mardi 23 juillet 2024

Jacob au Yabboq, une bénédiction - la conclusion (5 - Une republication de l'été)

Inspiré d'un travail de recherche en théologie pratique sur le thème de la bénédiction, je termine ici ma réflexions sur le texte de la Genèse - Le passage du Yabboq - et son étonnante bénédiction, et fait le lien avec ma pratique de l'accompagnement spirituel des personnes détenues.

Après avoir pris le temps de lire cet épisode de Jacob au Yabboq et en réfléchissant à cette poussière, j’aimerais prendre le temps d’approfondir maintenant un second aspect du récit : au cœur de cette lutte étrange, une bénédiction est en jeu et elle est liée à un nom.

Et je vous rappelle la référence du texte que je travaille : Livre de la Genèse, 32, 23-33. Le passage du Yabboq (Traduction Œcuménique de la Bible).

Quel est ton nom?

En abordant le cours « Bénir - bénédiction », une autre question m’habitait : la bénédiction est-ce uniquement un temps de la liturgie adressé à l’assemblée à la fin d’une célébration ? N’y aurait-il pas quelque chose de la bénédiction dans l’accompagnement spirituel que je vis avec les personnes détenues ? J’en ai déjà dit quelques mots lors du chapitre précédent, mais avec l’angle spécifique des sens du mot diaconie. J’aimerais ici m’arrêter sur un chapitre d’E. Parmentier dans son livre « Cet étrange désir d’être béni. »[1]

La situation d’Ingrid Hermann, présentée par la théologienne, m’a renvoyé à ma propre situation d’aumônier dans les prisons. Son expérience auprès de ces enfants m’a convaincu que mon intuition n’était pas une illusion : quelqu’un dans sa pratique vivait une bénédiction en accompagnant des personnes en situation de vulnérabilité.

Malgré les limites, l’impuissance de son engagement, elle ouvre cependant des espaces qui peuvent donner de la valeur à la personne rencontrée, et je ne fais pas autre chose dans mon bureau de la prison. Et « appeler du bien, du respect, un avenir »[2] sur une personne, n’est-ce pas la bénir ?

Et puis il y a cette expression qu’elle formule en écho à la détermination de Jacob : « Nous ne vous laisserons pas sans que vous nous ayez béni. » Dans cette « lutte pour que la bénédiction soit et demeure »[3] auprès des personne détenues, dont je suis le compagnon de pain (étymologie du mot « compagnon), combien de fois ai-je pensé intérieurement – et dit parfois à haute voix – cette détermination ?

Bénir et être béni. Il y a équité dans notre communion avec le Seigneur qui béni. Il m’arrive de devoir clarifier avec eux que cette disposition spirituelle à vivre en Sa présence est un bien profondément partagé entre nous ? Il n’y a pas de Maître ni d’apprenti dans cette communion 

1. Bénir quelqu’un qui a un nom

J’aimerais, avant de conclure, réfléchir encore un moment à ce surprenant « ballet » de demandes du nom de chacun des lutteurs… et la réponse non moins surprenante de l’un d’eux. Chacun des protagonistes a, semble-t-il, une demande avec une intention différente selon qui pose la question : « l’homme » ou « Jacob »

Une première lecture donne l’impression d’une bénédiction jetée pour se débarrasser de la ténacité de Jacob qui fait craindre à « l’homme » de se retrouver captif de l’aurore. Mais il y a sa demande à connaître le nom de son adversaire. Elle souligne l’importance de connaître le nom pour bénir, ce qui m’a inspiré le titre de ce paragraphe : Bénir quelqu’un qui a un nom.

Lorsque Jacob devient Israël, il y a ici comme un hommage à la force de Jacob et une manière de donner à sa descendance une référence de courage pour le futur de sa « lutte avec Dieu et avec les hommes. » Mais le nouveau nom accordé à Jacob lui donne une audace nouvelle : 30Jacob lui demanda : « De grâce, indique-moi ton nom. » – « Et pourquoi, dit-il, me demandes-tu mon nom ? » Là même, il le bénit. Jacob semble avoir changé de ton et son intention n’est plus d’arracher une bénédiction mais de recevoir une grâce, celle de l’identité de « l’homme ». Veut-il avoir une confirmation de ce qu’il pressent depuis le début de cette lutte ?

