lundi 30 août 2021

« Voulez-vous un café ? Servez-vous en biscuits ! » (Republication de l'été)

(22 janvier 2021 - Je publiais ici un article de "La Vie Protestante")

L’entrée en matière amicale d’Eric Imseng est toujours très appréciée des détenus. "Ils me disent combien cet accueil est important pour eux."

La plupart sont cantonnés 23 heures par jour dans une cellule à plusieurs places. La surpopulation carcérale complique tout et allonge les délais. Une vingtaine de prisonniers figurent sur la liste d’attente pour voir un aumônier.

Les plus assidus, Eric Imseng les rencontre une fois par semaine, durant quelques semaines, et parfois deux, trois, voire même quatre ans! Une durée spécifique aux accompagnements des aumôniers de prison à Genève. 

"J'ai l'habitude de dire que ce sont eux les « patrons »" de ce qui se vit durant ces entretiens: "Je n’ai pas d’attente envers eux, j'offre juste une "oreille nue" pour les entendre. C’est un espace privilégié de rencontre, car nous sommes en tête-à-tête. Leur parole est libre".  

Cela peut paraître simple... Mais c'est justement cela qui fait la richesse de ce qui est partagé. "Ils peuvent être eux-mêmes et nous plaisantons parfois ensemble. C’est un des rares endroits où ils n’ont rien à justifier". Dans ce lieu clos qu’est la prison, beaucoup traversent des périodes d’anxiété et de détresse. Y arriver est stressant, tout comme en partir.

L’aumônier rencontre entre 70 et 80 détenus par année, de toutes les religions de toutes les confessions - et de toutes les convictions! Il propose une écoute, une assistance et un accompagnement spirituel, le tout avec empathie: "Je les accompagne tout au long de leur cheminement en les acceptant tels qu’ils sont et au stade où ils en sont. Nous explorons ce qu’ils vivent et comment ils gèrent leur quotidien. Nous parlons aussi de ce qui s’est passé et je les aide à envisager l’avenir hors de la prison."

Eric Imseng ne parle religion que si cela vient d’eux, avec une préférence pour les psaumes et le Nouveau Testament. Leur entretien se termine alors par une prière. Parfois, ce cheminement peut aboutir à leur procurer une Bible: "Sa lecture est une source de stimulation pour réfléchir sur soi et se projeter. Elle ouvre des perspectives. Mais je leur propose également des ouvrages de développement personnel par exemple, selon les questions ou difficultés qu'ils rencontrent. il y n'a a pas d'intention prosélyte dans notre action." 

Notre Charte de l'Aumônerie œcuménique des Prisons précise en une ligne notre engagement: "Offrir une présence humaine, un accueil et un accompagnement en milieu carcéral, dans un esprit d'ouverture aux diverses confessions, religions et convictions."



samedi 28 août 2021

Le prix de la grâce

Le prix de la grâce est le titre d’un livre de Dietrich Bonhoeffer, le fameux théologien et pasteur de l'Eglise confessante d’Allemagne, pendant le régime hitlérien, dans les années 30.Dans son livre, il revendique la grâce comme étant coûteuse ! Il appelle à une réflexion renouvelée sur le Christ et la vie de disciple, car il s’agit de prendre conscience des exigences de la grâce divine, alors que l’Eglise allemande lutte contre sa mise au pas par le régime nazi.

Dès les premières lignes, il affirme avec vigueur : La grâce à bon marché est l’ennemie mortelle de notre Eglise. Actuellement, dans notre combat, il en va de la grâce qui coûte. La grâce à bon marché, c’est la grâce considérée comme une marchandise à brader… une grâce sans aucun prix, sans aucun coût !

Courte prédication offerte aux détenu.e.s des prisons de Genève. Lecture de l'Evangile: Luc 7,36-50 (la femme au parfum).

Et la grâce à laquelle nous assistons dans l’Evangile de Luc est bien de celles qui coutent ! Au cours d’un repas chez un chef religieux, une scène surprenante : l’irruption d’une femme, dite pécheresse, que personnes ne souhaite voir ici ; de plus, elle prodigue sur Jésus des gestes inopportuns, un peu érotiques même… et elle verse beaucoup de larmes et répand tout autant de parfum ! Remplissant la demeure de Simon le Pharisien, de parfum et de gêne… Mais, plus déconcertant encore, il y a l’attitude de ce prophète de Nazareth, qui ne la repousse pas ni ne condamne ses gestes !

