dimanche 6 juillet 2025

"Lueurs au creux de l'ombre"© Un livre à paraître...

Le 9 novembre 2020, j’ai créé le blog intitulé Les Diachroniques, avec son premier article : La dignité de l'humain.

Ce blog a accompagné mon engagement en tant qu’aumônier dans les prisons – mais aussi dans les hôpitaux pendant 5 ans. Il a été le porteur de mes réflexions et de mon expérience d’écoute et d’accompagnement spirituel auprès de personnes en situation de privation de liberté… Cela peut paraître évident dans les prisons mais, à leur manière, les personnes hospitalisées peuvent en partager la difficulté. J’en parlerai sans doute dans un prochain article,

Aujourd’hui à la retraite, Les Diachroniques pourraient prendre une nouvelle tournure…

En effet, après deux ans de travail, un livre sur mon expérience d’aumônier dans les prisons va être publié prochainement. La photo qui accompagne ce premier article en dira déjà beaucoup. Mais, en quelques mots, après avoir envoyé mon manuscrit « Lueurs au creux de l’ombre » à quelques éditeurs, j’ai reçu, début avril de cette année, le message suivant :

Bonjour Monsieur, je suis ravie de vous informer que votre manuscrit a passé la première étape de sélection, et qu’il se trouve maintenant entre les mains du comité de lecture pour une étude approfondie. S’il est accepté, je vous ferai parvenir une proposition de collaboration en vue d’intégrer notre Collection Authentique.

Et puis, une semaine plus tard, la conclusion réjouissante :  « Votre manuscrit est accepté » !

Bonjour Monsieur, j’ai le plaisir de vous annoncer que notre comité de lecture vient de rendre une décision positive au sujet de votre manuscrit ! 

Nous en sommes aujourd’hui dans la phase dite de réalisation du livre, à savoir les relectures, les corrections, les contenus pour accompagner le livre, la maquette pour la couverture, etc. Inutile de préciser qu'il y a encore beaucoup de travail d’ici sa parution, envisagée en octobre 2025.

J’ai pensé, avec l'encouragement de mon éditeur, que le suivi de cette expérience d’édition, qui vient tout droit de l’expérience qui vit naître Les Diachroniques, pourrait donner un nouveau souffle à ce blog.

Dont acte… Et désormais, en priorité (mais pas exclusivement) je publierai des partages et réflexions sur ce parcours d’édition.

Lorsque vous lirez dans ce blog : « Lueurs au creux de l’ombre » avec une adjonction à ce titre, cela signifiera que l’article traite de ce projet d’édition. 

Sinon, les autres articles paraîtront comme à l’accoutumée.

À très bientôt donc. Et « diachroniquement » vôtre.


Photo: Eric Imseng

dimanche 29 juin 2025

Qui est mon prochain ? Ou un homme descendait de Jérusalem à Jéricho...

C’est à une petite révolution sur ce qu’aimer son prochain veux dire que nous invite le texte de ce jour. Qui est mon prochain ? Autrement à qui dois-je mon aide ? Une courte histoire de Jésus va nous conduire vers un de qui suis-je le prochain ? Autrement dit de qui je suis proche, au-delà de l’appartenance, malgré les apparences, et pour plus que ce qui est convenu,

Mais auparavant, il y a un préambule, dans la question d’un légiste, un docteur de la Loi, posée à Jésus : « Maître, que dois-je faire pour recevoir en partage la vie éternelle ? » (Lc 10,25)

Prédication offerte à l’assemblée paroissiale réunie dans le Temple de Lutry. Textes du jour : Esaïe 52, 7-10 ; Colossiens 2, 1-7 ; Luc 10, 25-37 (la parabole du bon Samaritain).

Sa question, en réalité, n’est ni banale ni vaniteuse, elle est au cœur de la quête de tout croyant Juif qui se respecte. Mais n’est-elle pas aussi la nôtre? Que faisons-nous pour l’avenir de notre existence spirituelle ? De quel pain venu du ciel nourrissons-nous notre âme ?

La vie éternelle, ne serait-ce qu’une vie d’ici-bas qui ne prendrait jamais fin, comme le laissait entendre Woody Allen : « L’éternité, c’est long. Surtout à la fin ! » ? Mais la vie éternelle est autre chose qu’un temps infini, et s’il fallait le dire en quelques mots, ce serait que la vie éternelle, est une vie accomplie en Dieu.

