dimanche 14 avril 2024

Pour vivre l'Evangile du Ressuscité: être chaussé de bonnes lunettes et bonnes chaussures !...

Prédication de ce dimanche, partagée avec la communauté paroissiale de Lutry-Belmont. Texte du jour: Evangile de Luc, chapitre 24, 35-48. Avec quelques accessoires que vous pourrez vous imaginez... je l'espère.

(Arrivé à la chaire, sortir et chausser mes lunettes de soleil…)

Portez des lunettes de soleil, dans le temple de Lutry, un dimanche matin… Cela peut sans doute paraître incongru… Et si je poursuivais cette prédication ainsi, vous auriez été intrigués : - est-il malade ? - plaisante-t ’il ?...

Intrigués comme on peut l’être en lisant ces textes dits d’apparition de Jésus. Embarrassés, voire gênés, peut-être : que peut-on bien en faire ? Sommes-nous encore concernés ?

(Changer mes solaires pour les habituelles et les chausser) Voilà… celles-ci sont plus adéquates, je pense…

Cette petite accroche nous introduit à une question que l’on peut se poser en lisant l’Evangile de ce matin : quel regard avoir sur ce Jésus se présentant à ses disciples, vivant, parlant, mangeant ? Quel regard… et avec quelles lunettes ?

Voir est un verbe important ici. Voir Jésus ressuscité apparaître au milieu de ses disciples est comme un dernier acte avant d’être enlevé définitivement de leurs yeux. Mais nous aussi, nous voyons Jésus ressuscité, nous participons à la scène et sommes témoins de sa résurrection… le voir parce que nous lisons ce récit.

Ah, et je ne vous laisserai pas plus longtemps dans la perplexité concernant les chaussures placées ici… Elles aussi sont de deux sortes : des chaussures de marche et des chaussures de danse. Elles aussi interrogent. À propos d’une autre expression, également dans le passage de Luc : être témoin. Cela a changé beaucoup de choses pour les disciples. Et pour nous ?

Témoigner après avoir dissiper la peur et les doutes. Témoigner de l’enseignement de Jésus, mais pas sans l’intelligence de l’Esprit Saint … Témoigner du Christ vivant, aujourd’hui, sur les chemins si particuliers, voire douloureux, de notre monde nécessite d’être bien chaussé !

Voir donc avec les lunettes de la foi pascale. Le texte de Luc, par l’heureux hasard de nos lectionnaires, fait écho au texte de l’Evangile de Jean de dimanche passé. Et nous nous rappelons la demande de Thomas et la réponse de Jésus : « Si ne vois pas… je ne croirai pas – Bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru. » (Jn 20,28)

Si cette béatitude est la règle aujourd’hui, pourquoi lire encore ces textes ? Car ils restent essentiels, comme les Evangiles, puisqu’ils nous rapportent, comme les Evangiles, ce qu’ils ont vu et entendu : 1 point pour Thomas !

Mais ces récits, nous pouvons les tourner dans tous les sens, ils se concluent par la foi de celles et ceux qui ont la foi sans l’avoir vu : 1 point pour nous !

Depuis le récit du tombeau vide, la détresse de la mort de Jésus est doublée de l’angoisse de savoir où est son corps ? Au tombeau : « il n’est pas ici » (6). Et parmi les Onze, à Jérusalem, s’il est là « au milieu d’eux » (36), est-il vraiment là ? Est-il toujours le même ?

« Voyez… Regardez…»  Ce verbe voir, est le même pour les disciples assistant à la transfiguration de Jésus (9,31) ; il est le même lorsque Zacharie à la vision d’un ange dans le Temple (1,22). Ainsi Voir ce n’est pas seulement observer avec ses yeux … il y une dimension spirituelle que les lunettes de la foi peuvent nous donner à voir.

