C’est à une
petite révolution sur ce qu’aimer son prochain veux dire que nous invite
le texte de ce jour. Qui est mon prochain ? Autrement à qui dois-je
mon aide ? Une courte histoire de Jésus va nous conduire vers un de qui
suis-je le prochain ? Autrement dit de qui je suis proche, au-delà de
l’appartenance, malgré les apparences, et pour plus que ce qui est convenu,
Mais auparavant, il
y a un préambule, dans la question d’un légiste, un docteur de la Loi, posée à
Jésus : « Maître, que dois-je faire pour recevoir en partage la
vie éternelle ? » (Lc 10,25)
Prédication offerte
à l’assemblée paroissiale réunie dans le Temple de Lutry. Textes du jour :
Esaïe 52, 7-10 ; Colossiens 2, 1-7 ; Luc 10, 25-37 (la parabole du
bon Samaritain).
Sa question, en
réalité, n’est ni banale ni vaniteuse, elle est au cœur de la quête de tout
croyant Juif qui se respecte. Mais n’est-elle pas aussi la nôtre? Que faisons-nous pour l’avenir de notre
existence spirituelle ? De quel pain venu du ciel nourrissons-nous
notre âme ?
La vie éternelle,
ne serait-ce qu’une vie d’ici-bas qui ne prendrait jamais fin, comme le
laissait entendre Woody Allen : « L’éternité, c’est long. Surtout à la
fin ! » ? Mais la vie éternelle est autre chose qu’un temps
infini, et s’il fallait le dire en quelques mots, ce serait que la vie
éternelle, est une vie accomplie en Dieu.
Mais la vie
éternelle, reconnaissons-le, est un mystère… qui n’est pas qu’une
opacité frustrante. Il est source d’une extraordinaire richesse, comme nous
l’avons lu dans la lettre de Paul aux Colossiens, un « mystère de Dieu, qui est une vie
dans le Christ, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la
connaissance… La vie éternelle, contrairement à la savoureuse blague de
Woody Allen, est une vie où l’on ne s’ennuie pas !
Et bien que le texte parle d’une mise à l’épreuve,
c’est une vraie question que pose le légiste à Jésus. J’aime à penser qu’il
cherche à savoir « ce que ce
Jésus de Nazareth a dans le ventre »… Et le moins que l’on puisse
dire, c’est qu’il ne sera pas déçu ! Poser une question à Jésus, c’est
toujours possible, mais il faudra être prêt à ce que sa réponse surprenne ou
implique un changement important !
Nous avons sans
doute vécu un jour la perplexité, voire la déception, dans laquelle une parole
de Jésus nous a plongé ! Nous avons sans doute vécu un jour cette
hésitation à nous engager là où il nous invite à le suivre… Un peu plus haut,
quelqu’un s’est écrié : « Je te suivrai partout où tu iras. »
La réponse de Jésus a été franche en lui disant clairement combien le suivre
serait parfois inconfortable (9,57-58)
Thomas d’Asembourg
a écrit : « Être heureux, ce n’est pas nécessairement
confortable. ». Et c’est valable pour les disciples du Christ aussi…
C’est peut-être
une de ces insatisfactions qui a poussé notre légiste à faire un pas de plus.
La réponse était juste, l’envoi était clair : « Tu as bien
répondu. Fais cela et tu auras la vie. » … la vie, la vie, oui, mais…
quelle vie et pour qui ?
Une fois encore la justice
que ce docteur de la loi veut montrer n’est pas forcément la quête de bons
points… En effet, il semble être rester sur sa faim et son « qui est mon
prochain ? » est d’ailleurs une question
« étrange » pour un juif pieux d’alors et c’est peut-être un des
signes de l’ouverture de ce docteur de la loi qui ne se satisfait pas de
l’évidence. Et la petite histoire de Jésus
lui donnera, à lui comme à nous, un horizon nouveau.
Le
« prochain », avant la parabole de Jésus, c’est très
simple : ce sont les concitoyens de
mon peuple, les membres de ma congrégation religieuse. Ils sont comme moi,
pense comme moi, pratique comme moi… Pas d’hésitation, pas d’interrogation, pas
de surprise… Or, de surprise, il y en aura bien une, et elle commence
ainsi : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho…
On peut être gêné
par l’attitude des deux premiers qui « passe à bonne distance ».
Mais l’un, comme l’autre, sont liés au service du Temple et à ses obligations.
En quelque sorte, ils préservent leur boulot… Aussi, y a-t-il peut-être dans ce
récit comme une dénonciation de ce Temple qui prive de compassion les gens
meurtris pas la vie… On pourrait je pense résumer l’intention de cette parabole
en une phrase, que l’on peut lire dans un passage de l’Evangile selon Matthieu
: « … Allez donc apprendre ce que signifie : C’est la miséricorde
que je veux, non le sacrifice. » (Mt 9,13 ; Os 6,6)
Et Jésus enfonce le
clou : c’est un Samaritain, un réprouvé, un ennemi de la vraie foi, un
croyant méprisé d’Israël et qui en général le lui rend bien… qui va s’arrêter « ému
de compassion » (33). Et pas seulement ému, il s’engage concrètement
dans les soins et le rétablissement de cet homme. Celui qui devait FAIRE preuve
de mépris pour ce juif meurtri au bord du chemin… a FAIT preuve de bonté
envers lui. »
En le choisissant
et en lui accordant tous ces gestes, Jésus fait déraper toute l’histoire !
On ne s’en rend peut-être plus vraiment compte, mais, pour qui l’écoutait, cela
devait devenir inaudible ! Une question nous ramènera sans à notre quotidien :
Où sommes-nous dans cette histoire ? Qui est pour nous celle ou celui dont
nous préférerions passer au loin ? Qui est aujourd’hui notre
samaritain ? Qui est pour nous l’ennemi dont nous prendrons soin ?
Comment la réponse de ce docteur de la Loi vient-elle bousculer NOTRE
justice ?
Je pense aux mots
de Martin Luther King : « L'obscurité ne peut pas chasser
l'obscurité ; seule la lumière le peut. La haine ne peut pas chasser la haine ;
seul l'amour le peut. »
Jésus lui dit : « Va et, toi aussi, fais
de même. »
Un tel retournement
a sans doute été rendu possible par cette courte histoire, bien mieux que par
un long discours. On l’a bien entendu. Qui est mon prochain est devenu qui
a été le prochain ! Jésus inverse la question comme il renverse les
rôles.
Le prochain est
devenu toute personne humaine, l’un ou l’une d’entre nous, qui s’approche
d’autrui avec tolérance et compassion, même quand autrui est étranger ou
indésirable... Mais pour cela il faut se faire proche en humanité et distant
envers les classifications, les déshumanisations, les malédictions de notre
monde moderne auxquelles certains espèrent nous voir adhérer !
Hannah Arendt
écrivait : « La mort de l'empathie humaine est l'un des premiers
signes et le plus révélateur d'une culture sur le point de sombrer dans la
barbarie. »
Que Dieu nous en
garde ! Amen