jésus produit un scandale pour la foule en même temps qu’un bouleversement profond chez Zachée. Jésus lui adresse un « Il me faut aujourd’hui demeurer dans ta maison » (5). Pas seulement prendre un pot dans un bistrot… Non : « demeurer dans ta maison » !


Le Christ vient dans la demeure de Zachée comme il vient dans son être intime et profond. Il le fait descendre de sa cachette, il le fait quitter sa honte, il l’appelle à venir au grand jour, à quitter cette vie où il dérobe la richesse des autres pour cesser de se dérober à la vraie richesse qui est à lui ! Jésus débusque ce pécheur caché, Jésus parle à cet homme rejeté par tous, Jésus passe outre tous les reproches légitimes que l’on pourrait lui faire pour entrer chez lui !


Et la réaction de Zachée ne se fait pas attendre :  il descend de son arbre « tout joyeux » (6), comme s’il attendait que cela ! Comme si on lui offrait enfin une porte de sortie !


On ignore tout de qui s’est passé et dit dans la maison de Zachée… Mais on connait le changement : le don que Zachée fait aux pauvres et, plus encore, la réparation des torts fait aux autres, et bien au-delà de ce que la loi exigeait ! Zachée est touché par la grâce et il fait grâce… Son pardon lui ouvre les portes de la bonté, de la générosité. Il ne dérobe plus pour lui-même, il donne de lui-même. Il ne vit plus pour lui-même, il vit de la vie du Christ !


Et cela rejoint les derniers mots de Jésus dans cet épisode : « Aujourd’hui le salut est entré dans cette maison (…) En effet, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » (9-10) La clé de cet accueil qui fait tant « murmurer » les bien-pensants est là, et Jésus le dira tout aussi clairement dans un épisode similaire de l’Evangile de Marc,: « Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades ; je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs. » (Mc 2,17).


Jésus n'appelle pas bien ce qui est mal, mais il affirme ce que le bon sens devrait nous rappeler : comment un malade pourrait-il guérir s’il ne voit pas un médecin ? Comment sauver ce qui était perdu sans aller à sa recherche ? Comment un salaud pourrait-il abandonner le mal qu’il fait sans être rencontré dans la vérité de l’amour ?




vendredi 12 août 2022

Le prix de la grâce (Une republication de l'été)

(le 28 août 2021)

Le prix de la grâce est le titre d’un livre de Dietrich Bonhoeffer, le fameux théologien et pasteur de l'Eglise confessante d’Allemagne, pendant le régime hitlérien, dans les années 30.Dans son livre, il revendique la grâce comme étant coûteuse ! Il appelle à une réflexion renouvelée sur le Christ et la vie de disciple, car il s’agit de prendre conscience des exigences de la grâce divine, alors que l’Eglise allemande lutte contre sa mise au pas par le régime nazi.

Dès les premières lignes, il affirme avec vigueur : La grâce à bon marché est l’ennemie mortelle de notre Eglise. Actuellement, dans notre combat, il en va de la grâce qui coûte. La grâce à bon marché, c’est la grâce considérée comme une marchandise à brader… une grâce sans aucun prix, sans aucun coût !

Courte prédication offerte aux détenu.e.s des prisons de Genève. Lecture de l'Evangile: Luc 7,36-50 (la femme au parfum).

Et la grâce à laquelle nous assistons dans l’Evangile de Luc est bien de celles qui coutent ! Au cours d’un repas chez un chef religieux, une scène surprenante : l’irruption d’une femme, dite pécheresse, que personnes ne souhaite voir ici ; de plus, elle prodigue sur Jésus des gestes inopportuns, un peu érotiques même… et elle verse beaucoup de larmes et répand tout autant de parfum ! Remplissant la demeure de Simon le Pharisien, de parfum et de gêne… Mais, plus déconcertant encore, il y a l’attitude de ce prophète de Nazareth, qui ne la repousse pas ni ne condamne ses gestes !