Et alors que le chef religieux qui l’accueille est en train de douter de sa crédibilité, Jésus propose un récit. Mais il ne raconte pas simplement une histoire pour calmer les gens, il donne à cette situation surprenante un sens qui est une bonne nouvelle, celle du Royaume de Dieu ! Mais son récit, sa parabole, va dire aussi combien elle en coûte pour être accueillie !

Il y a deux débiteurs, dont l’un doit 500 pièces d’argents (18 mois de salaire de l’époque !) et l’autre dix fois moins. On annule leur dette à chacun, car aucun d’eux ne peux payer. Et Jésus questionne : entre celui qui doit beaucoup d’argent et celui qui en doit peu, lequel sera le plus reconnaissant ? Celui à qui l’abandon de sa dette aura… le plus coûté !

Mais pour que les comptes soient bons, il faut… que le regard change. Et Jésus interpelle : Tu vois cette femme ? Pas seulement, la vois-tu, mais regarde-là profondément ! Laisse ses gestes parler à ton cœur, à ta compassion… cesse d’enfermer cette femme dans une catégorie qui t’enferme toi aussi dans la peur et l’aveuglement… Cesse de juger sans savoir, sans aimer !

Aimer est un mot important de ce récit : Celui à qui l’on pardonne peu, aime peu. La mesure de l’amour semble liée à la quantité de pardon accordé… et reçu mais, nous le voyant par l'exemple de cette femme, cette grâce est accordée pour remplir de reconnaissance et non de honte !

Ses gestes, jugés scandaleux, sont l’expression de sa gratitude et de son amour ! Et s’ils paraissent excessifs, c’est que le pardon accordé l’est également ! Et faut-il rappeler le prix qu’il coûtera à celui qui va le lui accorde ?

Et le dernier coût de cette grâce est dans l’affirmation de Jésus …tes péchés sont pardonnés. Jésus est bien plus qu’un prophète, ignorant les règles de pureté religieuse, il affirme ici son autorité de Fils : Le Fils de l’Homme a le pouvoir de pardonner les péchés. (Mt 9,6)

Puis, il ajoute : Va en paix. Ta foi t’a sauvée… et cette parole de Jésus dit encore le prix de la grâce, car la voilà désormais libre et responsable de reprendre le cours de sa vie… en personne graciée par le Christ.

Dietrich Bonhoeffer écrivait encore : La grâce coûte cher, parce qu’il faut porter le joug d’une marche à la suite de Jésus Christ, mais c’est encore une grâce, car il ne faut pas oublier cette parole de Jésus : Mon joug est doux et mon fardeau léger. (Mt 11,30)

Allons en paix… notre foi nous a sauvé !



mercredi 25 août 2021

Comme une fenêtre ouverte sur la liberté. (Republication de l'été)

(8 décembre 2020)

À mon retour de vacances, il y a désormais, lors de mes entretiens avec les détenu.e.s, un petit rituel : leur décrire les lieux où j'étais, en dégustant une spécialité du coin que j'ai ramenée, ceci autour d’un thé ou café. 

Et pourtant, lorsque j'entendis pour la première fois la personne détenue m'interroger: "Et vos vacances, ce sont-elles bien passées?" J’avais répondu rapidement à la question : "Très bien, merci" et préféré m’engager sur un autre sujet. 

Cependant, je lisais une certaine déception sur son visage et elle revint à la charge: "Et il a fait beau ?"

Je pensais intérieurement : « Attends, je ne vais tout de même pas raconter comment j’ai passé de belles vacances à quelqu’un qui en est privé : c’est trop cruel !

Mais je perçois que c’est important et me lance dans quelques souvenirs de vacances. Ses yeux s’ouvrent alors et son cœur de même... et il n'est plus question de cruauté, mais je joie partagée. 

Je réalise, en cet instant, que je suis comme une fenêtre ouverte sur la liberté !

Depuis, je ramène à chaque fois quelques biscuits de la région visitée, et les partage simplement autour d'un café. J'y ajoute même quelques photos de paysages.

Et nous partageons un moment unique de curiosité joyeuse, de complicité, de réconfort...

Je suis le passeur étonné de la vie du dehors!


 

jeudi 5 août 2021

"Surpris par la joie" (Republication de l'été) "Je ne serais pas l'homme que je suis sans cet instant"

(2 décembre 2020)

C’est lors de mes études d’art dramatique (à la Haute école de théâtre de Genève, dans les années 80) que mon cheminement spirituel a débuté. 

