dimanche 12 mai 2024

Et vous accomplirez ainsi la loi du Christ...

En désignant l’illustration proposée sur un feuillet à l’assemblée – Votre illustration de la publication :


« Jésus leva les yeux au ciel et dit : « Père, l’heure est venue… » (1). Sur le seuil de sa Passion, Jésus prie. Les Evangiles présentent Jésus en prière, « dans la montagne, à l’écart », mais ne disent rien du contenu de sa prière (Mt 14,23 ; // Mc 6,46). Il faudra une demande des disciples à être enseigné à prier, pour que Jésus y réponde avec le Notre Père (Lc 11,2-4).

Les mots de Jésus en prière, nous les entendons encore dans le jardin de Gethsémané (Mt 26,39), la plus courte sans doute, dans une supplication de quelques mots. Et ici, la plus développée, dans le chapitre 17 de l’Evangile selon Jean, qu’elle occupe entièrement.

Cette prière d’adieu (comme on a pu la nommer) conclut les derniers entretiens de Jésus avec ses disciples (13 – 17). Des entretiens dans lesquels Jésus se révèle de manière plus intime qu’en public : « Je ne vous appelle plus serviteurs, (leur dira-t-il)…  Je vous appelle amis, parce que tout ce que j’ai entendu auprès de mon Père, je vous l’ai fait connaître. » (15,15).

Mais n’est-ce qu’une prière d’adieu ? Dans la peinture d’Arcabas sur votre feuillet, je vois Jésus, les yeux fermés. Rassemblé à l’intérieur de son être, il parle à son Père. La douceur de son visage ne doit pas faire oublier sa détermination à prendre soin de ses disciples.

Mais encore, Jésus, derrière ses yeux clos, contemple aussi son avenir, dans la communauté des croyants qui viendront après lui – et dont nous faisons partie aujourd’hui. Ces yeux fermés et se mains levées de Jésus en prière ouvre les nôtres sur les intentions et les précautions qu’il a adressé au Père et qui sont nécessaires à notre vie de foi, aujourd’hui encore.

Jésus nous offre ici, au plus profond de son être, pour notre génération, une prière de confiance, d’amour et d’unité.

Prédication offerte à la paroisse de Cully - Lavaux, de dimanche 12 mai 2024. Textes du jour : Jérémie 31, 31 à34. Première épitre de Jean, au chapitre 4, 11 à 16. la prière d’adieu de Jésus, au chapitre 17 de l'Evangile selon Jean, les versets 11 à 19.

Dans l’extrait que nous lisons ce matin, les expressions « je ne suis plus dans le monde », « j’étais avec eux », « je vais à toi » disent clairement que l’avenir des disciples dans le monde se fera sans sa présence, telle que ses disciples ont connu. Et le monde qui les attend promet de ne pas être tendre avec eux (14-15)… Et d’ailleurs, l’est-il avec nous ?

Par ses mains ouvertes, confiantes autant que suppliantes, face à l’hostilité du monde, Jésus demande à Dieu de nous en garder. Mais cette protection ne sera pas celle du confort douillet ni de la facilité.

Elle sera celle de l’assurance de ne pas périr par le Mauvais… Et pas la peine de chercher le diable pour savoir de quoi l’on parle. L’actualité de notre monde ne nous donne-t-elle pas des exemples, aussi nombreux que douloureux, de ce qui pourrait nous détruire physiquement !

Notre paix, notre confiance, elle, vient que cette protection a sa source dans notre appartenance au Christ : elle n’empêche pas la difficulté ou la détresse, mais elle suscite notre courage comme notre consolation par cette réalité : nous sommes pas du monde, mais de son univers à lui, de son Royaume à lui !

Alors protégés – oui, certes – mais pas « chouchouté » pour autant ! Si Jésus est Fils, il n’est pas un fils à papa – et nous non plus ! Comme le Christ a été exposé à l’hostilité du monde, nous le sommes aussi (15). Un disciple n’est pas plus grand que son maître… mais la protection du disciple n’est pas moindre que celle du maître ! « En ce monde vous êtes dans la détresse, mais prenez courage, j’ai vaincu le monde. » (Jn16,33)

La conclusion de notre extrait parle d’un envoi des disciples dans le monde soutenu par la consécration du Christ. Ainsi, la consécration précéderait-elle la mission ? Pas nécessairement… Je me rappelle ces mots de l’Abbé Pierre : « Il ne faut pas attendre d’être parfait pour commencer quelque chose de bien. »

Mais tout de même, pour reprendre des mots de cet Evangile, Jésus envoie en mission des disciples et non des mercenaires. L’authenticité de notre consécration ne fait-elle pas celle de notre témoignage ? Si nous ne sommes pas à l’origine de notre mission, ne sommes-nous pas responsables de sa réalisation ?

Et pour la réaliser, quelle est notre ressource ? Ce visage paisible du Christ, peint par Arcabas, me donne à voir la source de la consécration du Christ : sa confiance en son Père.

C’est ainsi que la consécration de Jésus est la source de la nôtre. Et où la trouver mieux que dans sa Parole? La Parole du Christ, ce ne sont pas que des mots… mais des gestes, des attitudes, des attentions portées à autrui. Bref, la parole du Christ, dans les Evangiles, cela ressemble à des rencontres dans la vérité.