La réponse de « l’homme » est étonnante, comme s’il faisait un clin d’œil à Jacob (« Mais enfin tu as bien saisi qui je suis ») ou un reproche amusé (« Tu sais bien que c’est impossible »). Dans cet échange, nous passons d’une bénédiction, accordée à quelqu’un qui a un nom, à un refus de révéler le nom de celui qui béni.

Il y a sans doute beaucoup à dire sur les liens de ce refus d’accéder à la demande de Jacob. Et ici encore, plusieurs parallèles bibliques existent. Ces références précisent notre compréhension de l’enjeu : « Donner son nom, c’est déjà se livrer. Dieu refuse de répondre pour sauvegarder son mystère, mais il bénit Jacob et confirme ainsi les bénédictions dont celui-ci a été l’objet. »[4]

2. Un nom et un visage

E. Parmentier note à propos de la formule de bénédiction qu’elle « donne visage à l’autre. »[5] Et je considère maintenant que les observations qui précèdent montrent qu’ il y a moyen de passer d’une formule de bénédiction, adressée à une assemblée, à une parole de bénédiction adressée à un visage, un individu.

Dans l’éthique de mon accompagnement, la bénédiction est accordée, de manière essentielle, par ma posture d’écoute « non jugeante ». Elle dit une ouverture avec laquelle je donne un visage à l’autre, non en le dévisageant, mais en l’envisageant…Ce non-jugement n’est pas une indifférence commode à la situation qui a mené ce visage en prison, mais il permet d’exercer un discernement important : je renonce à ne considérer l’infracteur par le seul prisme du délit.  Être bénédiction, dans cette posture, c’est redonner un visage à autrui, plutôt que de le frapper d’un masque d’indignité !

Ainsi, cette bénédiction, libre et consciente, donne non seulement un visage à celui que je rencontre, mais il façonne aussi quelque chose du mien. Cette mutualité de la bénédiction rejoint une note d’E. Parmentier à propos du visage de Jacob : « Ainsi la bénédiction de Dieu le rend à jamais vulnérable et fragile ! Le changement de nom ne vaut pas seulement pour Jacob, mais aussi pour le lieu, qui est interprété comme la « Face de Dieu » (Péni-El ), où un humain a vu la « face de Dieu » sans mourir.[6]

La vulnérabilité comme signe de notre humanité permettant d’apercevoir la face de Dieu sans mourir ? Cela représente une profonde interpellation ! Cette vulnérabilité devient entre nous un espace que je valorise, afin qu’il soit possible de vivre une réelle rencontre et un authentique « face-à-face », entre nous et en présence de Dieu ! Être vrai dans la faiblesse donne à notre rencontre « un visage de Dieu, qu’on le vive dans la fraternité de la foi ou celle de l’humanité. »[7]

E.       Vivre une expérience spirituelle.

Pour conclure cette étude, j’ai choisi de dire encore quelques mots sur ce que ce texte donne à voir – et sans doute invite à vivre – dans les temps de lutte de notre existence. « Jacob appela ce lieu Peniel – c’est-à-dire Face-de-Dieu – car « j’ai vu Dieu face à face et ma vie a été sauve ». (32,31)

Penouël, dont la variante orthographique est Peniel, signifie « Face de Dieu. »[8] T. Römer laisse entendre qu’en choisissant ce nom Jacob « a compris à qui il avait eu affaire. »[9] Nous avons déjà dit qu’une telle rencontre, dans la tradition biblique, ne devrait pas avoir lieu sans faire mourir l’humain. Et pourtant Jacob est resté en vie !  

Boitant sous un soleil qui se lève, c’est un Jacob plus apaisé qui s’exprime ici. Cette étrange lutte lui a fait la grâce de saisir l’identité de Celui qui l’a blessé et béni. Sa nouvelle identité est également le fruit de ce mystérieux face à face et cela me ramène à l’œuvre d’Arcabas, cité au début de cette étude : Jacob, nu et vulnérable, a pris conscience d’une expérience tout à fait rare : « … car j’ai vu Dieu face à face et ma vie a été sauve »

Et pour nous, c’est une bonne nouvelle qui va à l’encontre de tant de conceptions erronées sur les intentions de Dieu envers notre condition humaine. Oui, un face à face avec Dieu pourrait bien laisser une trace douloureuse en nous, mais il ne nous tuera pas !