Lors d’un cours de dramaturgie (un séminaire de formation à la mise en scène) notre professeur utilisait comme outil pédagogique des exemples de peintures religieuses pour nous faire observer comment les peintres avaient « mis en scène » des textes bibliques. Les exemples étaient pris dans le Nouveau Testament, en particulier le dernier repas de Jésus avec ses disciples.

A la suite de ce cours, je formais le projet de lire les Évangiles pendant mes vacances d'été, par curiosité intellectuelle et du fait qu’un grand nombre d’œuvres artistiques en Europe (peinture, musique, théâtre) s’en étaient inspirées.

Mais cette lecture des Évangiles me surpris et me toucha bien plus profondément que je ne l’avais prévu. Au lieu d'un livre ne contenant que de « pieux conseils » que j’imaginais, je découvrais un passionnant récit d'une vie de Jésus de Nazareth et sa lutte pour éveiller en nous le meilleur d’une vie consacrée à Dieu.

Les Évangiles devinrent ainsi mon livre de chevet. Au cours de mes lectures, mon intérêt et mon affection pour ce « Jésus de Nazareth » grandissait. Je découvrais une confiance toujours plus libre et intime en sa personne. Et c'est en lisant un chapitre de l’Évangile selon Jean, que ma vie fut bouleversée.

J'aimais lire le chapitre 17 de cet Évangile qui présente Jésus priant pour les siens. Je me reconnaissais d'ailleurs tout à fait dans les "siens", je cherchais même à vivre comme un disciple de Jésus. Et pourtant, si l'on m'avait posé la question alors, je ne me serais pas définit comme chrétien. Pour moi, je cherchais simplement à vivre, dans ma vie quotidienne, les paroles et les gestes de Jésus. J'ignorais totalement alors que c'était sans doute la meilleur définition d’un chrétien que l'on puisse faire!

Mais ce jour-là, je lisais ces paroles de Jésus priant, en parlant de ses disciples justement : "Je t'ai fait connaître à ceux que tu as pris dans le monde pour me les confier. Ils t'appartenaient, tu me les as confiés, et ils ont obéi à ta parole. Ils savent maintenant que tout ce que tu m'as donné vient de toi, car je leur ai donné les paroles que tu m'as donnée, et ils les ont accueillies. Ils ont reconnu que je suis vraiment venu de toi et ils ont cru que tu m'as envoyé." (Évangile selon Jean, 17,7-8)

Et soudain, ce fut comme un brusque coup de vent en mon être intérieur ! Ces mots me parlaient, ce jour-là, avec une clarté et une joie que je n’avais pas connues jusqu’alors - et avec quelle force? Ils ne me soufflaient rien de moins que Jésus était « venu de Dieu », et qu’il était Dieu ! Un Vivant au-delà du vivant, qui m’accueillait et m’aimait inconditionnellement. Le Dieu du ciel venait inonder de son amour ma vie d’humain sur terre : j’étais dans le Christ, et le Christ était en moi.

Ce bouleversement intérieur ne m’a plus quitté depuis ce jour, en 1984. Et cette conviction que Dieu est amour, et que le Christ nous fait la grâce de le vivre dans une humble confiance du cœur, est sans doute au cœur de chacun de mes gestes et chacune de mes paroles, aujourd’hui.

 
Je dois mon titre "Surpris par la joie" à Clive Staples Lewis, plus connu sous le nom de C. S. Lewis, pour son ouvrage autobiographique. Il fut un écrivain et universitaire britannique. Connu pour ses travaux sur la littérature médiévale, ses ouvrages de critique littéraire et d'apologétique du christianisme, ainsi que pour la série des Chroniques de Narnia. Il est un auteur que j’apprécie et que je relis toujours très volontiers.
 

lundi 2 août 2021

Ton enfant intérieur...

Je vous invite à écouter ces mots du poète Khalil Gibran : Le musicien peut chanter pour vous la plus belle des mélodies qui est dans l’univers. Mais il ne peut pas vous donner l’oreille qui en saisira la beauté. Cette citation est tirée d’un recueil de textes poétiques qui a été très populaire dans les années 1960 : le Prophète. Ce Prophète nous avertit qu’aussi belle que puisse être la musique, elle ne peut rien de plus sans quelqu’un disposé à l’entendre et à l’apprécier. Une parole qui peut rester un cri dans le désert ? Vous entendez sans doute comme moi, un des prophètes, cités dans nos lectures de ce matin - et pas des moindres : Jean le Baptiste !

