C'est la dernière de mes courtes prédications offertes aux détenus.e.s des prisons à Genève sur chacune des paroles du Notre Père, dans l’Évangile selon Matthieu (6, 9-13).
Le temps ne me permis pas d'aller jusqu'à la louange finale - que certains manuscrits ajouteraient en reproduisant une formule d'une ancienne liturgie chrétienne, ni de méditer la surprenante conclusion à propos du pardon accordé ou non et ses conséquences.
J'en dirais tout de même quelques mots plus tard, mais pour le moment...
"Notre Père ..., et ne nous conduis pas dans la tentation, mais délivre-nous du mal." (13)
Ces mots, nous les diront tout à l’heure, dans la prière du Notre Père. Ce sont des mots un peu étranges : « Ne nous conduis pas dans la tentation. » Les traductions hésitent entre la tentation et l’épreuve.
Et je me demande : Si la tentation est mauvaise, pourquoi Dieu nous y conduirait-il ? Et si l’épreuve est bonne, pourquoi demander à Dieu de nous l’éviter ? (Echanges avec les détenu.e.s)
Il y a une certaine difficulté à faire la différence entre tentation et mise à l’épreuve… Il faut prendre un peu de distances avec ces mots et relire ce que la Bible nous en dit.
La mise à l’épreuve est une difficulté à traverser dont la foi en sortira renforcée…Par exemple Abraham. En Gn 22,1-19, nous lisons : Après ces choses, Dieu mit Abraham à l'épreuve, et lui dit: Abraham! Et il répondit: Me voici!
Et quelle épreuve ! Car ce texte introduit le récit dit du « sacrifice d’Isaac » ou Dieu semble demander à Abraham de lui sacrifier son unique fils! La mise à l’épreuve d’Abraham ? Être prêt à renoncer à ce qu’il a de plus précieux si Dieu le lui demande. Abraham n’a pas perdu son fils dans la mort, mais cette mise à l’épreuve lui a permis de le retrouver dans une relation où la confiance en Dieu est complète.
La tentation, elle, dans l’Evangile de Matthieu, presque systématiquement, est diabolique, et là, il ne s’agit pas de faire grandir la foi, mais de la faire échouer, d’exploiter l’épreuve pour détourner l’homme de Dieu…
Dans l’Evangile, il y a un texte important à ce sujet : la tentation de Jésus dans le désert (je décris le récit pas à pas pour le détenu.e.s).
Le début du récit en Matthieu 4, qui commence avec ces mots surprenants) : 1Alors Jésus fut conduit par l’Esprit au désert, pour être tenté par le diable. (Puis il poursuit avec l’épreuve) : 2Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il finit par avoir faim. (Et voici la tentation) : 3Le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » (Tentation qui va échouer) : 4Mais (Jésus) répliqua : « Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu. »
Si Jésus avait accepté de prouver qu’il est Fils de Dieu en changeant des pierres en pain, il renonçait à son humanité dépendante de Dieu qu’il est venu nous offrir. Il n’est plus « l’Emmanuel, Dieu avec nous », mais par un extraordinaire numéro de magie, qui va nous épater peut-être, il perd le but de sa venue parmi les humains : « Ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu. »
Et je me demande : Qu’est-ce qui fait la différence entre l’épreuve et la tentation ? (Echanges avec les détenu.e.s)
Le commentateur Pierre Bonnard rappelle la conviction qui se tient dans cette demande : elle exprime « tout ce que le Premier Testament et le bas judaïsme pensent : c’est Dieu qui conduit son peuple ; plus exactement qui l’introduit là où il doit passer. La seule question qui se pose est celle-ci : où va-t-il maintenant le faire entrer ? »
Je pense que l’intention fait la différence : faire grandir ? ou faire tomber ?
Le Dieu de la tentation peut éprouver son peuple et, au cœur de la tentation, lui faire connaître sa puissance et sa grâce ; car, et c’est la confiance qui nous anime lorsque nous disons ces mots de la prière de Jésus : Dieu demeure le maitre de la tentation et du Tentateur.
Et je me demande : Quand nous prions cette demande est-ce parce que l’on craint que Dieu nous tende un piège ? (Echange avec les détenu.e.s)
Il y a une réponse très claire à cette question dans la lettre de Jacques 1,13 : « Que nul, quand il est tenté, ne dise : « Ma tentation vient de Dieu. » Car Dieu ne peut être tenté de faire le mal et ne tente personne. »
Dans notre chemin de foi, nous ne sommes pas des enfants gâtés. Il suffit d’avoir été père – ou mère – pendant quelques minutes pour savoir le mal que nous ferions à nos enfants en leur épargnant toute difficultés.
C’est ce qui fait dire à un théologien protestant, Antoine Nouis : céder à « la tentation de demander à Dieu de nous épargner toute tentation, ce serait en faire un Dieu en guimauve dont le royaume ne serait fait de coton et de sucre d’orge… » Mais si lui adressons cette demande, c’est par humilité : nous reconnaissons la fragilité de notre humanité, à la manière de ce que dit un Psaume : lI sait bien de quelle pâte nous sommes faits, il se souvient que nous sommes poussière. (103, 14)
En tout cas, il y a quelque chose ou quelqu’un dont on ne veut pas clairement : le Malin ! Le mot ponèros dans l’Evangile de Matthieu : « peut désigner soit ce qui est mauvais, défectueux, méchant, soit l’homme violent ou méchant, soit le Diable.
Et là c’est clair, il n’y a pas de bien dans le mal ! En prononçant cette demande, nous voulons être arrachés à la puissance diabolique qui agresse le monde et l’Eglise ! Et nous affirmons que nous ne sommes pas le jouet d’un combat entre le bien et le mal…
Mais nous suivant l’exemple du Christ : si Jésus a résisté à la tentation diabolique de renoncer à son humanité en s’appuyant sur l’Ecriture ; nous, dans la prière, nous entrons dans ce même combat.
Avec cette conclusion, que je saisis dans cet encouragement de Jésus : « Veillez et priez… » (Mt 26,31)
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