jeudi 8 septembre 2022

D'humain à humain... En toute liberté!

(Extrait d'un article sur mon travail) : 

... La spécificité du rôle d’aumônier dans les prisons, ce suivi sur deux ou trois ans qui n’existe pas dans les autres ministères, il le redoutait un peu. Qu’allaient-ils bien pouvoir se dire ? Une appréhension bien vite dissipée. « La durée nourrit ce qui se dit. Une sorte de fidélité mutuelle se crée. Il y a une vraie force, de la beauté et de la profondeur dans ces moments que nous partageons. Ma position est intéressante puisque je n’attends rien des détenus. Je suis libre de leur tendre une « oreille nue ». Je n'ai aucun lien direct avec ce qui leur est reproché », explique Eric Imseng.

Dans son travail d’aumônier en prison, il rencontre le mystère humain, ce dont il est capable, le pire comme le meilleur. Il se consacre à la personne, pas à ce qui l’a conduit entre ces murs. « Chacun reste un être humain même si ce qu’il a fait est inhumain. Il faut aller au-delà de cela. » Il écoute avec empathie les détenus, qu’ils croient en Dieu ou pas.

Ce chemin vers la reconstruction, avec des êtres privés de liberté mais pas de vie, ils le parcourent ensemble. « La vie est la même que dehors, sauf qu’elle est circonscrite. Elle doit demeurer au-delà des faits. Certains n’osent plus après les actes pour lesquels ils ont été condamnés. Il faut alors les remettre en route. Sinon, le projet carcéral n’a aucune chance. J’amène aux détenus quelque chose de dehors ; eux m’en apprennent beaucoup sur la vie », précise l’aumônier. Il voit beaucoup de détresse et autant de courage.

Certains mots le marquent plus que d’autres, tels le « je me sens humain avec vous », à la fois heureux et terrible à entendre.


La véritable humanité du Christ, par Albrecht Durer.

samedi 27 août 2022

« Voulez-vous un café ? Servez-vous en biscuits ! » (Une republication de l'été)

(Je publiais un article de "La Vie Protestante" sur mon activité d'accompagnement spirituel dans les prisons - 22 janvier 2021)

L’entrée en matière amicale d’Eric Imseng est toujours très appréciée des détenus. "Ils me disent combien cet accueil est important pour eux."

La plupart sont cantonnés 23 heures par jour dans une cellule à plusieurs places. La surpopulation carcérale complique tout et allonge les délais. Une vingtaine de prisonniers figurent sur la liste d’attente pour voir un aumônier.

Les plus assidus, Eric Imseng les rencontre une fois par semaine, durant quelques semaines, et parfois deux, trois, voire même quatre ans! Une durée spécifique aux accompagnements des aumôniers de prison à Genève. 

"J'ai l'habitude de dire que ce sont eux les « patrons »" de ce qui se vit durant ces entretiens: "Je n’ai pas d’attente envers eux, j'offre juste une "oreille nue" pour les entendre. C’est un espace privilégié de rencontre, car nous sommes en tête-à-tête. Leur parole est libre".  

Cela peut paraître simple... Mais c'est justement cela qui fait la richesse de ce qui est partagé. "Ils peuvent être eux-mêmes et nous plaisantons parfois ensemble. C’est un des rares endroits où ils n’ont rien à justifier". Dans ce lieu clos qu’est la prison, beaucoup traversent des périodes d’anxiété et de détresse. Y arriver est stressant, tout comme en partir.

L’aumônier rencontre entre 70 et 80 détenus par année, de toutes les religions de toutes les confessions - et de toutes les convictions! Il propose une écoute, une assistance et un accompagnement spirituel, le tout avec empathie: "Je les accompagne tout au long de leur cheminement en les acceptant tels qu’ils sont et au stade où ils en sont. Nous explorons ce qu’ils vivent et comment ils gèrent leur quotidien. Nous parlons aussi de ce qui s’est passé et je les aide à envisager l’avenir hors de la prison."

Eric Imseng ne parle religion que si cela vient d’eux, avec une préférence pour les psaumes et le Nouveau Testament. Leur entretien se termine alors par une prière. Parfois, ce cheminement peut aboutir à leur procurer une Bible: "Sa lecture est une source de stimulation pour réfléchir sur soi et se projeter. Elle ouvre des perspectives. Mais je leur propose également des ouvrages de développement personnel par exemple, selon les questions ou difficultés qu'ils rencontrent. il y n'a a pas d'intention prosélyte dans notre action." 

Notre Charte de l'Aumônerie œcuménique des Prisons précise en une ligne notre engagement: "Offrir une présence humaine, un accueil et un accompagnement en milieu carcéral, dans un esprit d'ouverture aux diverses confessions, religions et convictions."



vendredi 19 août 2022

Quand Jésus relève un salaud en le faisant descendre de sa cachette...