Dans le texte de Luc, nous lisons. La parole fut adressée dans le désert à Jean, littéralement, cette parole est sur lui : nécessaire, urgente, inspirée. C’est l’appel d’un grand prophète, selon les mots mêmes de Jésus : Parmi ceux qui sont nés de femmes, il n’y en a point de plus grand que Jean. Et cependant, poursuis Jésus, le plus petit dans le Royaume de Dieu est plus grand que lui ! (Lc 7,28). C’est dire l’importance pour nous d’entendre et d’accueillir cette parole de Dieu adressée à la communauté de foi que nous formons ici ce matin. En réalité, il n'est pas nécessaire de ressembler à ces prophètes donnant la parole de Dieu, mais c'est à la vivre en profondeur dans notre vie que nous sommes appelés.

Courte prédication offerte aux personnes détenues à Genève. Textes bibliques: Ésaïe 2,12-18; 20,3-5 et Évangile de Luc 3,1-6.

Écoutons maintenant le prophète Ésaïe. Au cœur de cette parole, de surprenants bouleversements géographiques : Des sentiers corrigés, des ravins comblés, des montagnes abaissées. Cette description n’est pas un cataclysme, elle a un sens symbolique : Dieu vient abaisser les grandeurs terrestres, les puissances humaines et leurs pouvoirs orgueilleux. Le Seigneur vient élever ce qui est humble, fragile, souvent ignoré, quand ce n’est pas méprisé ! En somme, c’est à l’humilité que ces bouleversements nous appellent.

Le cantique de Marie le dit à sa manière, lorsqu'elle jubile : Il a jeté les puissants à bas de leurs trônes et il a élevé les humbles (Lc 1,52). Mais il ne s'agit pas d'une vengeance des faibles sur les forts, cela concerne des hommes et femmes sans autre pouvoir particulier – comme nous. Dans une parabole, Luc rapporte cette conclusion de Jésus : Car tout homme qui s’élève sera abaissé et celui qui s’abaisse sera élevé (Lc 14,11). Plus qu'une menace, c'est un appel exigent du Christ à accueillir les vertus de l'humilité pour qu'elle fasse fructifier notre autorité spirituelle.

Dans la finale de la citation du prophète Ésaïe, alors que les autre Evangiles ne citent que les bouleversements géographiques, Luc poursuit cette citation jusqu’à ces mots : … et tous verront le salut de Dieu. Une manière de souligner la dimension universelle du salut en Jésus Christ. Voir ce salut de Dieu pour tous les peuples, dans la présence d'un petit enfant, vulnérable et discret, cela commence par l'accueillir dans notre vie intérieure. Et voir grandir notre enfant intérieur, dans sa force fragile comme dans sa joie créative. En cet instant, laissons-le reposer dans l’intimité de notre être, comme Siméon l'avait tenu au creux de ses bras « ce salut que Dieu a préparé à la face de tous les peuples » (Lc 2,30-31).



mardi 27 juillet 2021

Humble et libre... Ecouter (Republication de l'été)

(23 novembre 2020)

Car, si notre accompagnement a ses règles (et dans le monde carcéral, ce mot a un poids très particulier!), notre écoute se veut libre, comme une "oreille nue" (selon l'expression de Maurice Bellet1). 

Mais si elle est sans jugement ou volonté excessive, notre écoute n'en est pas moins sans intention : elle est "vivante et sensible"... 

Et si la confiance qui nous lie à la personne détenue n'est pas "aveugle" (je n'aime guère l'expression d'ailleurs...), elle rejoint ce que je vis dans la foi: une confiance qui ne repose pas sur des preuves uniquement perceptibles à la vue, mais sur un discernement, une perception spirituelle - et parfois instinctive - qui nous ouvre à un lien authentique avec l'existence d'autrui pour en découvrir le meilleur.

Ainsi, l’ignorance que j'ai sur les raisons qui ont conduit une personne détenue en ces murs n'est pas un handicap... au contraire, elle est le gage d'une écoute première, humble et spontanée, aussi économe en moyens qu'elle sera fructueuse en effets.

