L’humain : le mystère et
l’amour.
J’aimerais partager ici quelques réflexions
faites au cours de mon ministère d’aumônier dans les prisons. Il s’agit de
l’humain tel que je l’ai rencontré dans ces lieux. Son mystère qu’il m’a donné
à voir et l’amour qu’il m’a proposé de vivre. Je m’adosserais pour le mystère
au Livre des Psaume et pour l’amour à le Première lettre de Jean.
Le
format des Diachroniques est de privilégier de courts articles. J’ai réparti ma
réflexion sur deux publications. Dont la
première :
Le mystère.
« Mystérieuse connaissance qui me dépasse, si
haute que je ne puis l’atteindre » (Psaume 139, v.6). Ces mots évoquent tout de suite quelque chose de
mon expérience d’écoute et d’accompagnement spirituel auprès des personnes
détenues. Bien sûr, il s’agit d’abord de l’impossibilité d’une pleine
connaissance de Dieu. Qu’on se souvienne du livre de Job : « Prétends-tu sonder la profondeur de Dieu,
sonder la perfection du Puissant ? » (Job 11,7-9). Dans ce psaume comme dans mon écoute, même s’il
faut les distinguer, le mystère de la connaissance de Dieu et celui de l’humain
ne s’excluent pas l’un l’autre.
J’ai admis une fois pour toute ma vulnérabilité en
la matière. Être à l’écoute de l’humain,
quelles que soient les compétences acquises, quelque chose de l’inconnu demeure
et ne se réduit jamais à notre savoir. Au-delà de ce que nous partageons de
tangible, il y a de l’incompréhensible que je ne peux pas atteindre. Et je
n’oublierai pas de sitôt ces mots de Françoise Dolto en exergue d’un livre de
Maurice Bellet – sur l’écoute justement : « Je n’y comprenais
rien. J’étais tout oreilles. »
C’est donc avec cette humilité que j’ai écouté cet
inconnaissable de l’humain, reconnaissant pour les instants de clarté qu’il a
bien voulu m’offrir. J’ai ainsi écouté
le parcours de vie des personnes détenues qui les ont conduites en prison. Les
délits ou crimes dont ils ont été responsables. J’ai écouté encore leur quête
sur le sens et la raison de leur geste. J’ai écouté aussi leurs luttes avec
eux-mêmes au milieu des méandres de la justice. J’ai écouté leur sérénité comme
leurs tourments, leur ignorance ou leur sagesse. J’ai été à l’écoute de tant de
mots et de maux… C’est pourquoi je ne peux m’empêcher de penser que je suis un
témoin privilégié de tout l’humain. Tout entier à son écoute. Tout entier à son
école.
Au-delà de nos paroles, au plus profond de nos
échanges, dans une étonnante simplicité, la clarté du vivant comme le mystère
de l’humain se sont livrer à moi dans leur beauté comme leur laideur, leur
lumière et leur ombre.
J’ai écouté pendant plus de dix ans ces vies
d’hommes et de femmes, arrêtées, examinées, contraintes, jugées. Et j’ai puisé
encore dans cette humilité les ressources pour accueillir la douleur et la
révolte, la honte et l’incompréhension, l’ennui et le désespoir, le déni et la lucidité.
Au cours de nos entretiens, j’ai entendu souvent le
désir de la personne détenue à rejoindre celui du psalmiste : « Dieu ! Scrute-moi et connais mon cœur…
et conduis mois sur le chemin de toujours. » (139, 23-24). Il y avait une épreuve de vérité vers laquelle
nous cheminions, parfois sans y penser. Jusqu’à ce que ce cœur écouté avec
bienveillance, sondé, éprouvé, les ramènent sur ce chemin de toujours . Et même s’il n’a pas toujours été vécu en tant que croyant, il y
a eu souvent ce désir d’oser revenir en soi, reprendre un dialogue avec soi, marcher
à nouveau sur la route de la vie. En cela, j’ai été le « complice » de
leur réhabilitation.
Bien sûr, ce chemin ne conduisait par forcément à
un vécu comme avant, mais peut-être sera-t-il mieux qu’avant… Car
le passé dépassé ne nous ramène pas au début mais plus loin. Ainsi, ce chemin de toujours, qui s’ouvrait aux
personnes détenues, ce n’était rien de moins que la vie qui ne cesse pas d’être
la vie, même derrière les murs d’une prison.
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