Mais la vie éternelle, reconnaissons-le, est un mystère… qui n’est pas qu’une opacité frustrante. Il est source d’une extraordinaire richesse, comme nous l’avons lu dans la lettre de Paul aux Colossiens, un  « mystère de Dieu, qui est une vie dans le Christ, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance… La vie éternelle, contrairement à la savoureuse blague de Woody Allen, est une vie où l’on ne s’ennuie pas !

Et bien que le texte parle d’une mise à l’épreuve, c’est une vraie question que pose le légiste à Jésus. J’aime à penser qu’il cherche à savoir  « ce que ce Jésus de Nazareth a dans le ventre »… Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne sera pas déçu ! Poser une question à Jésus, c’est toujours possible, mais il faudra être prêt à ce que sa réponse surprenne ou implique un changement important !

Nous avons sans doute vécu un jour la perplexité, voire la déception, dans laquelle une parole de Jésus nous a plongé ! Nous avons sans doute vécu un jour cette hésitation à nous engager là où il nous invite à le suivre… Un peu plus haut, quelqu’un s’est écrié : « Je te suivrai partout où tu iras. » La réponse de Jésus a été franche en lui disant clairement combien le suivre serait parfois inconfortable (9,57-58)

Thomas d’Asembourg a écrit : « Être heureux, ce n’est pas nécessairement confortable. ». Et c’est valable pour les disciples du Christ aussi…

C’est peut-être une de ces insatisfactions qui a poussé notre légiste à faire un pas de plus. La réponse était juste, l’envoi était clair : « Tu as bien répondu. Fais cela et tu auras la vie. » … la vie, la vie, oui, mais… quelle vie et pour qui ?

Une fois encore la justice que ce docteur de la loi veut montrer n’est pas forcément la quête de bons points… En effet, il semble être rester sur sa faim et son « qui est mon prochain ? » est d’ailleurs une question « étrange » pour un juif pieux d’alors et c’est peut-être un des signes de l’ouverture de ce docteur de la loi qui ne se satisfait pas de l’évidence. Et la petite histoire de Jésus lui donnera, à lui comme à nous, un horizon nouveau.

Le « prochain », avant la parabole de Jésus, c’est très simple :  ce sont les concitoyens de mon peuple, les membres de ma congrégation religieuse. Ils sont comme moi, pense comme moi, pratique comme moi… Pas d’hésitation, pas d’interrogation, pas de surprise… Or, de surprise, il y en aura bien une, et elle commence ainsi : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho…

On peut être gêné par l’attitude des deux premiers qui « passe à bonne distance ». Mais l’un, comme l’autre, sont liés au service du Temple et à ses obligations. En quelque sorte, ils préservent leur boulot… Aussi, y a-t-il peut-être dans ce récit comme une dénonciation de ce Temple qui prive de compassion les gens meurtris pas la vie… On pourrait je pense résumer l’intention de cette parabole en une phrase, que l’on peut lire dans un passage de l’Evangile selon Matthieu : « … Allez donc apprendre ce que signifie : C’est la miséricorde que je veux, non le sacrifice. » (Mt 9,13 ; Os 6,6)

Et Jésus enfonce le clou : c’est un Samaritain, un réprouvé, un ennemi de la vraie foi, un croyant méprisé d’Israël et qui en général le lui rend bien… qui va s’arrêter « ému de compassion » (33). Et pas seulement ému, il s’engage concrètement dans les soins et le rétablissement de cet homme. Celui qui devait FAIRE preuve de mépris pour ce juif meurtri au bord du chemin… a FAIT preuve de bonté envers lui. »

En le choisissant et en lui accordant tous ces gestes, Jésus fait déraper toute l’histoire ! On ne s’en rend peut-être plus vraiment compte, mais, pour qui l’écoutait, cela devait devenir inaudible ! Une question nous ramènera sans à notre quotidien : Où sommes-nous dans cette histoire ? Qui est pour nous celle ou celui dont nous préférerions passer au loin ? Qui est aujourd’hui notre samaritain ? Qui est pour nous l’ennemi dont nous prendrons soin ? Comment la réponse de ce docteur de la Loi vient-elle bousculer NOTRE justice ?

Je pense aux mots de Martin Luther King : « L'obscurité ne peut pas chasser l'obscurité ; seule la lumière le peut. La haine ne peut pas chasser la haine ; seul l'amour le peut. »

Jésus lui dit : « Va et, toi aussi, fais de même. »

Un tel retournement a sans doute été rendu possible par cette courte histoire, bien mieux que par un long discours. On l’a bien entendu. Qui est mon prochain est devenu qui a été le prochain ! Jésus inverse la question comme il renverse les rôles.