Voir le Christ vivant nous ouvre aux autres vivants, pour les voir au-delà des apparences. Voir le Christ vivant c’est aussi voir clair en soi et nous dégager de nos illusions :  «Touchez-moi, regardez… un esprit (une illusion) n’a ni chair, ni os, comme vous voyez que j’en ai » (39). Voir le Christ vivant, c’est aussi voir vrai en l’autre, et vivre une amitié partagée dans la joie. Le Christ vivant donne de la consistance à nos désirs, à la perception de nous-même, à la communion que nous avons avec nos semblables.

Il y a dans cette audace d’une foi qui contempler le Christ ressuscité, je le crois, une fécondité nouvelle à découvrir en nous et autour de nous : « La paix soit avec nous : »

Avoir foi en Lui, sans l’avoir vu. Vivre cette béatitude que Jésus annonçait à Thomas, et en être témoin. Mais avec quelles chaussures ? avec ces chaussures de marche, j’ai voulu présenter une image pratique : celle des paroles que Jésus a dites. Leur accomplissement dans les Ecritures. (44)

Ce sont de bonne chaussures, solides et sûres, faites pour tous les terrains, exigeants ou plus aisés… Solides et sûres, comme était, solide et sûre, la réalité du corps ressuscité de Jésus.

Ce sont de bonnes chaussures, réconfortantes et chaudes, comme l’étaient les paroles du Christ, cheminant avec les disciples à Emmaüs, et leur expliquant les Ecritures. Ces chaussures sont porteuses d’une bonne nouvelle : « La paix soit avec nous. »

Et si vous pratiquez la randonnée, vous savez combien il est important d’être bien équipé, mais il nous faut encore un bon état d’esprit… et pour marcher avec les Ecritures, le Saint-Esprit !  Un souffle de Dieu pour en avoir en soi et marcher avec persévérance, au jour le jour… bon an, mal an !

Comment les Ecritures nous accompagne-t-elles dans le quotidien ? Quelle inspiration, quel courage, quelle patience, nous apportent-elles ? Et ma question n’est pas forcément si nous lisons la Bible tous les jours, mais comment sa chaleur illumine notre être intérieure…

André Dumas l’écrivait dans une prière : « Donne-nous d’accompagner avec (Ta parole)  les moments si divers de nos vies, comme le pain accompagne les plats si variés de nos tables. (…) Ta parole est le vrai pain descendu du ciel pour la nourriture des hommes. »

Et pour conclure, une paire de chaussures de danseMoins rugueuses, plus souples, ces chaussures m’ont inspiré la danse joyeuse et apaisante de la présence du Christ aujourd’hui, dans nos vies : « C’est bien vrai ! Le Seigneur est ressuscité » (34) me donne envie de danser !

Personnellement, la danse me remplit de joie… elle est pour moi un espace intérieur de grâce et d’épanouissement intérieur, une expression sensible de mon âme dans un langage corporelle. »

Bien sûr, cela ne vous oblige pas de danser… mais j’aimerais que cette image, peut-être audacieuse, nous rappelle quelque chose de la finesse et de l’élégance de la présence du ressuscité en nous : « C’est bien vrai ! Le Seigneur est ressuscité. »

La joie de Pâques, la danse joyeuse de la présence du Ressuscité, va se poursuivre au-delà de ces dimanches. Et de cette joie sans voir, de cette danse de l’Esprit Saint en nous, Pierre en a été le témoin aussi, avec ces mots : « Lui que vous aimez sans l’avoir vu, en qui vous croyez sans le voir encore ; aussi tressaillez-vous d’une joie ineffable et glorieuse. » (1 P 1,8).

Amen.


Illustration: Arcabas.

samedi 30 mars 2024

Je te vois mourir sur cette croix.

Je te vois mourir sur cette croix.

Combien d’images, d’objets, de scènes peintes… te figent, te dépeignent, te crient ainsi ?

Sur ce bois d’humiliation, je te vois, te laissant engloutir dans la mort.

Mais combien de regards te verront, en cet instant, engloutir toutes nos morts ?

Qui saisira, dans ton abandon souffrant, ta main nous saisissant ?