 
Illustration: un des chapiteaux de la Basilique de Vézelay. Salle du Clos à Vézelay.


[1] E. Parmentier, Non pas avoir, mais être bénédiction, Labor et Fides, 2021, p. 304-312
[2] E. Parmentier, Notes de cours – UniGE
[3] E. Parmentier, Notes de cours – UniGE
[4] Les notes TOB précise en 32,30 : Indique-moi ton nom, cf. Ex 3,13-14 ; Jg 13,17-18 ; voir Jn 17,6.26 ; Ap 19,13.
[5] E. Parmentier, Notes de cours – UniGE
[6] E. Parmentier, Notes de cours – UniGE
[7] E. Parmentier, Notes de cours – UniGE
[8] Note de la TOB et Bible de Jérusalem                                                                                
[9] T. Römer, L’Ancien Testament commenté, La Genèse, Labor et Fides et Bayard, 2016. 

mercredi 17 juillet 2024

Jacob au Yabboq, une bénédiction (4 - Une republication de l'été)

Inspiré d'un travail de recherche en théologie pratique sur le thème de la bénédiction, je poursuis ma réflexions sur le texte de la Genèse - Le passage du Yabboq - et son étonnante bénédiction, et fait le lien avec ma pratique de l'accompagnement spirituel des personnes détenues.

Voici un premier développement en lien avec l'expression "se rouler dans la poussière".

Et je vous rappelle la référence du texte que je travaille : Livre de la Genèse, 32, 23-33. Le passage du Yabboq (Traduction Œcuménique de la Bible).

Et Jacob resta seul…

Avec cette expression, nous quittons l’agitation des préparatifs d’un sauvetage pour un moment plus décisif encore. Je suis sensible à l’impression que procurent ces quelques mots. Ils paraissent un instant prémonitoire avant une lutte éprouvante. Nous permettrait-il d’imaginer un Jacob vivant un instant de retour sur soi, une préparation intérieure avant une épreuve dont il pressentirait l’importance ? Le rédacteur n’a sans doute pas ce genre de préoccupations psychologiques, mais le fait qu’il prenne ici le temps d’une pause significative avant l’instant qui va suivre est une intention tout à fait plausible.

1.       Un homme se roula avec lui dans la poussière jusqu’au lever de l’aurore.

La question de l’identité de cet « homme » se pose. La Bible de Jérusalem traduit « quelqu’un », gardant le mystère. Si une telle situation peut surprendre un lecteur moderne, l’attaque d’un être surnaturel sur un humain est présentée par les commentateurs comme un motif courant du folklore antique.[1]

Cette attaque nocturne a d’ailleurs un parallèle biblique, en Ex 4,24-26. Moïse est sur le chemin du retour en Égypte, après son long séjour auprès de Jethro. Ici aussi, le Seigneur « l’aborda » (traduction TOB) et tente de le faire mourir. Il faut une réaction vive de Cippora, qui pratique sur son enfant la circoncision, pour que Moïse ait la vie sauve. Il semble que la raison de l’attaque soit un manquement de Moïse qui n’aurait pas pratiqué ce signe de l’Alliance sur son enfant.

Les notes de la TOB signalent encore un texte d’Osée (Os 12,4-5) qui parle d’une lutte avec Dieu, mais en indiquant clairement l’intermédiaire d’un ange. La lecture d’Osée cherche à interpréter, à mon sens, une certaine hésitation face à une situation assez ambigüe : comment Dieu pourrait-il venir « en personne » et lutter physiquement avec un être humain ? D’ailleurs, cette équivoque va courir tout au long de cet épisode.

L’étrangeté de ce corps à corps avec un être surnaturel suggèrent deux intentions principales :  « Expliquer le nom de Penouël qui signifie face de Dieu et donner une origine au nom d’Israël. »[2]

Mais il ne faudrait pas omettre un enjeu important de ce texte, à savoir la bénédiction et les questions qu’elle pose : est-elle arrachée à un adversaire pressé de quitter Jacob ? Ou accordée après que la demande de Jacob à connaître son nom, puis sa réponse énigmatique, ne laisse plus de doute sur son identité ? Quoiqu’il en soit, j’ai été tout de même surpris de sa mention au cœur de cette lutte – sans être particulièrement annoncée auparavant – comme si les combattants étaient seuls au courant de l’enjeu réel de cette lutte !