En méditant ce texte, j ’ai pensé donner ce titre à cet épisode : Quand Jésus relève un salaud en le faisant descendre de sa cachette. Ce titre en un peu cru, c’est vrai, mais il a l’avantage de nous rappeler clairement ce que l’on pouvait penser de Zachée au temps de Jésus !

Courte prédication offerte aux détenu.e.s des prisons à Genève. Evangile du jour : Luc 19,1-10 (Jésus rencontre Zachée)


Zachée est le genre de personne que l’on accusait (avec raison d’ailleurs) de profiter de leur travail pour s’enrichir malhonnêtement. De plus, il collaborait avec l’occupant romain (en lui versant l’impôt dû à César) et, pour couronner le tout, il était un « mauvais pratiquant » de la loi de Moïse ! Comme on dit : « On ne peut pas faire mieux en mal ! » Et inutile de préciser que Zachée était détesté de la population.


Mais Jésus montre, dans les Evangiles, une ouverture à rencontrer de genre de personne, ceci au mépris de la règle des rabbins de s’abstenir de tout lien avec eux. Jésus, non seulement les rencontre, mais il mange avec eux. Or, « manger avec des pêcheurs », c’est être en communion avec des gens jugés impurs, et de fait, devenir impur soi-même ! Cette ouverture de Jésus lui vaudra le reproche d’être « l’ami des gens de mauvaise vie, l’ami des pécheurs. » ! (Lc 7,34)


C’est peut-être cette réputation qui a fait l’intérêt de Zachée pour Jésus ? Ou bien, était-ce la gêne de s’intéresser publiquement à Jésus ? Ou encore, voulait-il « voir sans être vu » en venant se cacher dans ce sycomore ? Mais cela ne marche pas : il est repéré ! Dans le fond, on ne peut pas s’intéresser à Jésus sans conséquences. S’intéresser à Jésus, c’est provoquer le sens profond de sa mission. Il l’affirme clairement dans l’Evangile de Jean : « Tous ceux que le Père me donne viendront à moi, et celui qui vient à moi, je ne le rejetterai pas… » (Jn 6, 37-38).


L’accueil de Jésus produit un scandale pour la foule en même temps qu’un bouleversement profond chez Zachée. Jésus lui adresse un « Il me faut aujourd’hui demeurer dans ta maison » (5). Pas seulement prendre un pot dans un bistrot… Non : « demeurer dans ta maison » !


Le Christ vient dans la demeure de Zachée comme il vient dans son être intime et profond. Il le fait descendre de sa cachette, il le fait quitter sa honte, il l’appelle à venir au grand jour, à quitter cette vie où il dérobe la richesse des autres pour cesser de se dérober à la vraie richesse qui est à lui ! Jésus débusque ce pécheur caché, Jésus parle à cet homme rejeté par tous, Jésus passe outre tous les reproches légitimes que l’on pourrait lui faire pour entrer chez lui !


Et la réaction de Zachée ne se fait pas attendre :  il descend de son arbre « tout joyeux » (6), comme s’il attendait que cela ! Comme si on lui offrait enfin une porte de sortie !


On ignore tout de qui s’est passé et dit dans la maison de Zachée… Mais on connait le changement : le don que Zachée fait aux pauvres et, plus encore, la réparation des torts fait aux autres, et bien au-delà de ce que la loi exigeait ! Zachée est touché par la grâce et il fait grâce… Son pardon lui ouvre les portes de la bonté, de la générosité. Il ne dérobe plus pour lui-même, il donne de lui-même. Il ne vit plus pour lui-même, il vit de la vie du Christ !


Et cela rejoint les derniers mots de Jésus dans cet épisode : « Aujourd’hui le salut est entré dans cette maison (…) En effet, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » (9-10) La clé de cet accueil qui fait tant « murmurer » les bien-pensants est là, et Jésus le dira tout aussi clairement dans un épisode similaire de l’Evangile de Marc,: « Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades ; je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs. » (Mc 2,17).


Jésus n'appelle pas bien ce qui est mal, mais il affirme ce que le bon sens devrait nous rappeler : comment un malade pourrait-il guérir s’il ne voit pas un médecin ? Comment sauver ce qui était perdu sans aller à sa recherche ? Comment un salaud pourrait-il abandonner le mal qu’il fait sans être rencontré dans la vérité de l’amour ?




vendredi 12 août 2022

Le prix de la grâce (Une republication de l'été)

(le 28 août 2021)

Le prix de la grâce est le titre d’un livre de Dietrich Bonhoeffer, le fameux théologien et pasteur de l'Eglise confessante d’Allemagne, pendant le régime hitlérien, dans les années 30.Dans son livre, il revendique la grâce comme étant coûteuse ! Il appelle à une réflexion renouvelée sur le Christ et la vie de disciple, car il s’agit de prendre conscience des exigences de la grâce divine, alors que l’Eglise allemande lutte contre sa mise au pas par le régime nazi.