Le prochain est devenu toute personne humaine, l’un ou l’une d’entre nous, qui s’approche d’autrui avec tolérance et compassion, même quand autrui est étranger ou indésirable... Mais pour cela il faut se faire proche en humanité et distant envers les classifications, les déshumanisations, les malédictions de notre monde moderne auxquelles certains espèrent nous voir adhérer !

Hannah Arendt écrivait : « La mort de l'empathie humaine est l'un des premiers signes et le plus révélateur d'une culture sur le point de sombrer dans la barbarie. »

Que Dieu nous en garde ! Amen





dimanche 25 mai 2025

Jésus, que ma joie demeure...

Ai-je encore faim ? Suis-je rassasié ? Je me souviens d’un petit exercice pour répondre à la question. Il s’agissait d’un tableau aidant à observer notre faim et notre satiété. Il comportait une échelle allant de je n’ai pas faim jusqu’à je suis affamé ! Et de même pour la satiété : de j’ai trop peu mangé, en passant par j’ai assez mangé, jusqu’à j’ai beaucoup trop mangé !

Et le but de cet exercice ? Apprendre à être à l’écoute de notre faim réelle plutôt que de nos envies, reconnaître quand on est rassasié ou que l’on peut encore manger. Cet apprentissage n’est pas inutile dans un environnement où l’on nous propose de la nourriture à chaque coin de rue et où l’on pourrait manger toutes les dix minutes !

Prédication offerte à l’assemblée paroissiale de Forel. Textes bibliques du jour : Esaïe 55, 1 Jean 4, Evangile selon Jean, 16, 16 à 24.

Un tel exercice sur la réalité de nos besoins physiques n’est pas sans intérêt non plus quant à nos besoins spirituels. À l’écoute du texte d’Esaïe, nous sommes invités à manger des mets savoureux, à étancher notre soif… sans en payer le prix, c’est offert !

Connaître ses besoins, c’est d’autant plus nécessaire que l’offre du Seigneur est très généreuse. Elle n’a rien à voir avec une publicité mensongère – A quoi bon dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas . C’est une offre sans arrière-pensée, une offre de qualité, savoureuse, désintéressée – sans argent,  sans paiement du vin et du lait.

On va se régaler, bien sûr… mais comme pour la santé de nos aliments physiques, on peut passer à côté de la santé de nos aliments spirituels, travailler pour ce qui ne rassasie pas ! Et la clé d’Esaïe, comme dans notre échelle de faim et satiété, la clé est dans l’écoute de nos besoins réels en Dieu – Ecoutez donc… venez vers moi, écoutez et vous vivrez. (2-3)

Et l’invitation a son importance. Plutarque l’écrivait à sa manière : Le commencement de bien vivre, c’est de bien écouter.

Ecouter nos besoins réels ? Fort bien, mais est-ce si facile d’avoir une bonne écoute ?

Et il y a une difficulté supplémentaire. C’est que les bienfaits de David, que l’on peut interpréter, à la lumière des Evangiles, comme les bienfaits du Royaume des cieux, nous sont accordés généreusement, on peut même dire : avec une générosité déraisonnable… elle est sans limite !

Dans le « Royaume des cieux du Fils de David », la bonté du Père n’est pas donnée dans un de ces petits gobelets à rainures, que l’on utilise en cuisine, pour connaitre le contenu de la recette. Les dons du Christ n’ont pas de « mesurette » : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, à qui frappe, on ouvrira. » (Mt 7, 7-8)

Mais si l’on commettait une erreur ? Eh bien, tant pis – ou plutôt tant mieux ! Ce sera l’occasion de vivre les mots de la première lettre de Jean, que nous avons entendu tout à l’heure dans la prière d’humilité : il y a plus d’amour que de condamnation dans le cœur du Père ! (1 Jn 3,20)

Dieu plus grand que notre cœur qui nous accuse… comme cela préparait bien son cri du cœur : Le parfait amour jette dehors la peur ! (18) Vivre la bonne Nouvelle du Christ dans sa généreuse liberté ne doit pas nous remplir d’inquiétude, au contraire : la grâce de Dieu – et c’est dit sans ménagement – eh, bien, la grâce de Dieu la jette dehors, la peur !

Notre paix est d’avoir trouvé une bonne maison et d’y demeurer : Dieu demeure en nous, et nous en Dieu. (15) Qui ne désirerait pas habiter une jolie demeure ? Demeurer, le mot vient simplement de se tenir en sa maison, mais aussi de rester auprès de quelqu’un. En Christ, nous habitons une maison large et sûre. En Christ, nous habitons une demeure simple et lumineuse, chaleureuse et généreuse dans l’accueil de notre prochain. En Christ, notre avenir est serein parce qu’il y demeure avec nous.