E. Parmentier, affirme que le Yabboq peut être compris comme le lieu d’un « corps à corps en se mêlant à la poussière » en associant les deux sens d’un un terme rare ‘abaq.[3] Ainsi, cette lutte physique, l’est-elle restée ou a-t-elle pu se transformer en un « cœur à cœur » ? Ce combat a quelque chose de la lutte intérieure d’un Jacob habitué à saisir par ruse et qui va apprendre à obtenir dans la faiblesse.

2.       Dans la poussière…

Ce mot poussière a très vite piqué ma curiosité. Il me parle, en effet, très personnellement car il a un lien important avec ma vocation à rejoindre l’humanité dans sa vulnérabilité. F. Lienhard, dans un chapitre consacré à La diaconie en rappelle l’étymologie : « Le terme diaconie signifie à travers la poussière (du grec dia = à travers, et conia = poussière). »[4]

A travers la poussière… Comment résister à cette interpellation ? Dans mon service diaconal ne suis-je pas justement appelé à « passer au-travers » de cette poussière de notre condition humaine, non en l’évitant, mais au contraire, en l’honorant dans sa fragilité originelle (« …car c’est du sol que tu as été pris. Oui, tu es poussière et à la poussière tu retourneras. » - Gn 3,19) ?

Dans l’épisode de Jacob au Yabboq, il y a cependant un mouvement de plus : il s’agit encore de se rouler dans la poussière. Pour le patriarche, ce fut une confrontation avec son humanité, dont la prodigieuse force semblait justement l’en priver, jusqu’à ce que sa blessure le rende plus « abordable »… Le Jacob boitant de la hanche n’est-il pas plus humble et vrai que celui qui tenait le Seigneur presque à sa portée ?

Ce combat de Jacob est aussi en quelque sorte le mien. En acceptant d’accompagner les mouvements intérieurs des personnes détenues, ne suis-je pas en train de me rouler avec eux dans la poussière de leur humanité en lutte et en souffrance ? Cette lutte n’est pas affrontement physique, mais confrontation fraternelle pour nous tenir au plus proche l’un de l’autre et partager une rencontre franche et courageuse. En somme, se rouler dans la poussière, donne à cette expression habituelle d’empathie une teinte d’authenticité et de compassion particulière à mes yeux.

Mais pour se mêler à la poussière de notre humaine condition[5], pour lutter selon les règles (2 Tm 2,5), il y a quelques saines postures à adopter, quelques sources auxquelles s’abreuver pour faire authentiquement « œuvre de miséricorde » au sens du chapitre 25 de l’Evangile selon Matthieu. J’ai trouvé dans ce chapitre de F. Lienhard, de telles exigences, dont voici quelques-unes que je présente brièvement.

3.       L’abaissement du Christ.

Et la première de ces attitude, la plus essentielle sans doute, qui donne à la diaconie sa valeur et sa qualité, est présentée par Lienhard comme étant une imitation de l’abaissement du Christ, dont il approfondi le sens en s’appuyant sur un autre auteur : « La diaconie du Christ opère une réorientation fondamentale de la manière de vivre des êtres humains, alors que l’humanité pécheresse tend à s’élever, le Christ invite à s’abaisser. »[6]

Mais que serait une imitation sans ce que nous appelons la suivance du Christ ? On peut imiter sans être proche, et c’est à une vie de disciple qu’il faut appeler pour avoir une chance de le vivre réellement et d’en assumer la responsabilité sans artifice.

Cette marche avec le Christ implique des renoncements, tels que la « poursuite de ces intérêts propres » par exemple[7]. Cet abaissement, auquel je consens, en ayant le Christ comme Maître, n’est pas celui d’une rencontre avec des personnes abaissées parce que sanctionnées d’une peine de prison. Au contraire mon abaissement est une rencontre respectueuse et franche, une posture d’humilité qui nous permettra à l’un comme à l’autre de nous « élever » vers des libertés nouvelles, « Car tout homme qui s’élève sera abaissé et celui qui s’abaisse sera élevé. » - Lc 14,11. Aussi, est-il tout à fait nécessaire qu’intimement je me sois roulé dans la poussière avec le Christ avant de le faire avec eux !