Et si cette parole est dite vérité, elle n’est pas pour autant un enfermement dans la peur, un esclavage d’exigences inatteignables, de contraintes sans fin ! « Vous connaitrez la vérité, et la vérité fera de vous des êtres libres. » (8,32). Une vérité simple, étonnante et intense, comme les traits et couleurs de ce tableau.

« Vérité ? » J’entends poindre la question : « Qu’est-ce que la vérité ? » (18,38) Vous vous souvenez, je pense, que Jésus ne donnera aucune réponse à cette question du gouverneur Ponce Pilate ?... Et pourtant, la vérité, elle se tenait justement en face de lui !

 « Et pour eux, je me consacre moi-même. » (19). Ces mots de Jésus semblent sortis de cette représentation du Christ. Quelle joie – et non quelle crainte – se donne à nous dans les mots de Jésus ! Jésus, le Christ, inspirant notre vie, fécondant nos pensées, soutenant nos actes… pour nous rendre non pas esclaves, mais libres !

Libres d’entreprendre, de chercher, de se tromper… Libres parce que la loi de Dieu est « au fond de nous-mêmes », selon la promesse de Jérémie, dans notre être profond ! La promesse réalisée en Christ d’une alliance de vérité selon le cœur de Dieu !

Libres de servir et d’aimer notre prochain, comme nous l’y invite la première épitre de Jean : rendre l’amour de Dieu « visible » dans notre amour concret pour autrui.

Et une fois encore, à l’image du Christ, cet amour ne sera pas fait que des mots, mais des actions, aussi généreuses que coûteuses, aussi déraisonnables, parfois, que nécessaires !

« Mes enfants, (dit encore Jean dans sa lettre)… n’aimons pas seulement en paroles, avec de beaux discours ; faisons preuve d’un véritable amour qui se manifeste par des actes. » (1 Jn 3,18). Et l’apôtre Paul conclura : « … vous accomplirez ainsi la loi du Christ. » (Ga 6 ,2)



Le Christ en prière. Peint par Arcabas





mardi 7 mai 2024

Le Royaume des cieux, c'est comme un trésor...

Le Royaume des cieux, c’est comme un TRÉSOR.

Le mot a retenu mon attention, car il apparaît deux fois dans ce passage. Tout d’abord, le trésor trouvé. On pourrait penser « trouvé par hasard » ? Mais je pense plutôt à une image de la grâce. En ce sens que la grâce, ce n’est pas un « coup de bol » ; elle a eu un prix, que nous a rappelé la lettre aux Romains, et quelque part, acquérir ce trésor du Royaume des Cieux en a – un – aussi pour nous. Faut-il rappeler ici, l’ouvrage du théologien allemand, Dietrich Bonhoeffer : « le prix de la grâce » ?


Extrait d'une prédication sur le chapitre 13,44-52 de l'Evangile de Matthieu, et quelques perles...

Alors, quoi vendre ? quel renoncement ? Comment comprendre cette « petite folie » ? Serait-ce pour imiter la « petite folie » de ce marchand qui cherche de belles perles ? Peut-être bien, car ce marchand qui lui aussi vend tout ce qu’il a pour les acquérir pourrait être un exemple ET de notre valeur ET de la grande générosité que Dieu a envers nous. Ainsi, le trouveur de trésor et le marchand de belles perles qui tous deux vendent tout… nous inviterait à vivre le Royaume des cieux avec la même générosité que Dieu a eue envers nous.

Où est notre trésor ? Où sont nos richesses ? Dans une œuvre de Plutarque, il décrit une prison qui porte le nom de « trésor »… et sa description est saisissante, car elle fait penser au tombeau du Christ ! Si notre trésor devient une prison, si notre cœur abrite un tombeau… Quelle sera alors notre richesse ? Que sera devenu en nous le trésor du Royaume des Cieux?

Et la compétence de ce scribe doit devenir la nôtre : pas de « querelles des anciens et des modernes » entre nous, mais un discernement entre les valeurs du neuf et du vieux, nous serons alors comme des « maîtres de maison », à sa suite, pour reconnaître que le nouveau a pu avoir sa source dans l’ancien et que le vieux a pu faire naître du neuf.

Je conclus avec le poème de Marion Muller-Colard, que j’ai cité tout à l’heure et qui l’écrivait en conclusion d’une méditation sur ce même sujet :

Désirée désirant Dieu
Je vibre de tendre vers ton attente
Tu cherches en moi ce qui te guette
Tu es mon bien, je suis ta quête
Je désire résider en Dieu
Désigne en moi l’endroit caché
Où ma vie couve le trésor véritable
Ce manque de sécurité qui me harcèle
L’élan qui me tient en haleine
Désirée, désire en Dieu!
Alors me seront révélés les gestes fous, la démesure
Toutes les offrandes que dieu agrée.


Illustration: l'instant de la découverte du Trésor de Smaug pas Bilbon le Hobbit... (Le Seigneur des Anneaux)

dimanche 14 avril 2024

Pour vivre l'Evangile du Ressuscité: être chaussé de bonnes lunettes et bonnes chaussures !...

