Mesdames, Messieurs, chers actionnaires, je vous ai convoqué pour une assemblée générale extraordinaire de notre association pour la préservation de la violence dans le monde, car il y a péril en la demeure !
Il était urgent que je vous fasse part de ma vive inquiétude ! Vous avez entendu comme moi, les propos de ce Jésus de Nazareth qui mettent fortement en danger l’avenir de notre association !
En ma qualité de président, vous savez combien j’aime mon métier. Et si je suis d’abord la gifle, la claque, la baffe, avec mon gabarit, je pourrais même être le coup de poing !
Ma motivation pour le geste brutal reste entière ! Mais je dois reconnaître humblement que ma réussite, je la dois aussi à la fructueuse collaboration des humains qui ont souvent cédé à mes sollicitations !
La gifle, la claque, la baffe, pour montrer que l’on ne se laisse pas faire, pour rendre coup pour coup : la brutalité, la violence, et pourquoi pas la guerre ! Ouh, ça me donne des frissons… Bien sûr, cela se produit la plupart du temps si vous leur êtes hostile, mais reconnaissons que parfois, cela peut arriver parce qu’ils sont blessés ou humiliés... Mais quoiqu’il en soit, le but est de faire mal !
Prédication offerte à l’assemblée paroissiale, dans une « prédication en JE ». C’est une forme qui fait place à un personnage ou un objet témoin qui se trouve ou non dans le texte biblique que nous lisons. Le projet est de donner à la prédication un relief particulier du fait de cette « mise en scène » – un peu théâtrale…
D’ailleurs, je m’étonne du choix de notre secrétaire d’assemblée pour les textes que nous avons lu ce matin avant d’ouvrir notre séance : tous semblent aller dans le même sens que ce prophète juif.
Par exemple, tout avait bien commencer pour ce roi David : la main de son lieutenant aurait pu être décisive…Magnifique : une vengeance ! Le roi qui lui faisait du mal était à sa merci, il n’y avait plus qu’à le tuer ! Eh bien non, David l’a épargné et a volé la lance du roi Saül, celle-là même avec laquelle ce roi avait tenté de tuer David…! Qu’est-ce qui a bien lui inspirer une telle attitude envers son ennemi ?
Même un des apôtres du Christ, Paul, dans sa lettre aux romains, s’y met, lui aussi : ne pas se venger, ne pas rendre le mal pour le mal… être vainqueur du mal par le bien ! (Rm 12) Mais où allons-nous, je vous le demande ?
Cependant, je reviens à la principale raison de ma vive inquiétude : dans ses propos, ce prophète galiléen laisse entendre que l’on pourrait ne pas faire mal quand on nous fait mal ! J’espère ne pas trop vous choquer en disant cela, mais il parle d’amour ! À quoi pense ce Jésus en nous appelant à aimer nos ennemis ?
Certes, il ne s’agit pas d’un amour-passion ni d’un amour-affection, mais tout de même d’une attitude de bienveillance ! Un refus de la violence en réponse à l’hostilité. Excusez-moi de le dire ainsi… mais une action sans haine envers son opposant voire même son bourreau ! Faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous calomnient. (27-28) Vous l’avez entendu comme moi : ses disciples ne resteront pas les bras croisés à subir passivement notre violence !
Et je vous le dis tout net : s’il réussit, ce Jésus va nous mettre sur la paille !
Et pourtant, tout avait si bien commencé : « A qui te frappe sur une joue, présente encore l'autre (29) Comme c’est bien dit : Jésus nous donnait du boulot !
Après une claque, accepter une autre claque, cela nous permettait d’ajouter à cette autre claque, une injure ; et à cette injure, un coup de poing ; et à ce coup de poing… Vous connaissez la suite : l’escalade de la violence, le rêve quoi !
Oui mais, il aurait fallu qu’il s’arrête là ! Je me suis renseigné : il semble bien que l’interprétation de ses paroles ne serait qu’une métaphore pour parler d’autre chose, d’une attitude intérieure, d’une disponibilité justement à ne pas rendre le mal par le mal, de répondre à l’hostilité en réagissant au-delà même des intentions nocives de qui nous ferait du mal !
Comme je vous le disais : ce Jésus de Nazareth va nous mettre sur la paille !
Heureusement, il y a un petit espoir : que la plupart des gens qui entendront ses paroles pourraient penser que cela n’a pas de sens, que c’est excessif, impossible à réaliser !
Mais ce Jésus emploie un mot qui fait un peu chanceler cet espoir, lorsqu’il s’adresse à qui l’écoute : Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance vous en a-t-on ? (32). Et bien que je ne sois qu’une gifle, une claque, une baffe, je suis un peu versée dans l’étude de la langue grecque…
Et lorsque le texte parle de reconnaissance, c’est un mot qui ne signifie grâce et bienveillance, un mot qui invite à la générosité, la patience, une offre sans mérite pour qui la reçoit ! La grace est une voie ouverte pour vivre l’impossible de Dieu, un chemin libérateur pour qui se reconnait incapable de le suivre.
Ce sont des mains vides qui reçoive cette grace et ce sont des cœurs humbles qu’elle rend créatifs et féconds !
Mais je m’emballe, je m’emballe… Voyez : quand je vous disais que ce Jésus de Nazareth va nous mettre sur la paille !
Mesdames, Messieurs, chers actionnaires de notre société pour la préservation de la violence dans le monde, nous allons passer au vote pour lequel vous avez été convoqués en urgence.
Mais auparavant, je vous soumets encore la question grave qui se pose à nous : si l’humanité se mettait à suivre les enseignements de ce Jésus de Nazareth, ne risquons-nous pas de disparaître ? Prendrons-nous la mesure de la menace qu’il représente pour nous ?
D’ailleurs, vous avez entendu comme moi, ce qu’il en dit : c'est la mesure dont nous nous servons qui servira aussi de mesure pour nous. » (38). Que pensez-vous de cette ultime provocation ?
Quelle sera notre mesure, sa capacité, sa générosité ou sa dureté, sa patience ou sa brutalité ? Je ne vous cacherai pas que notre vote n’est pas sans risque, que notre réponse sera cruciale pour notre prospérité.
Si Jésus de Nazareth l’emporte sur nos cœurs, aurons-nous encore un avenir ici-bas ?
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