Une maison sûre, un avenir serein… alors quoi : c’est la « Dolce Vita » ? Pas vraiment comme la quête infructueuse d’amour et de bonheur que le film de Fellini décrit, ni comme un « farniente », une douce paresse oisive…

En réalité, mieux que ça car, personne ne l’ignore, les jours peuvent être mauvais ! Dans l’Evangile de Jean que nous lisons, Jésus parle d’affliction, de deuil, mais aussi d’un « se revoir », d’un cœur qui va se réjouir, et d’une joie que rien ni personne ne pourra nous enlever !

C’est le dernier soir avant sa Passion, c’est le soir de tous les espoirs et de tous les dangers, c’est le soir des dernières paroles à ses disciples, c’est aussi le soir où Jésus provoque leur incompréhension. : « Qu'a-t-il voulu nous dire… nous ne comprenons pas ce qu'il veut dire ! » (17-18)

On pourrait regretter la perplexité des disciples, mais chercher le sens des paroles du Christ, ça devrait être une évidence et pas un étonnement : leur incompréhension n’est-elle d’ailleurs pas aussi la nôtre ? « Qu'a-t-il voulu nous dire ? » N’est-ce pas le meilleur commencement pour discerner le sens des paroles du Christ ? Ce sera toujours mieux que la trompeuse assurance qu’on a tout compris de lui !

Les disciples passeront de l’incompréhension à la foi, et nous avec eux. Désormais ils ne verront Jésus plus en vision, mais ils le verront en communion, et nous avec eux ! La joie de la Fête de la Pâque ne nous quitte jamais. Non : on ne plie pas le décor après la fête. Et oui : la joie du Christ demeure au-delà du calendrier liturgique une fois passé ! Et cette joie, nul ne nous la ravira. (22)



Photo: Eric Imseng


mercredi 14 mai 2025

L' avenir du pardon ?... suite et fin (3)

L'AVENIR DU PARDON... SUITE ET FIN (3)
(Conclusion de deux articles précédents sur la question de la justice pénale et du pardon).
Ainsi donc, la porte du pardon est ouverte, mais il y a un chemin à parcourir, une expérience à saisir pour en faire quelque chose envers celle ou celui qui nous aura blessé. Le pardon n’est ni règlementaire ni automatique…
Comme on l’a dit : « Dieu ne pardonnerait-il pas tout, car c’est son métier ? » Cette provocation dit combien la question du pardon peut-être superficiellement traitée. Avec de tels artifices, on offense... je pense, la valeur existentielle du pardon !
« Dieu peut-il vraiment tout pardonner ? », me demandait plus sérieusement une personne détenue. Après un cours temps de réflexion, je fus étonné – et le détenu avec moi sans doute – de ma réponse : « Non, je ne suis pas sûr que Dieu puisse TOUT pardonner. Mais ce dont je suis absolument certain, c’est que Dieu pardonne à TOUS!
Je reste aussi satisfait que perplexe de ma réponse, mais je la conserve pour la vérité qu’elle dit, à savoir que le pardon n’est pas qu’un fait, une décision que l’on prend ou pas, mais un chemin à parcourir dans un lien d’humanité !
Je cite ici Gislain Waterlot : « Demander pardon, accorder le pardon, c’est entrer dans la profondeur de l’humain, avec tout ce qu’il comporte de grandeur et de fragilité, de contradictions méconnues. Et peut-être que ni le coupable ni la (les) victime(s) ne souhaitent y entrer. La lucidité ferait courir trop de risque »
Cette citation dit la part d’ambivalence de la démarche du pardon : pas un « oui » d’office, pas un « non » d’emblée… Je pense même qu’elle offre la possibilité d’une abstention (que je préférerais au refus). Une manière de prendre notre responsabilité, de retenir le pardon dans un oui, mais de ne pas renoncer pour autant au pardon qui est à souhaiter, désirer. Il viendra sans doute, après un chemin, long, difficile, tortueux, mais il reste possible car, si on ne la franchit pas aujourd’hui… la porte reste ouverte !
Le pardon n’est pas une baguette magique qui transforme tout un instant par son acceptation. Le pardon n’est pas un coup de bâton non plus qui frappe de manière définitive par son refus. Quel que soit le temps qu’il faudra, les difficultés que l’on rencontrera, je pense que le pardon de Dieu ne nous dit pas tu dois, mais nous demande de dire oui et de se mettre en marche…
Une femme écrivaine a dit : le pardon n’est pas au bout du chemin, il est le chemin. Le chemin du pardon n’empêche pas la douleur de la blessure, la souffrance nécessaire qu’il faut pour la guérir. Le chemin du pardon ne nous empêche pas de faire face à notre responsabilité. Mais le chemin du pardon, nous ouvre un avenir.
Je conclue avec cette pensée que j’ai lue quelque part : « Lorsque tu pardonnes, tu ne changes pas le passé, mais tu changes ton avenir ».