Abandonné, souffrant, mourant, tu n’es pas devant nous mais en nous, comme nous sommes en toi, abandonnés, souffrants, mourants.

À l’impossible question « Où es Dieu dans les souffrances injustes du monde » ? Tu réponds : « Je suis là, en toi. »

Je me souviens des mots d’Élie Wiesel. Près d’une potence d’Auschwitz, lors d’une exécution par pendaison, un enfant agonisait sans fin… Un des prisonniers, contraint d’y assister avec lui, s’écriait : « Mais où est Dieu ? » Et Élie Wiesel de répondre : « … je sentais en moi une voix qui lui répondait :  Où il est ? Le voici : il est pendu ici, à cette potence ! »

Tu es là, pendu au bois.

A chaque instant de ma souffrance ou lorsque je dois la regarder en face, je te sais en moi.

Tu es là, reconnaissant ce vivre de douleur et d’accablement et le fécondant de ta faiblesse et ton amour.

Je suis là, au pied de ta croix, frappé par l’amertume du monde et te nommant : « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi ! »

Tu es là, en croix, habitant la souffrance du monde et me répondant : « Moi je suis la lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans l'obscurité, mais il aura la lumière de la vie. » (Jean 8,12)




jeudi 14 mars 2024

Quel est ton visage - et le mien?… (Récit de Luc 9,28-36)

Mais qui es-tu, quand tu parais dans ce vêtement si extraordinaire… ? Quel est ce visage, portant une expression ignorée par ceux qui te voyaient pourtant chaque jour ?

Que signifie tant d’éclat, « brillant comme un éclair » ? C’est le mot de l’Evangéliste Luc, celui dont on use pour décrire les éclats de lumières lorsqu’ils frappent la terre pendant l’orage.

Si ton visage est autre c'est pour m'inviter à te chercher au cœur de mon être. Si ton vêtement n’est pas seulement lumineux… C'est qu'il est comme la foudre qui frappe mon entendement.

Et tous deux viennent ensemble bouleverser ma connaissance du « Christ de Dieu » !

Et me voici de même... transfiguré !



dimanche 10 mars 2024

L’humain : le mystère et l’amour... (2)

J'ai partagé dans un précédent article quelques réflexions faites au cours de mon ministère d’aumônier dans les prisons. J'y ai parlé de l’humain tel que je l’ai rencontré dans ces lieux. Le format des Diachroniques étant de privilégier de courts articles. J’ai réparti ma réflexion en deux fois. Voici la seconde et dernière publication :

L’amour

Mais que serait le mystère s’il n’était qu’une ignorance, un trou noir sans fond ? Si j’ai appris à reconnaitre sa réalité, j’ai aussi découvert sa fécondité. Et cette fécondité (est-ce vraiment une surprise ?) me conduite à rien moins que l’amour. L’amour… il a tant de facettes, tant de beauté et tant de vanité ! Celui qui m’a permis d’apprivoiser le mystère de l’humain était désintéressé, un amour qui se donne sans autre intention que le don de soi.

L’amour. Suffit-il d’avoir ce mot à la bouche pour être un témoin crédible du Christ ? Je pense à cette lettre de l’apôtre Jean : « Mes chers amis, aimons-nous les uns les autres, car l’amour vient de Dieu. Celui qui aime est né de Dieu et il connaît Dieu. Qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour » (1 Jean 4,7-8).

Au cours de mon ministère en milieu carcéral, ce Dieu est amour fut une bonne et une étrange nouvelle à la fois. Où est le Dieu d’amour pour ces femmes et ces hommes que l’on rejette et condamne ? Où est le Dieu d’amour pour celles et ceux qui en ont fait pour la société qui les a rejetés ? Où est le Dieu d’amour pour ces personnes détenues qui suscitent en nous plus de colère que d’affection ?

