… et ne nous conduis pas dans la tentation, mais délivre-nous du mal (13). Ces mots, nous les diront tout à l’heure, dans la prière du Notre Père. Ce sont des mots un peu étranges : « ne nous conduit pas dans la tentation »… ou troublants : « délivre-nous du mal. » ?
Et tout d’abord : « Ne nous conduis pas dans la tentation. » Les traductions qui hésitent entre la tentation et l’épreuve. Il y a une peut-être aussi une difficulté à faire la différence entre
tentation et mise à l’épreuve ?
Et je me
demande : Si la tentation
est mauvaise, pourquoi Dieu nous y conduirait-il ? Et si l’épreuve est
bonne, pourquoi demander à Dieu de nous l’éviter ? (Echanges avec les détenu.e.s)
Prenons un peu de
distances avec ces mots et relire ce que la Bible nous en dit.
La mise à l’épreuve est une difficulté à traverser, dont la
foi en sortira renforcée.
Par exemple Abraham. En Gn
22,1-19, nous lisons : Après ces choses, Dieu mit Abraham à
l'épreuve, et lui dit: Abraham! Et il répondit: Me voici!
Et
quelle épreuve, car ce texte introduit un récit ou Dieu semble demander à
Abraham de lui sacrifier son unique fils… La mise à l’épreuve d’Abraham ?
Être prêt à renoncer à ce qu’il a de plus précieux si Dieu le lui demande ?
Peut-être, mais Abraham n’a pas perdu son fils dans la mort, et cette mise à
l’épreuve lui a permis de le retrouver dans une relation où la confiance en
Dieu est complète.
La tentation, elle, dans l’Evangile de Matthieu est
systématiquement, diabolique, et là, il ne s’agit pas de faire grandir
la foi, mais de la faire échouer, d’exploiter l’épreuve pour détourner l’humain
de Dieu, son créateur.
Dans l’Evangile, il y a
un texte important à ce sujet que l’on nomme « la tentation de Jésus
dans le désert ». (Le début du récit en Matthieu 4 commence avec ces mots
surprenants) : 1Alors Jésus fut conduit par l’Esprit au désert, pour être tenté par le
diable. (Puis il poursuit avec l’épreuve) : 2Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il finit par avoir
faim. (Et voici la tentation) : 3Le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es le Fils de
Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » (Tentation qui va échouer) : 4Mais (Jésus) répliqua : « Il est écrit : Ce n’est pas
seulement de pain que l’homme vivra, mais de toute parole sortant de la bouche
de Dieu. »
Si Jésus avait accepté
de démontrer qu’il est Fils de Dieu en changeant des pierres en pain, il perdait
son humanité dépendante de Dieu qu’il est venu nous offrir. Il n’aurait plus
été « l’Emmanuel,
Dieu avec nous », mais par
un extraordinaire numéro de magie – qui nous aurait épater peut-être – il
aurait perdu le but de la venue du Christ parmi les hommes : « Ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra, mais de toute parole
sortant de la bouche de Dieu. »
Et je me demande : Qu’est-ce qui fait la différence entre
l’épreuve et la tentation ? (Echanges avec les
détenu.e.s)
Le commentateur Pierre
Bonnard rappelle que cette demande exprime « … c’est Dieu qui conduit
son peuple ; plus exactement qui l’introduit là où il doit passer. La
seule question qui se pose est celle-ci : où va-t-il maintenant le
faire entrer ? »
Je pense que l’intention fait la différence : faire
grandir ou faire tomber ? Dieu peut éprouver son peuple et, au cœur
de la tentation, lui faire connaître sa puissance et sa grâce, mais Dieu
demeure le maitre de la tentation et du Tentateur (Jb 1,1ss ; Mt
4,1-11 ; 1 Co 10,13).
Et je me
demande : Quand nous prions cette
demande est-ce parce que l’on craint que Dieu nous tende un piège ? (Echanges avec les détenu.e.s)
Il y a une réponse très
claire à cette question dans Jc 1,13 : « Que nul, quand il est tenté, ne dise :
« Ma tentation vient de Dieu. » Car Dieu ne peut être tenté de
faire le mal et ne tente personne. »
Dans notre chemin de foi,
nous ne sommes pas des enfants gâtés… Il suffit d’avoir été père – ou mère –
pendant quelques minutes pour savoir le mal que nous ferions à nos enfants en
leur épargnant toute difficulté.
Le théologien protestant,
Antoine Nouis, écrivait : céder à « la tentation de demander à Dieu
de nous épargner toute tentation, ce serait en faire un Dieu en guimauve dont
le royaume ne serait fait de coton et de sucre d’orge… » Si lui adressons
cette demande, c’est par humilité, car nous reconnaissons la fragilité de notre
humanité, ce que rappelle d’ailleurs un Psaume : il sait bien de quelle pâte nous sommes faits, il
se souvient que nous sommes poussière. (103, 14)
En tout cas, il y a
quelque chose ou quelqu’un dont on ne veut pas clairement ! Le mauvais, le
Malin ! Le mot ponèros dans l’Evangile de Matthieu :
« peut désigner soit ce qui est mauvais, défectueux, méchant (5,11 ;
6,23 ; 20,15 ; etc.), soit un homme violent ou méchant
(5,39.45 ; 22,10 ; 7,11 ; etc.), soit le Diable (5,37 ;
13,19.38).
Et là c’est clair, il n’y
a pas de bien dans le mal ! En prononçant cette demande, nous voulons être
arrachés à la puissance diabolique qui agresse le monde et l’Eglise ! Et
nous affirmons que nous ne sommes pas le jouet d’un combat entre le bien et le
mal…et notre foi en Dieu.
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