Et alors que le chef religieux qui l’accueille est en train de douter de sa crédibilité, Jésus propose un récit. Mais il ne raconte pas simplement une histoire pour calmer les gens, il donne à cette situation surprenante un sens qui est une bonne nouvelle, celle du Royaume de Dieu ! Mais son récit, sa parabole, va dire aussi combien elle en coûte pour être accueillie !

Il y a deux débiteurs, dont l’un doit 500 pièces d’argents (18 mois de salaire de l’époque !) et l’autre dix fois moins. On annule leur dette à chacun, car aucun d’eux ne peux payer. Et Jésus questionne : entre celui qui doit beaucoup d’argent et celui qui en doit peu, lequel sera le plus reconnaissant ? Celui à qui l’abandon de sa dette aura… le plus coûté !

Mais pour que les comptes soient bons, il faut… que le regard change. Et Jésus interpelle : Tu vois cette femme ? Pas seulement, la vois-tu, mais regarde-là profondément ! Laisse ses gestes parler à ton cœur, à ta compassion… cesse d’enfermer cette femme dans une catégorie qui t’enferme toi aussi dans la peur et l’aveuglement… Cesse de juger sans savoir, sans aimer !

Aimer est un mot important de ce récit : Celui à qui l’on pardonne peu, aime peu. La mesure de l’amour semble liée à la quantité de pardon accordé… et reçu mais, nous le voyant par l'exemple de cette femme, cette grâce est accordée pour remplir de reconnaissance et non de honte !

Ses gestes, jugés scandaleux, sont l’expression de sa gratitude et de son amour ! Et s’ils paraissent excessifs, c’est que le pardon accordé l’est également ! Et faut-il rappeler le prix qu’il coûtera à celui qui va le lui accorde ?

Et le dernier coût de cette grâce est dans l’affirmation de Jésus …tes péchés sont pardonnés. Jésus est bien plus qu’un prophète, ignorant les règles de pureté religieuse, il affirme ici son autorité de Fils : Le Fils de l’Homme a le pouvoir de pardonner les péchés. (Mt 9,6)

Puis, il ajoute : Va en paix. Ta foi t’a sauvée… et cette parole de Jésus dit encore le prix de la grâce, car la voilà désormais libre et responsable de reprendre le cours de sa vie… en personne graciée par le Christ.

Dietrich Bonhoeffer écrivait encore : La grâce coûte cher, parce qu’il faut porter le joug d’une marche à la suite de Jésus Christ, mais c’est encore une grâce, car il ne faut pas oublier cette parole de Jésus : Mon joug est doux et mon fardeau léger. (Mt 11,30)

Allons en paix… notre foi nous a sauvé !



samedi 6 août 2022

Mon bonheur à moi, c'est d'être auprès de toi (Ps 73,28)

… et ne nous conduis pas dans la tentation, mais délivre-nous du mal (13). Ces mots, nous les diront tout à l’heure, dans la prière du Notre Père. Ce sont des mots un peu étranges : « ne nous conduit pas dans la tentation »… ou troublants : « délivre-nous du mal. » ?

Et tout d’abord : « Ne nous conduis pas dans la tentation. » Les traductions qui hésitent entre la tentation et l’épreuve. Il y a une peut-être aussi une difficulté à faire la différence entre tentation et mise à l’épreuve ?

Et je me demande : Si la tentation est mauvaise, pourquoi Dieu nous y conduirait-il ? Et si l’épreuve est bonne, pourquoi demander à Dieu de nous l’éviter ? (Echanges avec les détenu.e.s)

Prenons un peu de distances avec ces mots et relire ce que la Bible nous en dit.

La mise à l’épreuve est une difficulté à traverser, dont la foi en sortira renforcée.

Par exemple Abraham. En Gn 22,1-19, nous lisons : Après ces choses, Dieu mit Abraham à l'épreuve, et lui dit: Abraham! Et il répondit: Me voici!