La statue de justice - Berne

mercredi 7 mai 2025

Si la justice oublie, qu'en est-il du pardon...? (2)

Après la présentation de « l’oubli juridique » dans le premier volet de cet article, je reviens un peu en amont pour rejoindre l’espace-temps de la vie carcérale, dans lequel les personnes détenues vivent leur privation de liberté. C’est là que je les rencontre : eux, entre quatre murs, moi, entre quatre yeux.

Dans la pratique, la question du pardon est abordée parfois. Elle se formule ainsi : est-ce que peux être pardonné après ce que j’ai fait ? Est-il possible de demander pardon, de l’accepter s’il m’était accordé ? Une question qui a toute sa légitimité, et autant de complexité. Quand elle ose être posée… Car, ce n’est pas toujours aussi clair, reconnaissons-le.

La réponse à cette question m’a demandé un peu de réflexion, je l’avoue. Il fallait donner une réponse aussi authentique que respectueuse pour les personnes impliquées par cette question. Ce ne sont pas les mêmes implications si vous bousculez par mégarde une personne dans la rue… ce qui pourrait se résoudre ainsi : - « Oh pardon » - « Je vous en prie, il n’y a pas de mal… » Mais justement, quand il y a du mal, ce pardon est-il aussi facile à accorder ? Le réalisme – et la décence – plaident pour le non…

Et pourtant, j’ai pris la décision de choisir un chemin vers le oui, pour plusieurs raisons. La première est tout d’abord théologique. Jean Zumstein écrivait : « Que veut-on signifier lorsque l’on parle de pardon ? Cette thématique renvoie fondamentalement à la figure d’un Dieu qui, de façon inattendue, fait l’impasse sur un passé perdu (ou gâché), pour créer un avenir véritable, pour laisser une chance à la vie. La créativité du Dieu de l’Evangile est la créativité de l’amour qui fait toutes choses nouvelles. » 

Cette citation présente clairement le Dieu dont je suis témoin et les implications vers lesquelles elle me presse en tant que disciple du Christ. Jean Zumstein dit très bien encore la « surprise » du pardon dont les Evangiles parle abondamment, en particulier par l’attitude et les paroles de Jésus. 

Une des plus impressionnantes, selon moi, est la parabole du serviteur impitoyable ! (Mt 18,21-35). Au cœur de cette histoire, il y a cet homme menacé de la prison pour rembourser une dette énorme et que son créancier, un personnage important, ému de sa détresse, délivre en annulant sa dette ! Mais ce serviteur, à peine libéré, envoie un de ses collègues qui lui devait beaucoup moins d’argent, en prison, sans aucune compassion !

Il y a beaucoup à dire sur l’attitude de ce personnage important de la parabole qui « passe l’éponge » sur une énorme dette. Mais ce qu’il faut retenir ici est le reproche qui sera adressé à ce serviteur : « Tu as méprisé le don que je t’ai accordé ! » Il n’a rien appris de la valeur de ce geste. Et c’est sans doute la leçon principale de la parabole de Jésus : « Accorderas-tu à autrui la grâce qui t’a été faite ? »


Mais il ne faudrait pas jouer le Nouveau Testament contre l’Ancien sur ce sujet. Parmi les textes bibliques qui se dresseraient contre le refus d’un cheminement vers le pardon, il y déjà le livre des Psaumes, comme : « Si tu retiens les fautes, Seigneur, qui subsistera ? » (Psaume 130,3)


Je poursuivrai et conclurai cette réflexion dans un troisième article à suivre.




Statue de la fontaine de justice - Neuchâtel.

mardi 29 avril 2025

Dieu pardonne, la justice oublie… (1)

Le pardon: il suffit de le prononcer pour entendre l’ampleur qu’il occupe dans les relations humaines !

Le pardon impossible à donner, celui qu’il faut accorder. Le pardon impossible à recevoir, celui qu’il faut pourtant accueillir. Le pardon pour guérir, pour se libérer. Le pardon contraint par le respect de certains principes, une obligation de fait, le rendant aussi artificiel qu’inopérant !