Une réponse se tenait dans un tout petit espace contenu dans ce si grand mot  « amour ». Un détail d’une grande œuvre, comme celui d’un tableau de Maître. Approchez et vous y trouverez ce tout petit espace dans un mot plus difficile encore : le pardon. Quand je disais « détail »… c’était une image bien entendu ! Un petit espace, comme un chemin étroit ! Mais vivre le Dieu qui est amour n’est pas réservé qu’aux bons moments, c’est aussi pour les temps difficiles. Vivre le Dieu qui est amour n’est pas réservé à celles et ceux qui le méritent ! Vivre ce Dieu qui est amour de manière inconditionnelle me permit de traverser des voies impossibles. Vivre le courage et la patience d’un amour qui ouvrira pour nous des voies que l’on pensait impraticables, comme nos chemins de pardon peuvent l’être. Vive le Dieu qui est amour, ce n’est pas faire « tout bien comme il faut », c’est d’abord être vrai. La voie du Dieu qui est amour débute par cette leçon.

L’amour et le pardon : des valeurs qui portent autant d’espoirs que d’amertume dans les prisons. Mais il serait dommage de le taire : l’amour et le pardon ont été pour moi de redoutables « passe-murailles », d’étonnants « ouvre-cœurs » ! Le pardon et l’amour ont été des fenêtres ouvertes dans les murs sombres de l’âme humaine. Ils m’ont porté dans ce généreux et persévérant don de soi ! Au-delà des émotions, au-delà, du mérite, nous étions bien au cœur de l’Evangile !

C’est avec la conviction qu’un pardon est possible que je suis allé à la rencontre de ces jugements implacables qui enferment les personnes détenues, bien mieux encore que l’enceinte d’une prison ! Mais de cette puissante ressource, je ne suis ni l’inventeur ni l’initiateur : « Voici ce qu’est l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime d’expiation pour nos péchés. Mes bien-aimés, si Dieu nous a aimés ainsi, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres. » (1 Jean 4, 10-11).

Aimer comme nous sommes aimés. Pardonner comme nous sommes pardonnés ! Dans le milieu carcéral, les aumôniers contribuent à la réhabilitation des personnes détenues. Si la phrase est assez courte, la réalité est bien plus longue et complexe. En effet, le pardon n’est pas un tampon de l’administration pénitentiaire… ou de la justice pénale. De toute manière, la justice pénale ne pardonne pas, elle oublie. Le pardon n’est pas l’absolution d’une autorité religieuse qui donnerait l’illusion d’une absence de trajet intérieur pour l’acquérir. Mais pour moi, disciple du Christ, impossible de répondre « non » à la question du pardon, sans être un ignorant de Dieu, car Dieu est espoir de réconciliation. Je pense à ce verset du Psaume 130,3-4 : « Si tu retiens les fautes, SEIGNEUR ! Mais qui subsistera ? Mais tu disposes du pardon et l’on te craindra. »

Ouvrir un chemin de pardon n’est pas une bagatelle, un acte facile et superficiel. Refuser le pardon ne l’est pas moins, car fermer à quelqu’un tout recourt au pardon est un acte contre nature de la connaissance de Dieu, car Dieu est amour. Ce serait gravement ignorer que Qui n’aime pas n’a pas connu Dieu.



Photo: Eric Imseng


vendredi 1 mars 2024

L’humain : le mystère et l’amour... (1)

L’humain : le mystère et l’amour.

J’aimerais partager ici quelques réflexions faites au cours de mon ministère d’aumônier dans les prisons. Il s’agit de l’humain tel que je l’ai rencontré dans ces lieux. Son mystère qu’il m’a donné à voir et l’amour qu’il m’a proposé de vivre. Je m’adosserais pour le mystère au Livre des Psaume et pour l’amour à le Première lettre de Jean.

Le format des Diachroniques est de privilégier de courts articles. J’ai réparti ma réflexion sur deux publications.  Dont la première :

Le mystère.