Et quelle épreuve, car ce texte introduit un récit ou Dieu semble demander à Abraham de lui sacrifier son unique fils… La mise à l’épreuve d’Abraham ? Être prêt à renoncer à ce qu’il a de plus précieux si Dieu le lui demande ? Peut-être, mais Abraham n’a pas perdu son fils dans la mort, et cette mise à l’épreuve lui a permis de le retrouver dans une relation où la confiance en Dieu est complète.

La tentation, elle, dans l’Evangile de Matthieu est systématiquement, diabolique, et là, il ne s’agit pas de faire grandir la foi, mais de la faire échouer, d’exploiter l’épreuve pour détourner l’humain de Dieu, son créateur.

Dans l’Evangile, il y a un texte important à ce sujet que l’on nomme « la tentation de Jésus dans le désert ». (Le début du récit en Matthieu 4 commence avec ces mots surprenants) : 1Alors Jésus fut conduit par l’Esprit au désert, pour être tenté par le diable. (Puis il poursuit avec l’épreuve) : 2Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il finit par avoir faim. (Et voici la tentation) : 3Le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » (Tentation qui va échouer) : 4Mais (Jésus) répliqua : « Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu. »

Si Jésus avait accepté de démontrer qu’il est Fils de Dieu en changeant des pierres en pain, il perdait son humanité dépendante de Dieu qu’il est venu nous offrir. Il n’aurait plus été « l’Emmanuel, Dieu avec nous », mais par un extraordinaire numéro de magie – qui nous aurait épater peut-être – il aurait perdu le but de la venue du Christ parmi les hommes : « Ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu. »

Et je me demande : Qu’est-ce qui fait la différence entre l’épreuve et la tentation ? (Echanges avec les détenu.e.s)

Le commentateur Pierre Bonnard rappelle que cette demande exprime « … c’est Dieu qui conduit son peuple ; plus exactement qui l’introduit là où il doit passer. La seule question qui se pose est celle-ci : va-t-il maintenant le faire entrer ? »

Je pense que l’intention fait la différence : faire grandir ou faire tomber ? Dieu peut éprouver son peuple et, au cœur de la tentation, lui faire connaître sa puissance et sa grâce, mais Dieu demeure le maitre de la tentation et du Tentateur (Jb 1,1ss ; Mt 4,1-11 ; 1 Co 10,13).

Et je me demande : Quand nous prions cette demande est-ce parce que l’on craint que Dieu nous tende un piège ? (Echanges avec les détenu.e.s)

Il y a une réponse très claire à cette question dans Jc 1,13 : « Que nul, quand il est tenté, ne dise : « Ma tentation vient de Dieu. » Car Dieu ne peut être tenté de faire le mal et ne tente personne. »

Dans notre chemin de foi, nous ne sommes pas des enfants gâtés… Il suffit d’avoir été père – ou mère – pendant quelques minutes pour savoir le mal que nous ferions à nos enfants en leur épargnant toute difficulté.

Le théologien protestant, Antoine Nouis, écrivait : céder à « la tentation de demander à Dieu de nous épargner toute tentation, ce serait en faire un Dieu en guimauve dont le royaume ne serait fait de coton et de sucre d’orge… » Si lui adressons cette demande, c’est par humilité, car nous reconnaissons la fragilité de notre humanité, ce que rappelle d’ailleurs un Psaume : il sait bien de quelle pâte nous sommes faits, il se souvient que nous sommes poussière. (103, 14)

En tout cas, il y a quelque chose ou quelqu’un dont on ne veut pas clairement ! Le mauvais, le Malin ! Le mot ponèros dans l’Evangile de Matthieu : « peut désigner soit ce qui est mauvais, défectueux, méchant (5,11 ; 6,23 ; 20,15 ; etc.), soit un homme violent ou méchant (5,39.45 ; 22,10 ; 7,11 ; etc.), soit le Diable (5,37 ; 13,19.38).