Dès les premières lignes, il affirme avec vigueur : La grâce à bon marché est l’ennemie mortelle de notre Eglise. Actuellement, dans notre combat, il en va de la grâce qui coûte. La grâce à bon marché, c’est la grâce considérée comme une marchandise à brader… une grâce sans aucun prix, sans aucun coût !

Courte prédication offerte aux détenu.e.s des prisons de Genève. Lecture de l'Evangile: Luc 7,36-50 (la femme au parfum).

Et la grâce à laquelle nous assistons dans l’Evangile de Luc est bien de celles qui coutent ! Au cours d’un repas chez un chef religieux, une scène surprenante : l’irruption d’une femme, dite pécheresse, que personnes ne souhaite voir ici ; de plus, elle prodigue sur Jésus des gestes inopportuns, un peu érotiques même… et elle verse beaucoup de larmes et répand tout autant de parfum ! Remplissant la demeure de Simon le Pharisien, de parfum et de gêne… Mais, plus déconcertant encore, il y a l’attitude de ce prophète de Nazareth, qui ne la repousse pas ni ne condamne ses gestes !

Et alors que le chef religieux qui l’accueille est en train de douter de sa crédibilité, Jésus propose un récit. Mais il ne raconte pas simplement une histoire pour calmer les gens, il donne à cette situation surprenante un sens qui est une bonne nouvelle, celle du Royaume de Dieu ! Mais son récit, sa parabole, va dire aussi combien elle en coûte pour être accueillie !

Il y a deux débiteurs, dont l’un doit 500 pièces d’argents (18 mois de salaire de l’époque !) et l’autre dix fois moins. On annule leur dette à chacun, car aucun d’eux ne peux payer. Et Jésus questionne : entre celui qui doit beaucoup d’argent et celui qui en doit peu, lequel sera le plus reconnaissant ? Celui à qui l’abandon de sa dette aura… le plus coûté !

Mais pour que les comptes soient bons, il faut… que le regard change. Et Jésus interpelle : Tu vois cette femme ? Pas seulement, la vois-tu, mais regarde-là profondément ! Laisse ses gestes parler à ton cœur, à ta compassion… cesse d’enfermer cette femme dans une catégorie qui t’enferme toi aussi dans la peur et l’aveuglement… Cesse de juger sans savoir, sans aimer !

Aimer est un mot important de ce récit : Celui à qui l’on pardonne peu, aime peu. La mesure de l’amour semble liée à la quantité de pardon accordé… et reçu mais, nous le voyant par l'exemple de cette femme, cette grâce est accordée pour remplir de reconnaissance et non de honte !

Ses gestes, jugés scandaleux, sont l’expression de sa gratitude et de son amour ! Et s’ils paraissent excessifs, c’est que le pardon accordé l’est également ! Et faut-il rappeler le prix qu’il coûtera à celui qui va le lui accorde ?

Et le dernier coût de cette grâce est dans l’affirmation de Jésus …tes péchés sont pardonnés. Jésus est bien plus qu’un prophète, ignorant les règles de pureté religieuse, il affirme ici son autorité de Fils : Le Fils de l’Homme a le pouvoir de pardonner les péchés. (Mt 9,6)

Puis, il ajoute : Va en paix. Ta foi t’a sauvée… et cette parole de Jésus dit encore le prix de la grâce, car la voilà désormais libre et responsable de reprendre le cours de sa vie… en personne graciée par le Christ.

Dietrich Bonhoeffer écrivait encore : La grâce coûte cher, parce qu’il faut porter le joug d’une marche à la suite de Jésus Christ, mais c’est encore une grâce, car il ne faut pas oublier cette parole de Jésus : Mon joug est doux et mon fardeau léger. (Mt 11,30)

Allons en paix… notre foi nous a sauvé !



samedi 6 août 2022

Mon bonheur à moi, c'est d'être auprès de toi (Ps 73,28)

… et ne nous conduis pas dans la tentation, mais délivre-nous du mal (13). Ces mots, nous les diront tout à l’heure, dans la prière du Notre Père. Ce sont des mots un peu étranges : « ne nous conduit pas dans la tentation »… ou troublants : « délivre-nous du mal. » ?

Et tout d’abord : « Ne nous conduis pas dans la tentation. » Les traductions qui hésitent entre la tentation et l’épreuve. Il y a une peut-être aussi une difficulté à faire la différence entre tentation et mise à l’épreuve ?