A une personne détenue s’interrogeant sur ce qu’elle pouvait me dire au cours de nos entretiens, je résumais : 

« Vous pouvez tout me dire, mais je n’ai pas besoin de tout savoir pour vous accompagner ici... »

J'écrivais, dans un article, paru dans l'ouvrage réalisé pour les 40 ans de la prison de Champ-Dollon, à Genève:  

"C'est un aspect important de mon activité d'aumônier que celui de l'écoute. Simple et complexe à la fois, l'écoute, c'est n'avoir ni volontarisme ni jugement. Il y a en amont de la disponibilité de l'écoutant, un travail important d'allègement, un émondage, pour parvenir à une écoute réelle. Il s'agit d'abandonner un certain nombre de savoirs et de vouloirs pour être là, à l'écoute. A l'écoute de la vie, de la mort, de la peur, de la colère et autant de réalités humaines présentes en prison, et que je rencontre avec beaucoup d'humilité. Car j'ai appris qu'une écoute qui sais n'entend plus."

L’essentiel de l’écoute n’est pas d'abord dans la sécurité des mots ni des savoirs techniques.

Et la confiance mutuelle ne se négocie pas comme un achat …


Détail du David de Michel Ange (1501 et 1504) Galleria dell’Accademia de Florence

1Maurice Bellet, né le à et mort le à Paris. Prêtre catholique français, docteur en philosophie et en théologie et formé à l'écoute psychanalytique, il est l'auteur d'une cinquantaine d'ouvrages de théologie, psychanalyse et philosophie.

jeudi 22 juillet 2021

L’ami.e aime en tout temps.

Un jour, dans mes lectures, j’ai découvert le témoignage de cet enfant.

Ma mère a toujours cuisiné de bons petits plats. Mais un jour, elle déposa devant mon père une tarte brûlée. J’ai attendu de voir ce que mon père dirait. Mais il a simplement mangé sa tarte et demandé comment s’était passé ma journée. Ensuite, j’ai entendu ma mère s’excuser pour son dîner. Je n’ai pas oublié la réponse de mon père : chérie, j’ai aimé ta tarte.

Plus tard, j'ai demandé à mon père s’il avait dit la vérité. Alors, il posa sont bras sur mon épaule et me dit : ta mère a eu une longue journée. La tarte brûlée ne m’a pas fait mal, mais un mot dur de ma part lui aurait fait vraiment mal. On commet tous des erreurs, il est plus important de soutenir ceux que l’on aime.

Courte prédication, partagée avec les détenu.e.s des prisons à Genève. Textes bibliques : Ésaïe 54, 1-14 et Luc 4, 16-23.

Cette histoire est touchante... et vous, qu’elles sont vos sentiments en l’entendant ? (Échanges avec les détenu.e.s)

Cette histoire me touche par ce qu’elle ne dit pas : pas d’irritation, pas de reproches ni de paroles blessantes. Une petite histoire d’amour entre deux êtres qui se respectent

Cette histoire de couple à quelque chose de commun avec celle que nous lisons dans ce passage du livre d’Ésaïe. L’une et l’autre ont une valeur symbolique, spirituelle. Elles sont là pour nous inspirer. Elles nous interpellent premièrement sur la qualité de nos relations.

Arrêtons-nous sur une phrase importante du texte d’Ésaïe : Quand les montagnes feraient un écart et que les collines seraient ébranlées, mon amitié loin de toi jamais ne s’écartera et mon alliance de paix jamais ne sera branlante.

Le Seigneur fait une promesse qui nous donne confiance, et plus encore lorsque nous passons par des moments difficiles. Un Dieu qui déclare son amitié ! Peut-on imaginer cela ?

Voici une icône que l’on appelle l’icône dite de l’amitié du Christ.

Cette icône vient d’un monastère en Égypte. Étonnant cette main de Jésus posée sur l’épaule de cet homme... On y a vu le signe de l’amitié du Christ pour chacun-e de nous !

C’est le moment de s’arrêter sur la déclaration de Jésus dans cette synagogue de Nazareth : L’Esprit du Seigneur est sur moi et il m’a conféré l’onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. … proclamer une année d’accueil par le Seigneur. »

Au cœur de cette parole de Jésus : il y a cet accueil par le Seigneur – on l’a traduit aussi par grâce ! Oui, Jésus annonce un temps de bienveillance de Dieu! Un temps de grâce envers nous tous est accompli ! Désormais nous pouvons vivre la réconciliation plutôt que la colère, l’amour plutôt que la haine, le pardon plutôt que la violence !