Et là c’est clair, il n’y a pas de bien dans le mal ! En prononçant cette demande, nous voulons être arrachés à la puissance diabolique qui agresse le monde et l’Eglise ! Et nous affirmons que nous ne sommes pas le jouet d’un combat entre le bien et le mal…et notre foi en Dieu.



mardi 2 août 2022

Entre 4 murs. Entre 4 yeux. Un accompagnement spirituel. (3 - Republication de l'été)

Ainsi, la visite est la promesse d’une rencontre. Elle peut être courte, prolongée, émouvante, éprouvante, surprenante, apparemment banale, enrichissante… ou manquée ! 

 

Elle est très organisée dans les prisons et plus spontanée dans le hôpitaux.Elle va dépendre de la situation personnelle de la personne visitée : ses préoccupations du moments, l’état de santé, l’organisation des soins, la situation pénale, ou la condition carcérale, ou encore leurs répercussions sur ses liens avec les proches, etc… Autant de réalités qui vont favoriser ou gêner la rencontre.

 

Et puis, bien sûr, il y a la liberté d’accepter de me recevoir ou non, ou m’ignorer… ou faire semblant de m’ignorer. Je pense à ces personne qui font mine d’éviter l’aumônier, mais dont le regard et le langage du corps disent: Essayez quand même ! Et combien de rencontres éminemment spirituelles ai-je eu avec des « ...pas intéressés par la religion » ?

 

Avec sa dynamique propre, une rencontre, en somme, peut se définir par trois verbes. le premier, OSER. Oser entrer dans la chambre d’une personne mourante et s’approcher, oser rester, oser toucher et être touché. Oser se mettre à l’écoute d’une personne condamnée par tous, rejetée par ses proches. Oser poser un regard qui accueillera son humanité profonde, oser  vivre avec elle la quête d’une réconciliation intérieure, sans banaliser le délit commis, mais sans l’amplifier à l’extrême non plus.

 

Puis, DOSER. Doser sa posture : se tenir proche ou à quel endroit ? Doser ses gestes : une main qui se posera ou pas sur la sienne ? Et si oui, à quel moment et de quelle manière ? Doser sa parole :  parler ou renoncer à parler ? Avec quelle force ou quel ton ? Et enfin doser sa présence : quand se retirer, à quel signe de fatigue ou d’apaisement – ou d’agacement ? Après quelle durée, selon un temps qui n’est pas réglementé – mais discerner ?

 

Et enfin, Se retirer. Ce sera ma conclusion. L’aumônier, l’écoutant, doit savoir s’éclipser, voire être oublié, et y consentir ! Il peut aussi accueillir le fait d’être reconnu, entendre la reconnaissance exprimée pour son soutien, et ne pas s’enorgueillir !

 

Un exemple dans les prisons. Lors de leur libération, les détenus me promettent parfois que nous nous reverrons une fois libérés. C’est rarement possible, du fait de leur renvoi de Suisse la plupart du temps, mais j’accueille l’invitation. Et je précise que, si une fois sorti, il renonçait à ce projet, je ne serai pas vexé ni déçu. Car je n’ignore pas que, malgré que je suis un souvenir positif de ce temps passé en prison, je leur rappelle tout de même… la prison ! Alors, une fois sorti, y « revenir » (même indirectement autour d’un café) ce n’est pas toujours possible pour eux. Et je le comprends ! Je veille ainsi à prévenir toute culpabilité inutile s’ils venaient à manquer à leur parole.

 

Le philosophe Martin Buber a écrit : « Toute vie véritable est rencontre ». Cette citation dit, en quelques mots, sa pensée que l’humain ne peut exister qu’en vivant en lien avec ses semblables.