« Mystérieuse connaissance qui me dépasse, si haute que je ne puis l’atteindre » (Psaume 139, v.6). Ces mots évoquent tout de suite quelque chose de mon expérience d’écoute et d’accompagnement spirituel auprès des personnes détenues. Bien sûr, il s’agit d’abord de l’impossibilité d’une pleine connaissance de Dieu. Qu’on se souvienne du livre de Job : « Prétends-tu sonder la profondeur de Dieu, sonder la perfection du Puissant ? » (Job 11,7-9). Dans ce psaume comme dans mon écoute, même s’il faut les distinguer, le mystère de la connaissance de Dieu et celui de l’humain ne s’excluent pas l’un l’autre.

J’ai admis une fois pour toute ma vulnérabilité en la matière.  Être à l’écoute de l’humain, quelles que soient les compétences acquises, quelque chose de l’inconnu demeure et ne se réduit jamais à notre savoir. Au-delà de ce que nous partageons de tangible, il y a de l’incompréhensible que je ne peux pas atteindre. Et je n’oublierai pas de sitôt ces mots de Françoise Dolto en exergue d’un livre de Maurice Bellet – sur l’écoute justement : « Je n’y comprenais rien. J’étais tout oreilles. »

C’est donc avec cette humilité que j’ai écouté cet inconnaissable de l’humain, reconnaissant pour les instants de clarté qu’il a bien voulu m’offrir.  J’ai ainsi écouté le parcours de vie des personnes détenues qui les ont conduites en prison. Les délits ou crimes dont ils ont été responsables. J’ai écouté encore leur quête sur le sens et la raison de leur geste. J’ai écouté aussi leurs luttes avec eux-mêmes au milieu des méandres de la justice. J’ai écouté leur sérénité comme leurs tourments, leur ignorance ou leur sagesse. J’ai été à l’écoute de tant de mots et de maux… C’est pourquoi je ne peux m’empêcher de penser que je suis un témoin privilégié de tout l’humain. Tout entier à son écoute. Tout entier à son école.

Au-delà de nos paroles, au plus profond de nos échanges, dans une étonnante simplicité, la clarté du vivant comme le mystère de l’humain se sont livrer à moi dans leur beauté comme leur laideur, leur lumière et leur ombre.

J’ai écouté pendant plus de dix ans ces vies d’hommes et de femmes, arrêtées, examinées, contraintes, jugées. Et j’ai puisé encore dans cette humilité les ressources pour accueillir la douleur et la révolte, la honte et l’incompréhension, l’ennui et le désespoir, le déni et la lucidité.

Au cours de nos entretiens, j’ai entendu souvent le désir de la personne détenue à rejoindre celui du psalmiste : « Dieu ! Scrute-moi et connais mon cœur… et conduis mois sur le chemin de toujours. » (139, 23-24). Il y avait une épreuve de vérité vers laquelle nous cheminions, parfois sans y penser. Jusqu’à ce que ce cœur écouté avec bienveillance, sondé, éprouvé, les ramènent sur ce chemin de toujours . Et même s’il n’a pas toujours été vécu en tant que croyant, il y a eu souvent ce désir d’oser revenir en soi, reprendre un dialogue avec soi, marcher à nouveau sur la route de la vie. En cela, j’ai été le « complice » de leur réhabilitation.

Bien sûr, ce chemin ne conduisait par forcément à un vécu comme avant, mais peut-être sera-t-il mieux qu’avant… Car le passé dépassé ne nous ramène pas au début mais plus loin. Ainsi, ce chemin de toujours, qui s’ouvrait aux personnes détenues, ce n’était rien de moins que la vie qui ne cesse pas d’être la vie, même derrière les murs d’une prison.



Photo: Eric Imseng


mercredi 14 février 2024

Être exclu... C'est exclu!