La tarte brûlée ne m’a pas fait de mal, mais un mot dur de ma part lui aurait fait plus de mal. Ce mari a décidé de retenir ses émotions, en choisissant de considérer le besoin de son épouse.

À notre tour, partageons entre nous des paroles et des gestes de bonté, de fraternité ; acceptons la volonté de tendresse de Dieu envers nous, quel que soit les pensées de notre cœur ; réjouissons-nous sans cesse de cet accueil favorable du Seigneur quel que soit notre situation.

Et je conclus en chantant pour vous ce cantique de Taizé : Toi, tu nous aimes, source de vie, comme une simple parole qui dit l’essentiel du désir du Seigneur envers nous. Et vous pouvez le chanter avec moi si vous le souhaitez. 


mercredi 21 juillet 2021

La dignité de l'humain (Republication de l'été)

(9 novembre 2020)

Les Diachroniques se veulent de courts articles de réflexion et de témoignage inspirés par mon activité d'accompagnant spirituel auprès des personnes détenues dans les prisons à Genève. 

Partant de "Dia" - en grec "au travers", pour faire ensuite un petit détour par le mot "diaconie" (engagement spécifique à mon service diaconal) et parvenir enfin à "chronique" dont un des sens peut être, selon le Robert: le récit d'événements réels ou imaginaires qui suit l'ordre du temps. Mais encore, dans un sens plus technique, diachronique signifie "Qui concerne l'appréhension d'un fait ou d'un ensemble de faits dans son évolution à travers le temps." 

C'est ici un premier article, et j'ai souhaité lui donner pour "dédicace" un extrait de Maurice Zundel (dans "Vie, mort et résurrection), dont le sens de l'humanité du Christ, et de sa compassion, nous a offert des pages d'une spiritualité profonde et authentique. Dont acte:

"La dignité de l'humain.
 
... Pour celui qui n'a pas senti cette valeur dans l'humain, qui ne s'est pas incliné devant ce secret inexprimable, pour celui qui n'a pas senti un jour dans l'innocence d'un enfant un monde infini, Dieu ne sera jamais qu'une idole. 
 
Les institutions, les rites, les prières, tout cela ne sera qu'une formidable imposture ou une immense illusion, si l'humain n'a pas été reconnu comme tel. Il y a là, une base commune où tous les humains peuvent se joindre, sur laquelle tous peuvent construire, et qui est l'univers de l’Évangile : J'ai eu faim, j'ai eu soif, j'étais en prison, j'étais infirme, j'étais nu et c'était moi en chacun, avec chacun, à travers chacun. 
 
Il n'y a pas d'autres Dieu dans la pensée de Jésus Christ que ce Dieu-là, intérieur à l'humain piétiné, méconnu et méprisé, à l'enfant persécuté, martyrisé et désarmé, à la petite fille dont parle Dostoïevski, qui bat et frappe en vain à la porte des cabinets où elle est enfermée dans le jardin de Moscou en hiver parce qu'elle a mouillé son lit. Elle appelle, elle implore, et personne ne répond. Et pourtant, Dieu entend et crie à travers le gémissement de cet enfant. Dieu nous appelle parce que qu’il a pu naître dans cette dignité fragile et désarmée. C'est là qu'il a pu naître, et c'est là que l'humain apparaît dans ses possibilités inépuisables. 
 
Cet enfant ... porte en lui tout l'espoir, tout l'avenir du royaume de Dieu."
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Illustration: Le bon samaritain. Vitrail de Cantalupo Thierry - IVR24_20113600633NUC2A communication libre, reproduction soumise à autorisation

mardi 13 juillet 2021

"Il est où le bonheur, il est où...?"

Écouter un extrait d’une chanson de variété française : "Il est où le bonheur, il est où?... (De Christophe Maé)

Nous venons d’écouter un extrait d’une chanson de Christophe Maé : Il est où le bonheur, il est où ? Dans les paroles de sa chanson, il parle de tout ce qu’il a tenté de faire pour être heureux, avec plus ou moins de réussite...

Mais le dernier refrain change soudain et il conclue : Il est là le bonheur, il est là ! en laissant entendre que ce bonheur est simple… et qu’on le trouvera tout d’abord en nous !

De tout temps les humains ont questionné le sens du bonheur. Le bonheur, n’est-ce que de se sentir bien ? Le bonheur peut-il n’être qu’une illusion parfois ? Le bonheur est-il vraiment possible ? Saint Augustin écrivait : Le désir de bonheur est essentiel à l’humain… La chose au monde la plus respectable, la plus désirée, la plus constante.