 

Et puis bien sûr, le plus courant, le refus du pardon par crainte de justifier le mal commis ou de l’encourager. Et encore, les démarches sincères de pardon, mutuel ou solitaire, avec leurs méandres paisibles ou intenses, conduisant à des progrès, des régressions, voire des abandons…

 

Et, enfin, accompagnant chacun de ces trajets, des souffrances, des peurs, de luttes, des silences étouffants, mais aussi des guérisons, des libertés retrouvées. On pourrait se demander s’il ne faudrait pas parler DES pardons pour rendre justice à toutes ces situations et autant de cheminements ?

 

J’ai brossé ici, en quelques mots, ce que j’appellerai le pardon de « Madame et Monsieur tout le monde » que l’on pourrait nommer le pardon éthique. En particulier, le pardon de celles et ceux qui sont libres de leur mouvements et décisions, par oppositions à celles et ceux qui, privés de liberté, se tiennent au quotidien dans les murs de l’enceinte d’une prison.

 

Pour eux, la question du pardon est tout aussi complexe et vive… Car ces femmes et ces hommes dont je parle, ont vécu, avant leur incarcération, un parcours judiciaire qui va de l’enquête à la condamnation, en passant par le procès, et qui est très éprouvant ! Il ne s’agit pas de les plaindre – ils méritent mieux que ça – mais les citoyens que nous sommes ignorent souvent combien ce trajet « sous-main de justice » est déjà une peine qu'ils doivent affronter.

 

Dans ces lignes qui précèdent, nous réalisons combien le pardon éthique est prégnant dans toute situation de vie, de la plus anodine à la plus complexe. Cependant, au cours d’une de mes lectures, j’ai entendu parler d’un pardon plus étonnant et moins habituel, le pardon juridique ou pénal.

 

Mais nous allons le voir, pardon et droit pénal ne font pas ménage commun… Je me réfère ici à un article d’Alain Papaux, dans la Revue des Cèdres : « Le pardon, un regard de la philosophie du droit. »

 

L’auteur y indique que nos préoccupations en la matière, dont j’ai parlé plus haut, ne préoccupe pas le système judiciaire car, précise-t-il, le pardon « n’est pas partie au procès pénal. » L’enjeu principal d’un procès est d’opposer la société à l’auteur d’un délit ou d’un crime pour en déterminer les circonstances, la gravité et prononcer une sentence.

 

Dans cette confrontation, il y a peu ou pas de place pour les sentiments. Il y a des faits à clarifier, des raisons à nommer, des intentions à discerner, des témoignages à confronter…. Ainsi, la cause est entendue : dans cette quête de justice « on entrevoit (...) que le pardon y soit structurellement non pertinent. ».

 

Et l’auteur nous révèle encor un autre enjeu : « Si le droit ne pardonne pas, en revanche il oublie. » Mais cet oubli n'est pas un pardon qui ne dirait pas son nom. D’ailleurs, il ne semble pas s’inquiéter d'une quelconque réconciliation entre les parties au procès.

 

Ainsi, je comprends cette posture de la justice comme technique plus qu’éthique. Elle a un mot pour cela : « Il s’agit d’un oubli public, dénommé prescription. » Lorsqu’elle est prononcée, elle met fin à toute prétention juridique ou pénale.

 

En d’autres termes, une fois la peine subie, la justice cesse de s'inquiéter de vous, elle vous oublie : vous retourner à votre état de femme ou d’homme libre. Un fait que les honnêtes personnes que nous sommes devraient se rappeler : l’oubli de la justice renvoie cette personne au même état que le nôtre, sa liberté retrouvée doit être aussi réelle que la nôtre !

 

Mais pour que nos liens avec celles et ceux qui ont été « oubliés » de la justice soit réellement pacifiés, il faut encore clarifier un chemin de réconciliation pour « solde de tous compte. »


C’est ce que je me propose de développer dans le second volet de cet article.


Statue de la fontaine de justice - Lausanne.

vendredi 18 avril 2025

Je te vois mourir sur cette croix... (Une republication)

Combien d’images, d’objets, de scènes peintes… te figent, te dépeignent, te crient ainsi ?

Sur ce bois d’humiliation, je te vois, te laissant engloutir dans la mort.

Mais combien de regards te verront, en cet instant, engloutir toutes nos morts ?

Qui saisira, dans ton abandon souffrant, ta main nous saisissant ?

Abandonné, souffrant, mourant, tu n’es pas devant nous mais en nous, comme nous sommes en toi, abandonnés, souffrants, mourants.