Raoul Follereau, ce nom vous dira peut-être quelque chose si vous êtes de ma génération. Homme de cœur et d’action, il a été un ardent soutien et défenseurs des personnes atteintes de la maladie de la lèpre ! Il a fondé une œuvre en leur faveur et parcouru le monde pour leur venir en aide et améliorer leurs conditions de vie. Il dénonçait leur exclusion par ces mots : « Ils ne sont pas à côté du cimetière, ils sont dedans, misérables et muets… Ils ont dépassé la limite même du désespoir. »

Dans l’Evangile de Marc, tout se passe très vite et semble aller dans tous les sens. Mais si son évangile peu sembler un peu brouillon par le style, Marc ne l’a pas composé au hasard : ce récit de la purification d’un lépreux est un signe qui atteste que Jésus est bien le Messie attendu. D’ailleurs à la question inquiète de Jean le Baptiste emprisonné : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » Jésus lui répondra de regarder : « les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. » (Mt 11,2-6)

Marc nous fait lire encore, dans son récit, la ferme volonté qu’a Jésus de montrer sa compassion envers celles et ceux qui sont en détresse… et qui viennent à lui ! « Si tu le veux, tu peux me purifier. » - « Je le veux, sois purifié. » (41)

Un lépreux retrouve une peau saine, et l’on parle de purification et non de guérison… l’indice sans doute que, dans ce récit, la question d’être pur ou impur précède celle d’être malade ou guéri. Être pur, c’est être sans tâche, propre… pour un vêtement par exemple. Mais c’est aussi être pur de corps et d’âme (Platon) : être bien dans sa peau ! Mais ce lépreux n’est pas pur de corps, et il ne peut plus l’être d’âme ! Il croupi dans ce cimetière des vivants dont parlait Raoul Follereau !

L’exclusion est un mot important de ce récit ! et ce mot a été combattu avec l’énergie que l’on sait par l’Abbé Pierre dont l’œuvre constante peut se dire en deux mots : « Être exclu… C’est exclu ! »

Mais revenons à notre récit. « Les bonnes choses vont par trois », dit-on ? Ici, les mauvaises choses vont par deux ! Il y a la « double exclusion » de ce lépreux exclu de son corps et exclu de la communauté. Et comme si cela ne suffisait pas, il doit subir encore une « double humiliation » : celle de l’apparence qu’il doit montrer, décrite dans le texte du Lévitique que nous avons lu, avec « son attirail lugubre » (Lagrange). Et plus encore, lors de toute rencontre avec ses semblables, ce cri déchirant par lequel il doit se présenter à eux : « Impur ! Impur ! »

En le purifiant, Jésus va le rétablir dans son intégrité physique mais aussi dans son estime de lui-même. Et c’est à dessin que Jésus l’envoie vers le prêtre pour constater qu’il est guéri et qu’il peut réintégrer la communauté.

Quoiqu’il en soit, dans cette rencontre, tous les deux « risquent leur peau », selon le mot de Marion Muller-Colard. Risquer sa peau, pour le lépreux c’est transgresser les règles : il ne crie pas, il va à Jésus, il s’adresse à lui ! Risquer sa peau pour Jésus c’est de ne pas le fuir, de ne pas le réprimander. Il l’accueille, il lui parle, et plus encore, il le touche ! Être touché, et touché. Prendre un risque. Aller au-delà de l’apparence, de la réputation, des on-dit, des il ne faut pas….

Ainsi, pour nous, dont le besoin de guérir d’une lèpre physique n’est plus aussi nécessaire qu’alors, de quelle lèpre existentielle pourrions-nous être frappé aujourd’hui ? Qui pourrait bien être notre « lépreux » ? De quelle peau sera-t-il ou sera-t-elle vêtu pour se présenter à nous avec ce cri impur, impur, ou pour le dire autrement « Ignore-moi ! Déteste-moi ! Rejette-moi ! » ? Jusqu’où prendrons-nous exemple sur la volonté de Jésus d’accueillir un exclu de le ramener vers l’intégration ?

Être en lien avec une personne exclue n’est pas forcément surmonter une situation conflictuelle. Ce lien peut être vécu en offrant du temps, une présence, une écoute, une aide concrète. Elle peut être simple et cela ne nous demande pas d’être parfait.