Et je me demande : Si la tentation est mauvaise, pourquoi Dieu nous y conduirait-il ? Et si l’épreuve est bonne, pourquoi demander à Dieu de nous l’éviter ? (Echanges avec les détenu.e.s)

Prenons un peu de distances avec ces mots et relire ce que la Bible nous en dit.

La mise à l’épreuve est une difficulté à traverser, dont la foi en sortira renforcée.

Par exemple Abraham. En Gn 22,1-19, nous lisons : Après ces choses, Dieu mit Abraham à l'épreuve, et lui dit: Abraham! Et il répondit: Me voici!

Et quelle épreuve, car ce texte introduit un récit ou Dieu semble demander à Abraham de lui sacrifier son unique fils… La mise à l’épreuve d’Abraham ? Être prêt à renoncer à ce qu’il a de plus précieux si Dieu le lui demande ? Peut-être, mais Abraham n’a pas perdu son fils dans la mort, et cette mise à l’épreuve lui a permis de le retrouver dans une relation où la confiance en Dieu est complète.

La tentation, elle, dans l’Evangile de Matthieu est systématiquement, diabolique, et là, il ne s’agit pas de faire grandir la foi, mais de la faire échouer, d’exploiter l’épreuve pour détourner l’humain de Dieu, son créateur.

Dans l’Evangile, il y a un texte important à ce sujet que l’on nomme « la tentation de Jésus dans le désert ». (Le début du récit en Matthieu 4 commence avec ces mots surprenants) : 1Alors Jésus fut conduit par l’Esprit au désert, pour être tenté par le diable. (Puis il poursuit avec l’épreuve) : 2Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il finit par avoir faim. (Et voici la tentation) : 3Le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » (Tentation qui va échouer) : 4Mais (Jésus) répliqua : « Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu. »

Si Jésus avait accepté de démontrer qu’il est Fils de Dieu en changeant des pierres en pain, il perdait son humanité dépendante de Dieu qu’il est venu nous offrir. Il n’aurait plus été « l’Emmanuel, Dieu avec nous », mais par un extraordinaire numéro de magie – qui nous aurait épater peut-être – il aurait perdu le but de la venue du Christ parmi les hommes : « Ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu. »

Et je me demande : Qu’est-ce qui fait la différence entre l’épreuve et la tentation ? (Echanges avec les détenu.e.s)

Le commentateur Pierre Bonnard rappelle que cette demande exprime « … c’est Dieu qui conduit son peuple ; plus exactement qui l’introduit là où il doit passer. La seule question qui se pose est celle-ci : va-t-il maintenant le faire entrer ? »

Je pense que l’intention fait la différence : faire grandir ou faire tomber ? Dieu peut éprouver son peuple et, au cœur de la tentation, lui faire connaître sa puissance et sa grâce, mais Dieu demeure le maitre de la tentation et du Tentateur (Jb 1,1ss ; Mt 4,1-11 ; 1 Co 10,13).

Et je me demande : Quand nous prions cette demande est-ce parce que l’on craint que Dieu nous tende un piège ? (Echanges avec les détenu.e.s)

Il y a une réponse très claire à cette question dans Jc 1,13 : « Que nul, quand il est tenté, ne dise : « Ma tentation vient de Dieu. » Car Dieu ne peut être tenté de faire le mal et ne tente personne. »

Dans notre chemin de foi, nous ne sommes pas des enfants gâtés… Il suffit d’avoir été père – ou mère – pendant quelques minutes pour savoir le mal que nous ferions à nos enfants en leur épargnant toute difficulté.

Le théologien protestant, Antoine Nouis, écrivait : céder à « la tentation de demander à Dieu de nous épargner toute tentation, ce serait en faire un Dieu en guimauve dont le royaume ne serait fait de coton et de sucre d’orge… » Si lui adressons cette demande, c’est par humilité, car nous reconnaissons la fragilité de notre humanité, ce que rappelle d’ailleurs un Psaume : il sait bien de quelle pâte nous sommes faits, il se souvient que nous sommes poussière. (103, 14)

En tout cas, il y a quelque chose ou quelqu’un dont on ne veut pas clairement ! Le mauvais, le Malin ! Le mot ponèros dans l’Evangile de Matthieu : « peut désigner soit ce qui est mauvais, défectueux, méchant (5,11 ; 6,23 ; 20,15 ; etc.), soit un homme violent ou méchant (5,39.45 ; 22,10 ; 7,11 ; etc.), soit le Diable (5,37 ; 13,19.38).