4.       La grâce mieux que la bienfaisance…

Il y une source où puiser pour traverser la poussière de notre humaine condition avec autant de liberté que de courage : la grâce. Et F. Lienhard de nommer un écueil qui nous en privera en ne produisant qu’une posture de bienfaisance condescendante au lieu d’une authentique compassion.[8]

Ne pas se placer plus haut, mais dans une mutualité partagée et reconnue. La grâce comme le fruit d’une « faiblesse assumée, rendue possible par la foi. »[9] L’autorité de mon accompagnement et sa reconnaissance par autrui vient de cette profession de foi : « le chrétien est par nature aussi pauvre que celui qu’il veut secourir, mais il peut accepter cette pauvreté et en faire le lieu de la rencontre d’autrui. »[10]

Je pense à Frère Roger qui refusait le terme de Maître spirituel. Le service diaconal est pétri d’humilité, mais il n’en a pas le monopole… Et le faudrait-il d’ailleurs ?

5.       La diaconie : donner à vivre sans exclure…

Dans son article, F. Lienhard parle encore de l’usage profane du terme diaconie pour désigner un service qui donne la priorité au besoin de celui qui est servi. Dans son sens de « servir à table », il oriente notre engagement vers la responsabilité de « donner les moyens de vivre et servir d’une manière générale. »[11]

Ainsi, me mêler à la poussière signifie le choix de ne pas écarter le profane au profit du religieux. Mon service à table implique de donner la priorité aux besoins réels de la personne. D’ailleurs, ce qui est dit profane m’est souvent apparu comme la meilleure entrée vers un entretien qui ouvrira à une dimension spirituelle, souvent à la surprise de mon interlocuteur !

Cet engagement à accueillir toute personne dans toute sa réalité est une des valeurs de base de notre engagement, comme le précise notre Charte de l’Aumônerie Œcuménique des prisons.[12] Dans ce cas, me mêler à la poussière sera d’écouter d’abord ce qui les fait vivre. Je rencontre leur humanité dans une joyeuse et féconde ignorance, « …car j’ai appris qu’une écoute qui sait, n’entend plus. »[13]

Mais cette approche, que je qualifierais d’inclusive, est une posture également critique de ce que le religieux peut impliquer d’exclusion. Je pense que la diaconie est un contrepoint polémique vis-à-vis du sacré lorsqu’il cherche à faire mentir la grâce ! Ma critique de l’exclusion au nom de la religion n’est-elle d’ailleurs pas présente dans presque chaque ligne des Évangiles ? Un des textes, fondamental pour mon engagement pastoral, présente Jésus de Nazareth venant désavouer une exclusion au nom de la religion et rappeler à des religieux : « Allez donc apprendre ce que signifie : C’est la miséricorde que je veux, non le sacrifice. Car je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs. » (Mt 9,13)


Rembrandt: le combat de Jacob avec l'ange



[1] Les notes de la TOB, La Bible de Jérusalem, et T. Römer, Op.cit.
[2] Les notes de la TOB, La Bible de Jérusalem, et T. Römer, Op.cit.
[3] Élisabeth Parmentier, Notes de cours – UniGE
[4] Fritz Lienhard, la diaconie, dir. Bernard Kaempf, Introduction à la Théologie pratique, PUS, 1997.
[5] L’expression est d’E. Parmentier dans Cet étrange désir d’être bénis, Labor et Fides, 2020, p.308.
[6] P. Philippi, Chirstozentrishe Diakonie, Munich, Kaiser, 1971, cité par F. Lienhard, p.269.
[7] F. Liehnard, op.cit., p.269
[8] F. Lienhard, Op.cit., p.270.
[9] F. Lienhard, Ibid., p.270.
[10] F. Lienhard, Ibid., p.270.
[11] F. Lienhard, Ibid., p.260.
[12] « Dans le cadre de la loi et des règlements qui reconnaissent sa présence qualifiée, l’Aumônerie Œcuménique des prisons a pour mission de répondre aux besoins spirituels et religieux des personnes détenues. Elle participe au maintien des liens indispensables au respect de la dignité humaine. (…) Elle offre aux personnes en détention, sans distinction de croyance ou de foi, un espace de rencontre avec des aumôniers qualifiés, formés à l’accompagnement spirituel, à l’écoute et au dialogue. » (Mandat de l’Aumônerie Œcuménique des Prisons) 
[13] E. Imseng, dans Christophe Vuilleumier, Champ-Dollon – les 40e rugissants (1977-2017), Slatkine, 2017, p.75


dimanche 14 juillet 2024

Vous êtes le sel de la terre. Vous êtes la lumière du monde...