Être en lien avec une personne exclue ne fera pas de nous un aidant et un aidé, mais deux personnes qui apprennent les bienfaits du respect mutuel, deux personnes qui découvrent un lien d’humanité dans toute sa pureté… ! La voilà la pureté qu’il vaut la peine de préserver. Marcher ensemble selon l’amour.

La lettre aux Romains nous y invite. Être pur, ce n’est pas seulement manger et boire juste pour ne pas être en faute. Être pur, c’est chercher l’essentiel qui rassemble plutôt que la particularité qui divise. Être pur, ce n’est pas jouer les forts contre les faibles ! Être pur, c’est vivre la joie de cette règle d’or : « Car le Règne de Dieu n'est pas affaire de nourriture ou de boisson ; il est justice, paix et joie dans l'Esprit Saint. » (17)




mercredi 7 février 2024

Lumière d'un soir... (Une republication)

Lorsqu’ils apprennent mon engagement comme aumônier dans les prisons, nombreux sont les gens qui m'imagine exerçant un ministère éprouvant, faisant face à des détresses profondes, au désespoir intense, à des violences inouïes, chez les personnes détenues que je rencontre... et certaines de mes journées leur donnent en partie raison.

Mais peuvent-ils s’imaginer aussi, cet instant particulier, alors que je rentre de mes visites du soir ?

Peuvent-ils me voir, marchant doucement vers ma maison, ému et paisible, encore tout nimbé d'un peu de lumière d’Évangile... parce qu'un combat de l'Esprit a été remporté sur les ombres des cœurs ? Parce qu'un homme s'est enfin relevé de sa couche de honte et à repris le sentier de son humanité ? Parce qu'un visage s'est ouvert à sourire à nouveau, ayant retrouvé le courage d’envisager un avenir ?

Non, sans doute, ne le peuvent-ils pas, et faut-il leur en vouloir…

N'est-ce pas mon redoutable privilège de se tenir, au côté du Christ, auprès de ces hommes et de ces femmes, en ces lieux fermés à tout un chacun ?

N’est-ce pas mon incroyable richesse que d’apercevoir celle pluie de Dieu, sa grâce, ruisseler sur eux, leur ouvrant des espaces de responsabilité, de vérité et de liberté ?

Non, bien sûr, j’aurais tort de vous en vouloir…

Dès lors, puisque je suis le compagnon de pain des prisonniers, je n’hésiterai pas à rapporter cette lumière du soir… qui fait ma joie.


mercredi 24 janvier 2024

Jésus nous fait signe...

Tel fut, à Cana de Galilée, le commencement des signes de Jésus. C’est ainsi que l’auteur du 4e Evangile commente la scène que nous venons de lire.

Méditation de l’Evangile selon Jean, au chapitre 2, les versets 1 à 11.

Un signe ? Comment comprendre ce mot ? Il y a en français plusieurs possibilités. Un signe peut être une image qui décrit symboliquement un lieu ou une action à réaliser, comme nos panneaux de circulation. Faire un signe, c’est une attitude extérieure, un geste, qui fait connaître une intention : hello, viens me voir.

Dans notre texte, un signe, c’est un miracle. Il y a eu les prodiges de Dieu dans l’Ancien Testament, dont un des plus célèbre est sans doute celui de la mer qui s'ouvre pour laisser passer Moïse et son peuple. On peut se rappeler encore les miracles de Jésus dans les Evangiles synoptiques : des guérisons, des délivrances. Mais dans l’Evangile selon Jean le signe prend une dimension plus intérieure, il donne plus d’importance à la signification du miracle qu’à son extraordinaire visible. On pourrait dire que l’évangéliste s’intéresse plus à donner du sens que de faire sensation !

Il y a encore une particularité à propos de ces miracles-signes. Après chacun d’eux, un discours suit qui donne une signification spirituelle à ce qui vient de se passer : par exemple, au miracle des pains multipliés suit un enseignement sur Jésus qui se présente comme le pain de vie.