Et là c’est clair, il n’y a pas de bien dans le mal ! En prononçant cette demande, nous voulons être arrachés à la puissance diabolique qui agresse le monde et l’Eglise ! Et nous affirmons que nous ne sommes pas le jouet d’un combat entre le bien et le mal…et notre foi en Dieu.



mardi 2 août 2022

Entre 4 murs. Entre 4 yeux. Un accompagnement spirituel. (3 - Republication de l'été)

Ainsi, la visite est la promesse d’une rencontre. Elle peut être courte, prolongée, émouvante, éprouvante, surprenante, apparemment banale, enrichissante… ou manquée ! 

 

Elle est très organisée dans les prisons et plus spontanée dans le hôpitaux.Elle va dépendre de la situation personnelle de la personne visitée : ses préoccupations du moments, l’état de santé, l’organisation des soins, la situation pénale, ou la condition carcérale, ou encore leurs répercussions sur ses liens avec les proches, etc… Autant de réalités qui vont favoriser ou gêner la rencontre.

 

Et puis, bien sûr, il y a la liberté d’accepter de me recevoir ou non, ou m’ignorer… ou faire semblant de m’ignorer. Je pense à ces personne qui font mine d’éviter l’aumônier, mais dont le regard et le langage du corps disent: Essayez quand même ! Et combien de rencontres éminemment spirituelles ai-je eu avec des « ...pas intéressés par la religion » ?

 

Avec sa dynamique propre, une rencontre, en somme, peut se définir par trois verbes. le premier, OSER. Oser entrer dans la chambre d’une personne mourante et s’approcher, oser rester, oser toucher et être touché. Oser se mettre à l’écoute d’une personne condamnée par tous, rejetée par ses proches. Oser poser un regard qui accueillera son humanité profonde, oser  vivre avec elle la quête d’une réconciliation intérieure, sans banaliser le délit commis, mais sans l’amplifier à l’extrême non plus.

 

Puis, DOSER. Doser sa posture : se tenir proche ou à quel endroit ? Doser ses gestes : une main qui se posera ou pas sur la sienne ? Et si oui, à quel moment et de quelle manière ? Doser sa parole :  parler ou renoncer à parler ? Avec quelle force ou quel ton ? Et enfin doser sa présence : quand se retirer, à quel signe de fatigue ou d’apaisement – ou d’agacement ? Après quelle durée, selon un temps qui n’est pas réglementé – mais discerner ?

 

Et enfin, Se retirer. Ce sera ma conclusion. L’aumônier, l’écoutant, doit savoir s’éclipser, voire être oublié, et y consentir ! Il peut aussi accueillir le fait d’être reconnu, entendre la reconnaissance exprimée pour son soutien, et ne pas s’enorgueillir !

 

Un exemple dans les prisons. Lors de leur libération, les détenus me promettent parfois que nous nous reverrons une fois libérés. C’est rarement possible, du fait de leur renvoi de Suisse la plupart du temps, mais j’accueille l’invitation. Et je précise que, si une fois sorti, il renonçait à ce projet, je ne serai pas vexé ni déçu. Car je n’ignore pas que, malgré que je suis un souvenir positif de ce temps passé en prison, je leur rappelle tout de même… la prison ! Alors, une fois sorti, y « revenir » (même indirectement autour d’un café) ce n’est pas toujours possible pour eux. Et je le comprends ! Je veille ainsi à prévenir toute culpabilité inutile s’ils venaient à manquer à leur parole.

 

Le philosophe Martin Buber a écrit : « Toute vie véritable est rencontre ». Cette citation dit, en quelques mots, sa pensée que l’humain ne peut exister qu’en vivant en lien avec ses semblables.

 

Mon privilège est de me tenir au cœur de cette réalité. Et d’en apprécier les douceurs, comme les âpretés…

 


 

mardi 26 juillet 2022

Entre 4 murs. Entre 4 yeux. Un accompagnement spirituel (2 - Republication de l'été)

Voilà pour la structure de mon temps, mais il y aussi une intention à mes visites. On m’a suggéré, pour un article dans la presse, de choisir un texte de la Bible qui caractérise mon engagement. Il se trouve dans l’Évangile de Matthieu, au chapitre 9. Je pense, en particulier, à cette parole de Jésus : « Aller donc apprendre ce que signifie : c’est la miséricorde que je veux et non les sacrifices ! »

 

Ce texte m’accompagne depuis le début de mon ministère dans les prisons. Jésus mange dans la maison d’un nommé Levi, un collecteur d’impôts : un être considéré comme malhonnête et impur, indigne d’une telle visite ! Et pourtant, aux religieux qui s’en offusque, Jésus les renvoie à cette leçon : Aller donc apprendre ce que cela veut dire « aimer de compassion, ne pas juger, passer outre les objections, accueillir les vulnérabilités de la personne humaine. Et lui dire un amour qui ne l’a pas attendue pour s’offrir à elle ! »

 

Pour moi, Jésus invite dans cette parole à préférer l’insécurité de l’amour inconditionnelle à la sureté artificielle de nos « sacrifices » : de bonnes actions qui n’intéressent que nous, une bonne conscience qui nous rend insensible à la souffrance d’autrui, l’assurance trompeuse d’être un plus méritant parce que… etc.