Avez-vous entendu parler de la marche du sel ? Conduite par Gandhi le 12 mars 1930, elle fut une manifestation historique vers l'indépendance de l'Inde. Cette marche débuta au nord-ouest du pays, accompagnée de quelques disciples et journalistes. Après un parcours à pied de près de 400 km, c’est plusieurs milliers de participants qui arrivent le 6 avril au bord de l'océan indien!

Alors, Gandhi s’avance dans l'eau et recueille dans ses mains un peu du sel contenu dans sa main. Par ce geste, il encourage ses compatriotes à défier le monopole de l’État sur la distribution du sel qui leur impose un impôt inique, y compris aux plus pauvres, et leur interdit d'en récolter eux-mêmes.

Sur la plage, la foule imite le Mahatma et recueille de l'eau salée dans des récipients. Leur exemple est suivi partout dans le pays : les Indiens font évaporer l'eau et collectent le sel au vu et au su des autorités Britanniques. Il y aura plus de 60 000 arrestations Gandhi lui-même est arrêté et passera neuf mois en prison.

Mais le vice-roi des Indes devra reconnaître son impuissance à imposer cette loi au peuple indien. Cédant aux injonctions du Mahatma, il libère tous les prisonniers et accorde aux Indiens le droit de collecter eux-mêmes le sel.

Prédication offerte aux communautés paroissiales de Pully-Paudex, le dimanche 14 juillet 2024. Nous lisons dans l’Evangile selon Matthieu, au chapitre 5, les versets 13 à 18. Et le livre d'Esaïe 58,6-9, avec la lettre aux Philippiens 2,12-18.

« Vous êtes le sel de la terre… Vous êtes la lumière du monde… » Ces deux affirmations de Jésus nous rappellent que notre présence dans le monde n’est pas insignifiante : elle est porteuse de valeur pour la terre que nous habitons ; elle est porteuse de sens pour le monde qui nous entoure… 

Et comment ne pas voir dans la marche du sel de Gandhi, et ses effets déterminant pour la vie du peuple indien, un exemple saisissant de cette parole du Christ !

« Vous êtes le sel de la terre… » Ce vous êtes, Jésus ne le dit pas pour la première fois : Il faut se rappeler que notre lecture se situe juste après les Béatitudes, rythmées comme nous le savons par de nombreux « Vous êtes » :  « Heureux… Doux… Consolés… etc. »

Autant de « vous êtes », qui donne clairement une priorité à notre être sur le faire,  sur notre être avant de faire… Être « pauvre de cœur » pour nous ouvrir toutes grandes les portes du Royaume des Cieux, avec sa saveur comme sa clarté.

La symbolique religieuse du sel était fort répandue dans le monde antique, aussi l’image employée par Jésus parlait-elle beaucoup pour qui l’entendait.

Pour nous, aujourd’hui, le sel c’est la saveur, mais à l’époque le sel était encore utile à la conservation des aliments. Et il avait un prix ! Et il était précieux !

Mais le sel peut-il réellement perdre sa saveur ? Normalement pas : il peut la conserver pendant des années, exception faite de certaines qualités, comme le sel de mer par exemple.

Peut-être Jésus pense-t-il à celui récolté au borde de la mer morte et qui était d’une qualité incertaine ?... Mais son « perdre sa saveur », doit d’abord s’appliquer dans un sens figuratif : l’expression parle d’être « ahuri » ou plus encore, d’être « devenu fou »…

Dans la lettre aux Romains, l’apôtre Paul parlera ainsi de « fous » qui n’ont rendu à Dieu… ni la gloire ni l'action de grâce qui lui reviennent ; au contraire, ils se sont fourvoyés dans leurs vains raisonnements et leur cœur insensé est devenu la proie des ténèbres  (Rm 1,22)

Et d’ailleurs, dans la littérature biblique, le sel purifie aussi, comme lors d’une offrande faite au Seigneur, dans le livre du Lévitique, par exemple (2,13) : Sur toute offrande que tu présenteras, tu mettras du sel ; tu n'omettras jamais le sel de l'alliance de ton Dieu sur ton offrande ; avec chacun de tes présents, tu présenteras du sel.