Et voilà que Jésus de Nazareth, lui aussi, y va de "sa petite chanson" : Heureux… Heureux les pauvres de cœur…Il ne dit pas le mot bonheur, mais simplement Heureux. A quoi pense-t-il ? Heureux ? A quel félicité nous invite-t-il ?

Courte prédication offerte aux personnes détenues des prisons à Genève. Évangile selon Matthieu, chapitre 5, versets 1 à 11 (Les Béatitudes).

Arrêtons-nous à cette première déclaration : Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux. Les pauvres de cœur, ou pauvres en esprit, selon les traductions. 

On a reproché à Jésus de valoriser une absence d’intelligence ou d’encourager à vivre dans la fatalité, à se résigner dans la malheur… mais est-ce vraiment son intention ? Le bonheur, selon Jésus, ne paraît pas craindre le manque et il peut le surmonter avec détermination et humilité. Le bonheur selon Jésus est un courage pour vivre les valeurs du Royaume des cieux. Nos actions peuvent être sereines, même lorsque que nous vivons dans l’adversité.

Heureux les pauvres de cœur

Le bonheur selon Jésus est aussi une consolation, une ressource de paix intérieure dans notre quotidien. Le mot grec de nos versions recouvre plus qu’un état émotionnel, mais un dynamisme, il est équivalent à avoir de "la suite dans les idées", comme on dit… pour continuer à vivre selon nos choix. D’où certaines traductions qui ont proposé de traduire Heureux par En marche !

Ainsi quand Jésus prononce ces mots, il ne nous propose pas de petites pilules roses du bonheur. Il s’adresse à notre personne tout entière et nous invite à s’engager à ses côtés !

… Le Royaume des cieux est à eux. 

Encore une précision au sujet de ce Royaume que les pauvres de cœur obtiennent. Est-ce un prix de consolation ? Un peu comme si l'on disait Vous qui êtes dans la misère, consolez-vous : vous aurez au moins le royaume des cieux…? Il n’en est rien : car cette pauvreté ne nous abandonne pas à notre sort, elle nous ouvre plutôt les portes de ce Royaume. Pour un disciple du Christ, avoir le Royaume des Cieux, c’est TOUT avoir, c’est vivre TOUTE la plénitude de Dieu, c’est goûter à TOUTES les richesses spirituelles en Christ !

Ainsi, cette pauvreté de cœur est une exigence d’humilité et de courage pour faire face à la réalité. La pauvreté de cœur ne fait pas de nous des êtres sans ressources, mais des personnes vivantes et riche de l’amour du Christ pour en faire don à autrui. 

Antoine de Saint-Exupéry l’a dit avec ces mots : "Veux-tu être heureux ? Donne du bonheur…"


lundi 5 juillet 2021

Je te rendrai fécond...

Avez-vous entendu parler du film qui s’intitule : LE PRÉNOM ? Pendant un repas de famille, un invité annonce qu'il va appeler son fils « Adolphe ». Crise de fureur de la part des autres invités qui considèrent que ce prénom est impossible à porter depuis Adolf Hitler. La discussion s'envenime et la soirée tourne au règlement de comptes : les non-dits, les vérités de chacun sont dites, et tous finissent par se disputer avec rudesse. 

Ce film a totalisé un peu plus de 3 millions d’entrées. Il a également été nommé à cinq reprises aux Césars. Et il a remporté deux prix : celui du meilleur acteur et de la meilleure actrice dans des seconds rôles !

Un tel succès rappelle qu'un prénom est porteur de sens. On ne peut pas donner à un enfant n’importe quel prénom ! Certes, le climat de l’Évangile que nous lisons est un peu plus serein, bien que la fête de famille chez Zacharie et Élisabeth n’est pas sans étrangetés ni tensions !

Courte prédication, partagée avec les détenu.e.s des prisons à Genève. Évangile de Luc 1,57-66.

Luc nous présente un récit tout à fait captivant. Il joue sur le contraste entre une fête de famille apparemment comme les autres, et pourtant pas du tout comme les autres ! Tout le monde est là pour circoncire cet enfant et célébrer ainsi son entrée dans l’Alliance de Dieu.