 

« Apprendre la miséricorde » ? On peut bien se moquer de ces religieux, mais saurait-on mieux ce que cela signifie « la miséricorde » et plus encore : « la miséricorde que Dieu veut » ?

 

« Miséricorde ». Pour le vocabulaire, on a parlé de compassion, d’empathie, d’attention… et bien sûr, d’un bouleversement ! Mais, au-delà du vocabulaire, je choisis de rester à l’école de l’amour du Christ, à savoir ne pas se soustraire à la rencontre de l’humain en souffrance, être disponible pour accompagner les mouvements de son être intérieur et d’en être instruit plutôt que de tout savoir, d’en être enrichit souvent, en offrant un amour qui se donne sans attendre de retour sur investissement…

 

Je m’interroge aussi souvent si, de nous deux (le visitant et le visité), je ne suis pas le plus redevable des deux ? Mais dans la pratique de l’accompagnement spirituel : qu’est-ce que cela implique de se tenir en face d’une personne détenue ? Qu’est-ce que cela bouleverse de se tenir près d’une personne qui est en train de mourir ?

 

Des leçons de vie assurément ! Et pas uniquement théoriques, car la vie que j’accompagne ne saurait se rencontrer sans quelques émotions utiles à une rencontre véritable. Des émotions qui ne sont pas de l’émotivité, qui nous ferait manquer les fruits authentique d’une attention généreuse à autrui, car je suis engagé, auprès du souffrant, à vivre des émotions qui me porte sans qu’elle me déporte…

 

Apprendre c’est donc plus que d’acquérir des postures et des gestes techniques (même s’ils sont tout à fait utiles et nécessaires)… Apprendre, dans le fond, c’est tout simplement : Ne pas savoir… Je me rappelle cette expression de Lytta Basset, qui parlait du « non-savoir » de l’aumônier : une entrée en matière aussi simple que redoutable. Mais cette sobriété fera justement la fécondité de la rencontre ! J’ai noté dans un article : « Qu’une écoute qui sait n’entend plus ! »

 

J’aimerais dire encore que ce « non-savoir » est une espèce de « pauvreté », que je ne fuis pas, mais, au contraire, que je cultive : « Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des Cieux est à eux. » (Mt 5,3). Je me laisse porter par la « pauvreté en esprit » des béatitudes : elle est ma sagesse, ma capacité, parce qu’elle est une pauvreté qui m’ouvre toute grande les portes du Royaume des Cieux ! Et pour le disciple du Christ que je désir être, avoir le Royaume des Cieux, ce n’est pas toucher un lot de consolation, mais c’est obtenir toute la plénitude de Dieu !

 

(La suite est dans la parution suivante). Entre 4 murs. Entre 4 yeux. Un accompagnement spirituel (3)

 


vendredi 22 juillet 2022

Quiconque demande reçoit, qui cherche trouve...

L’Évangile de Luc nous présente souvent Jésus en prière, mais ici c’est à la demande de ses disciples qu’il va leur « enseigner à prier ».

Mais Jésus va commencer son oraison par une expression que lui est familière : « Père ». Elle dit toute l’intimité de sa relation à Dieu et c’est sans doute la première leçon qu’il nous adresse : prier, c’est plus que réciter des mots, c’est entrer dans une relation authentique et profonde avec Dieu, le Père.

Courte prédication offerte aux détenu.e.s des prisons à Genève. Évangile : Luc 11 1-13

Cette relation avec le Père Jésus la décrit avec des verbes qui invitent à la confiance et la liberté. Et à la persévérance.

« Demander, on vous donnera. Frapper, on vous ouvrira » (9). Lorsque l’on s’approche de Dieu, le Père, il n’y a pas d’écriteau « Attention danger » ! Il ne faut pas un carton d’invitation VIP pour entrer, il ne faut pas présenter de capacités particulières, pas de CV impressionnant, …

Simplement dire « Père »… et oser : oser demander, oser déranger, oser insister… Oser être soi-même et laisser le Père être lui-même ! Accueillant, aimant, généreux. Il y a tant de malentendus sur qui est Dieu, le Père, et ce qu’il attend de nous.