Ce sel de l’alliance avec notre Dieu en Jésus Christ rend possible la purification de notre offrande, de nos intentions, de nos gestes. C’est la saveur de la sagesse et de l’amour du Christ qui nous distanciera des « vains sacrifices. » Elle gardera saine notre motivation pour donner au monde le goût du Royaume des Cieux.

Les folies du monde ne nous demandent-elles pas de leur ôter leur fadeur, leurs « fadaises »… pour préserver la saveur et le sens de notre création ?

« Vous êtes la lumière du monde… » La première illustration de cette ville située sur une hauteur dit bien la difficulté de la cacher à la vue du monde.

On ne peut pas cacher l’Evangile aux yeux du monde, mais on peut l’obscurcir… Il y a dans cette lumière cachée « sous le boisseau » quelque chose de notre ambivalence entre la réalité de l’Evangile et notre manière de le vivre, de le donner à voir.

Dans le contexte immédiat de notre lecture, Jésus avertit clairement que notre œil pourrait bien être malade et de ce fait notre corps tout entier ! « Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, quelles ténèbres ! » (Mt 6,21)

Mais restons positifs, et regardons les œuvres bonnes dont parle le texte d’Esaïe que nous venons de lire. Il parle du « jeûne que je préfère »… et décrit un engagement envers les plus vulnérables, les plus faibles, les opprimés…

Plus qu’une simple transaction religieuse pour être en ordre avec le règlement… le jeûne apprécié par le Seigneur, ce sont des actes emprunts d’authenticité et de miséricorde.

Une pensée que rejoint encore une autre parole du Christ dans le sermon sur la montagne que nous lisons, où il dénonce justement un « jeûne des hypocrites » (Mt 6,16ss)… qui prennent soin de leur apparence, mais négligent le sens et les conséquences profondes de leur acte !

Bien sûr que nous ne sommes pas – et de loin – à la hauteur de la tâche… Mais les paroles du Christ, comme celle d’Esaïe, ne nous condamne pas ! Ce n’est pas la perfection qui fait notre lumière, mais la miséricorde de Dieu !

Et cette joie de la grâce que Dieu nous accorde, nous l’avons entendue dans la lettre aux Philippiens, où nous apparaissons… « comme des sources de lumière dans le monde, vous qui portez la parole de vie : c'est ma gloire pour le jour de Christ, puisque je n'aurai pas couru pour rien ni peiné pour rien. (Ph 2,15-16)

Ces paroles sont un contrepoint bienvenu aux mots du Christ : être lumière, et devenir « Source de lumière » … 

Nous ne portons pas cette lumière pour seulement «avoir de l’éclat,  briller en société »… mais notre lumière est appelée à inspirer et conduire vers une même clarté.

Si nous « portons la parole de vie » (16) et si, comme l’apôtre Paul, nous espérons ne pas voir peiné pour rien… Et pour que notre saveur persiste, pour que notre clarté soit plus qu’un éclat passager, nous avons une ressource, celle à laquelle Jésus nous invite : amassez-vous des trésors dans le ciel, où ni les mites ni les vers ne font de ravages, où les voleurs ne percent ni ne dérobent. Car où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. (Mt 6,19-21)

Pour conclure, si nous sommes le sel de la terre et la lumière du monde… C’est parce que le Christ l’a été avant nous. Et parce qu’aujourd’hui encore il nous assaisonne du feu de son Esprit et nous illumine de sa vive présence !

Pour conclure, si nous sommes le sel de la terre et la lumière du monde… C’est parce que le Christ l’a été avant nous. Et parce qu’aujourd’hui encore il nous sale du feu de son Esprit et nous éclaire de sa vive présence !

Amen

Le sermon sur la montagne, illustré par Berna


Jacob au Yabboq, une bénédiction - la conclusion (5 - Une republication de l'été)

Inspiré d'un travail de recherche en théologie pratique sur le thème de la bénédiction, je termine ici ma réflexions sur le  texte de la...