Le miracle de Cana n’est pas suivi d’un discours. On peut s’interroger ? Serait-ce que le sens des paroles et du geste de Jésus est intentionnellement caché ? Ce  « commencement des signes de Jésus, à Cana » est un peu comme le générique d’un film qui cherche à nous intriguer, nous donner envie de poursuivre avec attention notre lecture. Mais nous sommes aussi prévenus : les événements de la vie de Jésus n’ont pas lieu par hasard.

Non par hasard et librement choisis. Que me veux-tu, femme ? Mon heure n’est pas encore venue (4). Assistons-nous à une petite dispute entre le fils et sa mère ? Même si le ton est respectueux, l’impression est exacte : dans les paroles de Jésus, il y a bien une manière de dire que ce n’est pas le moment…  Pourquoi ce refus ? Jésus veut agir en toute liberté, sans céder à la pression du monde. Il veut respecter « l’agenda » de sa mission et son heure n’est pas encore venue… celle de quitter le monde et d’aller au Père (16,28).

Mais alors pourquoi le fait-il tout de même ? Pas seulement pour rendre service aux mariés, dont la situation est délicate, mais afin de réaliser un geste dont le sens caché sera révélé plus tard. En réalité, dans la préparation de ce signe de l’eau changée en vin, il y a un détail important : Jésus ne demande pas que l’on puise une simple eau de vaisselle. Le texte précise : Il y avait là six jarres de pierre destinées aux rites juifs de purification (6). Jésus donne ainsi à son geste une dimension qui va au-delà de l’aspect pratique, il ne fait pas que sauver la noce !

Ces jarres de purification sont une pratique religieuse de l’ancienne Alliance. Et Jésus, en quelque sorte, va la transformer deux fois : tout d’abord l’eau de la purification deviendra un vin pour se réjouir et non pour s’affliger. Choquant ? Jésus préfère-t-il faire la fête aux rituels ? Ce qui lui sera reproché : « C’est un glouton et un alcoolique » ! (Mt 11, 19) Et ensuite, il en fait le vin des noces de l’Agneau !

Ce vin de la noce à Cana que Jésus fait distribuer entre tous au cours de ce festin, est plein de sens pour notre avenir en Dieu : le festin des noces de l’Agneau, cet avenir auprès Dieu auquel Jésus nous invite. Et la joie d’une communion spirituelle sans fin avec lui ! le vin qui sera encore celui qu’il choisira, lors de son dernier repas, pour signifier la nouvelle Alliance : Prenez, ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, versé pour la multitude (Mt 26,26-29) .

Lorsque nous partageons la Cène, nous pouvons aussi nous souvenir que Jésus n’était pas présent par hasard à cette noce, comme il n’est pas présent par hasard au cœur de nos célébrations, ni présent par hasard au cœur de notre être et de notre foi. C’est bien par sa propre volonté, à cause de sa miséricorde, et dans son amour qu'il dit ne périr jamais (1 Co 13,8).

J’aimerais conclure en nous rappelant ces paroles de ce chant : Nobody knows the trouble I've seen. Nobody knows but Jesus. Nobody knows the trouble I’ve seen. Glory halleluiah!  Vous avez sans doute reconnu le célèbre Gospel… Il chante la reconnaissance d’un croyant qui se réjouit de pouvoir compter sur la présence bienfaisante de Jésus, bien que son trouble soit grand. C’est à ce Jésus que je nous confie aujourd’hui. Que Dieu nous garde en son amour.


Photo:  Eric Imseng (Floral tribut pour le décès de la Reine Elisabeth II)

Pour vivre l'Evangile du Ressuscité: être chaussé de bonnes lunettes et bonnes chaussures !...

Prédication de ce dimanche, partagée avec la communauté paroissiale de Lutry-Belmont. Texte du jour: Evangile de Luc, chapitre 24, 35-48. Av...