Il y a une expression qui dit bien la conséquence tragique de notre ignorance de ce que l’on peut vivre avec Dieu, le Père : « Être assis sur un tas d’or »… Elle signifie « avoir des richesses sans le savoir ou sans les connaître. »

Il est hélas possible de vivre une relation avec Dieu qui nous prive de toute la richesse de son amour, de toute l’étendue de sa bonté, de la douceur de sa tendresse, de la plénitude de sa générosité, etc.

Jésus a parlé d’un personnage victime de cette méprise : le fils ainé d’une parabole bien connue qui se plaint de l’accueil généreux du Père envers son frère qui a tout gâché alors que lui dit n’avoir jamais reçu le moindre signe de sa bonté…

C’est à ce fils que les mots les plus bouleversant peut-être de cette histoire son adressés : « Mon enfant, toi, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. » (Lc 15,31)

Bouleversant !… Tout une vie à trimer, à ruminer sur la dureté et l’avarice d’un père… Alors que tout était à lui, qu’il pouvait en jouir librement !

Il a travaillé comme un esclave, alors qu’il était un fils, il a vécu comme un mendiant alors qu’il possédait une fortune !

La prière que Jésus enseigne dit sans doute première que Dieu, le Père, n’est pas là uniquement pour donner, répondre, etc. N’est-il qu’un distributeur de choses utiles ou pratiques, ou confortables… ?

J’aimerais simplement conclure avec ces mots de Paul Claudel : « Dieu n'est pas venu supprimer la souffrance. Il n'est même pas venu l'expliquer, mais il est venu la remplir de sa présence ».

« Père, fais connaître à tous qui tu es. » (2)

 



jeudi 21 juillet 2022

Entre 4 murs. Entre 4 yeux. Un accompagnement spirituel (1 - Replublication de l'été)

C’est avec ce titre que j’ai voulu présenter un témoignage (en trois volets) sur mon engagement comme aumônier sur deux lieux différents et auprès de deux populations distinctes : les personnes détenues dans les prisons et les patients dans les hôpitaux.

 

Observez avec moi la photo de ces deux enfants. J’y vois l’intensité de la peine de l’enfant souffrant… et la douceur empruntée du jeune consolateur ! Et je m’y retrouve, personnellement, dans l’exercice de ma tâche, car accompagner des personnes en situation de fragilité demande de l’authenticité autant que de consentir à être vulnérable !

 

De cette position particulière, j’ai souhaité partager avec vous la richesse autant que l’inconfort, parfois, d’un accompagnement adressé à des personnes différentes, dans des contextes différents. Et pourtant, il y a certaines similitudes que j’ai pu observer.

 

À l’hôpital de gériatrie, par exemple, il n’est pas rare d’entendre : « Je suis en prison, ici ! ». Pour moi, qui visite de « vrais » détenus, c’est une occasion intéressante de parler avec ces patients de ce qu’ils ressentent comme une « prison » ? Une occasion pour eux de pouvoir me dire combien leur liberté leur paraît réduite, limitée, voire refusée !

 

Et dans les prisons ? J’ai souvent, avec les détenus, un entretien similaire à celui des patients, quand nous parlons du temps de leur arrivée, celui de leur temps de cure, puis celui de leur retour à la maison. Pour un détenu, quitter la prison c’est devoir faire face à la surprenant crainte de retrouver la liberté. Arriver en prison est angoissant… et en repartir, tout autant ! Et bien, il peut en être de même pour les patients : la perspective d’un retour à la maison peut être inquiétante, s’il faut aller en EMS, par exemple, ou apaisante, s’il est possible de rentrer chez soi ! Mais pour eux tous, la question demeure : est-ce que ce sera un retour à l’existence d’avant ? Ou autrement ? Ou Pire ?

 

Aux uns comme aux autres, je rends visite. C’est la base de mon activité d’accompagnant spirituel. Et, très concrètement, C’est une exigence dans mon agenda. Cela veut dire plusieurs demi-journées (dont une soirée pour des visite à la prison d’exécution de peine de La Brenaz) ; ainsi, toute une partie de mon temps qui est bloqué, j’aimerais dire consacré, à cette engagement et disponibilité – et qu’il faut veiller à préserver, ce qui n’est pas toujours simple…

 

La suite sera disponible dans la parution suivante: Entre 4 murs. Entre 4 yeux. Un accompagnement spirituel (2)

 


 

lundi 18 juillet 2022

Comme une fenêtre ouverte sur la liberté (Republication de l'été)

(8 décembre 2020)

À mon retour de vacances, il y a désormais, lors de mes entretiens avec les détenu.e.s, un petit rituel : leur décrire les lieux où j'étais, en dégustant une spécialité du coin que j'ai ramenée, ceci autour d’un thé ou café. 