 

Mon privilège est de me tenir au cœur de cette réalité. Et d’en apprécier les douceurs, comme les âpretés…

 


 

mardi 26 juillet 2022

Entre 4 murs. Entre 4 yeux. Un accompagnement spirituel (2 - Republication de l'été)

Voilà pour la structure de mon temps, mais il y aussi une intention à mes visites. On m’a suggéré, pour un article dans la presse, de choisir un texte de la Bible qui caractérise mon engagement. Il se trouve dans l’Évangile de Matthieu, au chapitre 9. Je pense, en particulier, à cette parole de Jésus : « Aller donc apprendre ce que signifie : c’est la miséricorde que je veux et non les sacrifices ! »

 

Ce texte m’accompagne depuis le début de mon ministère dans les prisons. Jésus mange dans la maison d’un nommé Levi, un collecteur d’impôts : un être considéré comme malhonnête et impur, indigne d’une telle visite ! Et pourtant, aux religieux qui s’en offusque, Jésus les renvoie à cette leçon : Aller donc apprendre ce que cela veut dire « aimer de compassion, ne pas juger, passer outre les objections, accueillir les vulnérabilités de la personne humaine. Et lui dire un amour qui ne l’a pas attendue pour s’offrir à elle ! »

 

Pour moi, Jésus invite dans cette parole à préférer l’insécurité de l’amour inconditionnelle à la sureté artificielle de nos « sacrifices » : de bonnes actions qui n’intéressent que nous, une bonne conscience qui nous rend insensible à la souffrance d’autrui, l’assurance trompeuse d’être un plus méritant parce que… etc.

 

« Apprendre la miséricorde » ? On peut bien se moquer de ces religieux, mais saurait-on mieux ce que cela signifie « la miséricorde » et plus encore : « la miséricorde que Dieu veut » ?

 

« Miséricorde ». Pour le vocabulaire, on a parlé de compassion, d’empathie, d’attention… et bien sûr, d’un bouleversement ! Mais, au-delà du vocabulaire, je choisis de rester à l’école de l’amour du Christ, à savoir ne pas se soustraire à la rencontre de l’humain en souffrance, être disponible pour accompagner les mouvements de son être intérieur et d’en être instruit plutôt que de tout savoir, d’en être enrichit souvent, en offrant un amour qui se donne sans attendre de retour sur investissement…

 

Je m’interroge aussi souvent si, de nous deux (le visitant et le visité), je ne suis pas le plus redevable des deux ? Mais dans la pratique de l’accompagnement spirituel : qu’est-ce que cela implique de se tenir en face d’une personne détenue ? Qu’est-ce que cela bouleverse de se tenir près d’une personne qui est en train de mourir ?

 

Des leçons de vie assurément ! Et pas uniquement théoriques, car la vie que j’accompagne ne saurait se rencontrer sans quelques émotions utiles à une rencontre véritable. Des émotions qui ne sont pas de l’émotivité, qui nous ferait manquer les fruits authentique d’une attention généreuse à autrui, car je suis engagé, auprès du souffrant, à vivre des émotions qui me porte sans qu’elle me déporte…

 

Apprendre c’est donc plus que d’acquérir des postures et des gestes techniques (même s’ils sont tout à fait utiles et nécessaires)… Apprendre, dans le fond, c’est tout simplement : Ne pas savoir… Je me rappelle cette expression de Lytta Basset, qui parlait du « non-savoir » de l’aumônier : une entrée en matière aussi simple que redoutable. Mais cette sobriété fera justement la fécondité de la rencontre ! J’ai noté dans un article : « Qu’une écoute qui sait n’entend plus ! »

 

J’aimerais dire encore que ce « non-savoir » est une espèce de « pauvreté », que je ne fuis pas, mais, au contraire, que je cultive : « Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des Cieux est à eux. » (Mt 5,3). Je me laisse porter par la « pauvreté en esprit » des béatitudes : elle est ma sagesse, ma capacité, parce qu’elle est une pauvreté qui m’ouvre toute grande les portes du Royaume des Cieux ! Et pour le disciple du Christ que je désir être, avoir le Royaume des Cieux, ce n’est pas toucher un lot de consolation, mais c’est obtenir toute la plénitude de Dieu !

 

(La suite est dans la parution suivante). Entre 4 murs. Entre 4 yeux. Un accompagnement spirituel (3)

 


Le Royaume des cieux, c'est comme un trésor...

Le Royaume des cieux, c’est comme un TRÉSOR. Le mot a retenu mon attention, car il apparaît deux fois dans ce passage. Tout d’abord, le trés...