Raoul Follereau, ce nom vous dira peut-être quelque chose si vous êtes de ma génération. Homme de cœur et d’action, il a été un ardent soutien et défenseurs des personnes atteintes de la maladie de la lèpre ! Il a fondé une œuvre en leur faveur et parcouru le monde pour leur venir en aide et améliorer leurs conditions de vie. Il dénonçait leur exclusion par ces mots : « Ils ne sont pas à côté du cimetière, ils sont dedans, misérables et muets… Ils ont dépassé la limite même du désespoir. »
Dans l’Evangile de Marc, tout se passe très vite et
semble aller dans tous les sens. Mais si son évangile peu sembler un peu brouillon
par le style, Marc ne l’a pas composé au hasard : ce récit de la purification
d’un lépreux est un signe qui atteste que Jésus est bien le Messie attendu. D’ailleurs
à la question inquiète de Jean le Baptiste emprisonné : « Es-tu celui
qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » Jésus lui
répondra de regarder : « les aveugles retrouvent la vue et les boiteux
marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts
ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. » (Mt 11,2-6)
Marc nous fait lire encore, dans son récit, la ferme
volonté qu’a Jésus de montrer sa compassion envers celles et ceux qui sont en
détresse… et qui viennent à lui ! « Si tu le veux, tu peux me
purifier. » - « Je le veux, sois purifié. » (41)
Un lépreux retrouve une peau saine, et l’on parle de
purification et non de guérison… l’indice sans doute que, dans ce
récit, la question d’être pur ou impur précède celle d’être malade ou guéri. Être
pur, c’est être sans tâche, propre… pour un vêtement par exemple. Mais c’est
aussi être pur de corps et d’âme (Platon) : être bien dans sa peau ! Mais
ce lépreux n’est pas pur de corps, et il ne peut plus l’être d’âme ! Il
croupi dans ce cimetière des vivants dont parlait Raoul Follereau !
L’exclusion est un mot important de ce récit ! et ce mot a été combattu
avec l’énergie que l’on sait par l’Abbé Pierre dont l’œuvre constante peut se
dire en deux mots : « Être exclu… C’est exclu ! »
Mais revenons à notre récit. « Les bonnes
choses vont par trois », dit-on ? Ici, les mauvaises choses vont par
deux ! Il y a la « double exclusion » de ce lépreux exclu de son
corps et exclu de la communauté. Et comme si cela ne suffisait pas, il doit
subir encore une « double humiliation » : celle de l’apparence qu’il
doit montrer, décrite dans le texte du Lévitique que nous avons lu, avec « son
attirail lugubre » (Lagrange). Et plus encore, lors de toute rencontre
avec ses semblables, ce cri déchirant par lequel il doit se présenter à eux :
« Impur ! Impur ! »
En le purifiant, Jésus va le rétablir dans son
intégrité physique mais aussi dans son estime de lui-même. Et c’est à dessin
que Jésus l’envoie vers le prêtre pour constater qu’il est guéri et qu’il peut réintégrer
la communauté.
Quoiqu’il en soit, dans cette rencontre, tous les
deux « risquent leur peau », selon le mot de Marion
Muller-Colard. Risquer sa peau, pour le lépreux c’est transgresser les règles :
il ne crie pas, il va à Jésus, il s’adresse à lui ! Risquer sa peau pour Jésus
c’est de ne pas le fuir, de ne pas le réprimander. Il l’accueille, il lui
parle, et plus encore, il le touche ! Être touché, et touché. Prendre un
risque. Aller au-delà de l’apparence, de la réputation, des on-dit, des il ne
faut pas….
Ainsi, pour nous, dont le besoin de guérir d’une lèpre
physique n’est plus aussi nécessaire qu’alors, de quelle lèpre existentielle pourrions-nous
être frappé aujourd’hui ? Qui pourrait bien être notre « lépreux »
? De quelle peau sera-t-il ou sera-t-elle vêtu pour se présenter à nous avec ce
cri impur, impur, ou pour le dire autrement « Ignore-moi ! Déteste-moi !
Rejette-moi ! » ? Jusqu’où prendrons-nous exemple sur la volonté
de Jésus d’accueillir un exclu de le ramener vers l’intégration ?
Être en lien avec une personne exclue n’est pas
forcément surmonter une situation conflictuelle. Ce lien peut être vécu en
offrant du temps, une présence, une écoute, une aide concrète. Elle peut être
simple et cela ne nous demande pas d’être parfait.
Être en lien avec une personne exclue ne fera pas de
nous un aidant et un aidé, mais deux personnes qui apprennent les bienfaits du
respect mutuel, deux personnes qui découvrent un lien d’humanité dans toute sa
pureté… ! La voilà la pureté qu’il vaut la peine de préserver. Marcher
ensemble selon l’amour.
La lettre aux Romains nous y invite. Être pur, ce n’est pas seulement manger et boire juste pour ne pas être en faute. Être pur, c’est chercher l’essentiel qui rassemble plutôt que la particularité qui divise. Être pur, ce n’est pas jouer les forts contre les faibles ! Être pur, c’est vivre la joie de cette règle d’or : « Car le Règne de Dieu n'est pas affaire de nourriture ou de boisson ; il est justice, paix et joie dans l'Esprit Saint. » (17)
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