Et pourtant, lorsque j'entendis pour la première fois la personne détenue m'interroger: "Et vos vacances, ce sont-elles bien passées?" J’avais répondu rapidement à la question : "Très bien, merci" et préféré m’engager sur un autre sujet. 

Cependant, je lisais une certaine déception sur son visage et elle revint à la charge: "Et il a fait beau ?"

Je pensais intérieurement : « Attends, je ne vais tout de même pas raconter comment j’ai passé de belles vacances à quelqu’un qui en est privé : c’est trop cruel !

Mais je perçois que c’est important et me lance dans quelques souvenirs de vacances. Ses yeux s’ouvrent alors et son cœur de même... et il n'est plus question de cruauté, mais je joie partagée. 

Je réalise, en cet instant, que je suis comme une fenêtre ouverte sur la liberté !

Depuis, je ramène à chaque fois quelques biscuits de la région visitée, et les partage simplement autour d'un café. J'y ajoute même quelques photos de paysages.

Et nous partageons un moment unique de curiosité joyeuse, de complicité, de réconfort...

Je suis le passeur étonné de la vie du dehors!



dimanche 26 juin 2022

Mauvaise graine...?

Il en va du Royaume des Cieux comme d’un homme qui a semé du bon grain… C’est par ces mots que Jésus débute cette courte histoire, que l’on appelle parabole et qui est une manière de parler en image. Jésus l’emploie avec un talent reconnu mais son intention est d’abord de nous intriguer quant à ce que nous savons ou pensons de Dieu.

De manière étonnante, juste avant ce récit, Jésus affirme que ces histoires sont des énigmes si nous les écoutons de manière superficielle. Plus surprenant : il ajoute même que ces paraboles pourraient nous donner de bonnes raisons de nous éloigner de lui !

Ainsi, lorsque Jésus, par cette parabole, nous interpelle sur la présence de ce Royaume dans notre existence, soyons attentifs à son avertissement : « Entende qui a des oreilles ! » (43).

Courte prédication partagée offerte aux personnes détenues des prisons à Genève. Évangile du jour : Matthieu, chapitre 13, versets 24-30.

Il y a un moment très important dans cette parabole (28-30) : Des ouvriers proposent d’arracher la mauvaise herbe semée par un ennemi, mais le Maître les arrête : Non, de peur qu’en l’arrachant vous ne déraciniez le blé avec elle. Laissez l’un et l’autre croître ensemble jusqu’à la moisson. » (29) En s’opposant à ce geste radical, le Maître refuse un geste qui conduirait à plus de confusion encore : perdre toute la récolte !

Il faut donc s’armer de patience plutôt que de violence ! Jésus ne nous donne pas d’autre alternative, et pas d’explication à la présence de ce mauvais coup d’un adversaire. Cependant, il nous invite à prendre notre part de responsabilité dans ce temps ou le bon et le mauvais grain poussent ensemble…

Ce qui pourrait nous décourager : « Si Dieu est bon, pourquoi tant de mal dans ce monde ? » Et abandonner notre travail dans son champ. Ou accepter la sagesse du propriétaire du champ. Avoir confiance que le Royaume des Cieux peut grandir malgré ce qui s’oppose à lui, et que la confrontation avec le mal ne peut le détruire !

Un peu plus loin (36-43), Jésus donne une interprétation de sa parabole et surprise : tous les personnages cités vont recevoir une explication (37-39): « Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’homme ; le champ, c’est le monde ; le bon grain, ce sont les sujets du Royaume, etc. » Tous… excepté les serviteurs ! Cet omission est intéressante, car si le rôle des serviteurs n’est pas expliqué, n’est-ce pas parce qu’il est encore à écrire ?

Et c’est là où nous en sommes aujourd’hui : l’appel de Jésus à travailler dans les champs du Royaume des Cieux s’adresse encore à chacune et chacun d’entre nous. Et lorsque nous serons confrontés à cette mystérieuse présence du mauvais grain, rappelons nous que le Maître le sait et qu’il ne nous laissera pas travailler en vain. Il est avec nous, « tous les jours, jusqu’au jour de cette moisson » (Mt 28,20)

Un poète français, Paul Claudel, l’a dit avec ses mots : « Dieu n'est pas venu supprimer la souffrance. Il n'est même pas venu l'expliquer, mais il est venu la remplir de sa présence. »

« Entende qui a des oreilles… » J’ajouterais « Regarde qui a des yeux pour voir… » dans la nuit du monde les lumières du Royaume des Cieux…



Vous accomplirez ainsi la loi du Christ... (La conclusion)

  La conclusion de notre extrait parle d’un envoi des disciples dans le monde soutenu par la consécration du Christ. Ainsi, la consécration ...