Mais cela fait-il oublié que le père est muet depuis plusieurs mois ? Les lecteurs de l’Évangile de Luc ont encore en mémoire le récit de l’apparition de l’ange à Zacharie, dans le Temple. Ils n’ont pas oublié que ce prénom qui va être donné à l’enfant, et contraire à la coutume de cette époque, vient de plus loin, de plus haut… d'un messager de Dieu. Un prénom qu’Élisabeth va imposer et que Zacharie confirme en l’écrivant sur une tablette.

Et quel prénom ? Pas aussi choquant que celui de notre film, mais pas moins capable de susciter beaucoup d’émotions! Son nom est Jean, ce qui signifie Dieu fait grâce Un prénom qui proclame l’amour de Dieu pour son peuple, sa bonté envers ce couple, et la grâce qu’il prépare pour toutes les nations : Et toi, mon enfant, tu seras prophète du Dieu très-haut, car tu marcheras devant le Seigneur pour préparer son chemin.

Mais pour goûter à l'hardiesse de ces parents, se laisser toucher par l'exultation de ce père, il faut revenir au commencement de leur histoire : leur stérilité ! Elle est attribuée à Élisabeth, mais que sait-on à cette époque de la stérilité masculine ? Ce qui est déterminant ici, est qu’elle est vaincue ! Ce corps qui semblait ne pouvoir faire naître le précurseur du Messie est libéré ! 

Élisabeth et Zacharie quittent la stérilité de leur foi en Dieu comme on sort de prison : avec joie et anxiété, avec des projets et des hésitations. Mais leur vie reprend son cours, dans la joie et la foi en Dieu! Et si je peux en parler ainsi, c’est grâce à vous, par ce que vous m’avez appris en étant auprès de vous, lorsque nous cherchons ensemble à retrouver la fécondité d'une vie, lorsque nous cherchons ensemble une confiance nouvelle qui vaincra la stérilité des pensées, des émotions, que ce soit dans le quotidien comme à l’avenir !

Le chemin de foi d’Élisabeth et Zacharie à débuté par la parole de l’ange annonçant la vie et invitant à la foi. Et je me suis rappelé qu'Anselme Grün a écrit des souhaits spirituels adressés à des anges et partagés comme des prières. 

Je conclue avec l'une d'entre elles, qui parle de confiance justement : Je te souhaite l’ange de la confiance. (…) Je souhaite que, grâce à lui, tu ne puisses perdre à jamais ta confiance même si quelqu’un te déçoit. Que l’ange de la confiance t’accompagne et ne cesse de t’encourager à te fier à toi-même et à ne pas craindre d’accorder ta confiance à autrui. (…) Je te souhaite un ange qui apporte une base solide à ta confiance en la vie.

 


 

vendredi 25 juin 2021

Paroles de détenus...

Sur le seuil d'une période de vacances (jusqu'au 12 juillet), je partage avec vous un florilège de paroles de détenus glanées au fil des rencontres ou de courriers.

Bel été

 

"Je ne désire rien d'autre que d'être ce que je suis: homme d'ombre, fils de lumière.

Dieu connaît mon chemin, ma vérité, ma vie"

(Stéphane)

 

« J'aimerais être un oiseau et battre des ailes jusque vers le Père.

Je lui parlerais, il me répondrait,

heureux serait mon cœur.

Puis je reviendrais vous apporter sa miséricorde :

heureux seraient nos cœurs.

Suivant le vent, suivant le temps, je retournerais là-haut,

où il n'y a rien de ce monde.

Puis, je reviendrais déposer en vous la lumière,

et vous seriez ce que vous voulez être dans ce monde... »

(Christian)

 

« Combien de fois j'ai voulu dire ''Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font'' ? Mais les mots ne sont pas venus, non. A chaque fois, quittant le tribunal, je me suis contenté de regarder le ciel, puis mes menottes. Et je suis monté dans le fourgon la tête haute, mais le coeur au fond des bottes: Seigneur, ne m'abandonne pas, regarde-moi ».

(Serge)

 

« Jésus,

prends ma vie d'avant, les gestes faux, les mots violents.

Prends ce court instant, ce petit bout de temps, où tout a basculé, quand ma main a tiré.

Ces trois secondes de fin du monde.

Jésus,

prends ma main d'assassin, et guide la, enfin, vers la vie ».

(Yves)

 


 

 

Pour vivre l'Evangile du Ressuscité: être chaussé de bonnes lunettes et bonnes chaussures !...

Prédication de ce dimanche, partagée avec la communauté paroissiale de Lutry-Belmont. Texte du jour: Evangile de Luc, chapitre 24, 35-48. Av...