À l’impossible question « Où es Dieu dans les souffrances injustes du monde » ? Tu réponds : « Je suis là, en toi. »

Je me souviens des mots d’Élie Wiesel. Près d’une potence d’Auschwitz, lors d’une exécution par pendaison, un enfant agonisait sans fin… Un des prisonniers, contraint d’y assister avec lui, s’écriait : « Mais où est Dieu ? » Et Élie Wiesel de répondre : « … je sentais en moi une voix qui lui répondait :  Où il est ? Le voici : il est pendu ici, à cette potence ! »

Tu es là, pendu au bois.

A chaque instant de ma souffrance ou lorsque je dois la regarder en face, je te sais en moi.

Tu es là, reconnaissant ce vivre de douleur et d’accablement et le fécondant de ta faiblesse et ton amour.

Je suis là, au pied de ta croix, frappé par l’amertume du monde et te nommant : « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi ! »

Tu es là, en croix, habitant la souffrance du monde et me répondant : « Moi je suis la lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans l'obscurité, mais il aura la lumière de la vie. » (Jean 8,12)




samedi 12 avril 2025

Lueurs pascales... (Sur le seuil de la semaine sainte


"Toi, le Christ, tu te charges de ce qui nous charge, au point que, débarrassés de ce qui alourdit notre existence, nous reprenions à tout moment la marche légère de l'inquiétude vers la confiance, de l'ombre vers la clarté de l'eau vive, de notre volonté propre vers la vision de Royaume qui vient.

Alors, bien que nous osions à peine l’espérer, tu offres à chaque être humain d'être un reflet de ton visage."

(Frère Roger, de Taizé)

Photo: Eric Imseng

mercredi 2 avril 2025

La vie que tu t'es imaginée?...

Il y a bien des « vivre » a traverser dans notre existence: joyeux, douloureux, paisibles, patients, animés - très animés (si vous avez été parents, par exemple). Des « vivre » à offrir, à consentir, ... et à choisir.

Cette citation d’Henry James m’accompagne depuis longtemps et elle m’a encouragé à persévérer dans des « vivre » à changer, à transformer, pour passer de la frustration à la création... avec ce brin d’utopie qui précède bien des changements.
 
« La vie que tu t’es imaginée ». Ces passages vers un autre « vivre », j’en ai vécu quelques uns... Jamais facile, comme la pub pour un remède miracle ! 
 
Hésitant et craintif - même incrédule parfois, j'ai fais un premier pas qui semblais me coûter un bras... et puis ça tient, et ça craque, et tu recules, et tu te dis qu'il vaut mieux abandonner. Mais tu reprends, et tu fais deux pas de plus... et encore et encore. 
 
Et puis soudain c’est arrivé! Tu te sens comme après une randonnée en montagne : aussi heureux qu'éreinté... ébloui par le paysage que tu découvres !
 
Et tu découvres le sourire amical de celles et ceux qui, près de toi, ont osé te dire « essaye »... Oui : ce chemin vers ma vie désirée, je pense ne l'avoir jamais atteint seul, même si personne n’a marché à ma place. Encore que parfois... je me rappelle avoir été porté...
 
Alors « vivre la vie que tu t'es imaginée » ce fut pour moi des « ce n'est pas possible » ou des " c'est trop compliqués » qui furent dépassés pourtant. 

J’ai aujourd’hui, ce regard en arrière qui me rappelle que ce "vivre", il m’a fallut autant le conquérir que l’accueillir.


Photo: Eric Imseng



lundi 31 mars 2025

Rancœur... ou Grand cœur?

Lors de mes accompagnements auprès de personnes détenues, je fais face, parfois, aux sentiments négatifs et émotions douloureuses qui les habitent. Par exemple:

La tristesse en parlant des actes délictueux - grave ou moins - qu'ils ont commis.  

La colère lorsque leurs conditions de détentions sont injustes ou brutales. Ou que leur honte ou regrets sont déniés.

La peur à la perspective d'une audience ou d'un jugement. 

Ainsi, les infracteurs de la Loi ne coulent pas forcément des jours tranquilles, comme on pourrait le penser. 

Et j'ai coutume de dire que "je n'ai pas pitié d'eux, car ils méritent bien mieux que ça." Je ne suis pas auprès d'eux pour les plaindre (ce qu’ils ne comprendraient pas d'ailleurs) mais pour leur offrir une main qu'ils peuvent saisir pour s'aider à se relever.

Dans ma petite boîte à outils de l'accompagnant spirituel, j'ai de courtes histoires que je partage avec eux. Elles ont pour tâche de "poser à côté" de la situation ou de leur vécu (comme une parabole) un récit qui ouvrira peut-être à une compréhension nouvelle.

Pour favoriser des émotions pacifiées. Pour faire face et aller de l'avant. Pour progresser vers toujours plus d'authenticité, de courage et de patience.

Voici l'une d'entre elles. Elle m’a été rapportée au sujet de Nelson Mandela :  

"Après être devenu président de l’Afrique du Sud, j'ai demandé à certains membres de mon garde du corps d'aller faire une promenade en ville. Après la promenade, nous sommes allés déjeuner dans un restaurant.

Après un peu d'attente, le serveur est apparu qui portait nos menus. A ce moment-là, j'ai réalisé qu’il y avait un homme seul, à la table d’à côté. J'ai demandé à un de mes garde du corps: va inviter cet homme à nous rejoindre pour le repas.

L'homme s'est levé, a pris son assiette, et il s'est assis à côté de moi. Pendant qu'il mangeait, ses mains tremblaient constamment et il ne relevait pas la tête de sa nourriture. Quand nous avons fini, il m'a salué sans même me regarder. Je lui ai serré la main et il est parti !

Le garde du corps m'a dit : Madiba, cet homme doit être très malade, car ses mains n'arrêtaient pas de trembler en mangeant. Pas du tout, ai-je répondu, la raison de son tremblement est autre. 

Il m’a regardé bizarrement et je lui ai dit: Cet homme était le gardien de prison où j'ai été enfermé. Souvent, après la torture à laquelle j'ai été soumis, je criais et pleurais pour avoir de l'eau et il venait m'humilier :  il riait de moi et au lieu de me donner de l'eau il urinait sur ma tête. 

Non, il n'était pas malade, il avait peur et tremblait en craignant que, maintenant que je suis président, je l'envoie en prison et lui fasse la même chose qu'il a faite avec moi. Mais je ne suis pas comme ça, ce comportement ne fait pas partie de mes choix de vie.

Les esprits qui cherchent à se venger détruisent les États, tandis que ceux qui recherchent la réconciliation construisent les Nations.    

(Source: mur Facebook de Chicali Echeverría Martínez)·

J'ignore si cette anecdote est authentique. Mais elle soutient la conviction qui m’accompagne en écoutant ces moments sombres (et parfois révoltants) de leur vie en prison : leur liberté à faire des choix demeure, quel que soit leur vécu.

Ils ont (et nous avons) toujours le choix de nourrir la force plutôt que la violence, l'autorité plutôt que la brutalité... chercher un cours d'eau qui conduira à la mer plutôt que de jeter notre eau-vive dans un bassin mortifère pour qu'elle y croupisse ! Et qui pourrait ignorer le dur combat que ce choix peut exiger de nous?...

...L’Évangile ne l’ignore pas non plus.

Ne rendez à personne le mal pour le mal ; ayez à cœur de faire le bien devant tous les hommes. S’il est possible, pour autant que cela dépend de vous, vivez en paix avec tous les hommes. Ne vous vengez pas vous-mêmes, mes bien-aimés, mais laissez agir la colère de Dieu, car il est écrit : A moi la vengeance, c’est moi qui rétribuerai, dit le Seigneur. Mais si ton ennemi a faim, donne-lui à manger, s’il a soif, donne-lui à boire, car, ce faisant, tu amasseras des charbons ardents sur sa tête. Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien. 

 (L’apôtre Paul, dans sa lettre écrite aux chrétiens de la ville de Rome. Rm 12,21)




lundi 17 mars 2025

JESUS TRANSFIGURÉ... (Luc 9,28-36)

Mais qui es-tu, quand tu parais dans ce vêtement si extraordinaire… ? Quel est ce visage, portant une expression ignorée par ceux qui te voyaient pourtant chaque jour ?

Que signifie tant d’éclat, « brillant comme un éclair » ? C’est le mot de l’Evangéliste Luc, celui dont on use pour décrire les éclats de lumières lorsqu’ils frappent la terre pendant l’orage.
Si ton visage est autre c'est pour m'inviter à te chercher au cœur de mon être. Si ton vêtement n’est pas seulement lumineux… C'est qu'il est comme la foudre qui frappe mon entendement.
Et tous deux viennent ensemble bouleverser ma connaissance du « Christ de Dieu » !
Et me voici de même... transfiguré !


Photo: Eric Imseng

"Lueurs au creux de l'ombre"© Un livre à paraître...

Le 9 novembre 2020, j’ai créé le blog intitulé  Les Diachroniques, avec s on premier article :  La dignité de l'humain. Ce blog a acco...