Prédication de ce dimanche, partagée avec la communauté paroissiale de Lutry-Belmont. Texte du jour: Evangile de Luc, chapitre 24, 35-48. Avec quelques accessoires que vous pourrez vous imaginez... je l'espère.

(Arrivé à la chaire, sortir et chausser mes lunettes de soleil…)

Portez des lunettes de soleil, dans le temple de Lutry, un dimanche matin… Cela peut sans doute paraître incongru… Et si je poursuivais cette prédication ainsi, vous auriez été intrigués : - est-il malade ? - plaisante-t ’il ?...

Intrigués comme on peut l’être en lisant ces textes dits d’apparition de Jésus. Embarrassés, voire gênés, peut-être : que peut-on bien en faire ? Sommes-nous encore concernés ?

(Changer mes solaires pour les habituelles et les chausser) Voilà… celles-ci sont plus adéquates, je pense…

Cette petite accroche nous introduit à une question que l’on peut se poser en lisant l’Evangile de ce matin : quel regard avoir sur ce Jésus se présentant à ses disciples, vivant, parlant, mangeant ? Quel regard… et avec quelles lunettes ?

Voir est un verbe important ici. Voir Jésus ressuscité apparaître au milieu de ses disciples est comme un dernier acte avant d’être enlevé définitivement de leurs yeux. Mais nous aussi, nous voyons Jésus ressuscité, nous participons à la scène et sommes témoins de sa résurrection… le voir parce que nous lisons ce récit.

Ah, et je ne vous laisserai pas plus longtemps dans la perplexité concernant les chaussures placées ici… Elles aussi sont de deux sortes : des chaussures de marche et des chaussures de danse. Elles aussi interrogent. À propos d’une autre expression, également dans le passage de Luc : être témoin. Cela a changé beaucoup de choses pour les disciples. Et pour nous ?

Témoigner après avoir dissiper la peur et les doutes. Témoigner de l’enseignement de Jésus, mais pas sans l’intelligence de l’Esprit Saint … Témoigner du Christ vivant, aujourd’hui, sur les chemins si particuliers, voire douloureux, de notre monde nécessite d’être bien chaussé !

Voir donc avec les lunettes de la foi pascale. Le texte de Luc, par l’heureux hasard de nos lectionnaires, fait écho au texte de l’Evangile de Jean de dimanche passé. Et nous nous rappelons la demande de Thomas et la réponse de Jésus : « Si ne vois pas… je ne croirai pas – Bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru. » (Jn 20,28)

Si cette béatitude est la règle aujourd’hui, pourquoi lire encore ces textes ? Car ils restent essentiels, comme les Evangiles, puisqu’ils nous rapportent, comme les Evangiles, ce qu’ils ont vu et entendu : 1 point pour Thomas !

Mais ces récits, nous pouvons les tourner dans tous les sens, ils se concluent par la foi de celles et ceux qui ont la foi sans l’avoir vu : 1 point pour nous !

Depuis le récit du tombeau vide, la détresse de la mort de Jésus est doublée de l’angoisse de savoir où est son corps ? Au tombeau : « il n’est pas ici » (6). Et parmi les Onze, à Jérusalem, s’il est là « au milieu d’eux » (36), est-il vraiment là ? Est-il toujours le même ?

« Voyez… Regardez…»  Ce verbe voir, est le même pour les disciples assistant à la transfiguration de Jésus (9,31) ; il est le même lorsque Zacharie à la vision d’un ange dans le Temple (1,22). Ainsi Voir ce n’est pas seulement observer avec ses yeux … il y une dimension spirituelle que les lunettes de la foi peuvent nous donner à voir.

Voir le Christ vivant nous ouvre aux autres vivants, pour les voir au-delà des apparences. Voir le Christ vivant c’est aussi voir clair en soi et nous dégager de nos illusions :  «Touchez-moi, regardez… un esprit (une illusion) n’a ni chair, ni os, comme vous voyez que j’en ai » (39). Voir le Christ vivant, c’est aussi voir vrai en l’autre, et vivre une amitié partagée dans la joie. Le Christ vivant donne de la consistance à nos désirs, à la perception de nous-même, à la communion que nous avons avec nos semblables.

Il y a dans cette audace d’une foi qui contempler le Christ ressuscité, je le crois, une fécondité nouvelle à découvrir en nous et autour de nous : « La paix soit avec nous : »

Avoir foi en Lui, sans l’avoir vu. Vivre cette béatitude que Jésus annonçait à Thomas, et en être témoin. Mais avec quelles chaussures ? avec ces chaussures de marche, j’ai voulu présenter une image pratique : celle des paroles que Jésus a dites. Leur accomplissement dans les Ecritures. (44)

Ce sont de bonne chaussures, solides et sûres, faites pour tous les terrains, exigeants ou plus aisés… Solides et sûres, comme était, solide et sûre, la réalité du corps ressuscité de Jésus.

Ce sont de bonnes chaussures, réconfortantes et chaudes, comme l’étaient les paroles du Christ, cheminant avec les disciples à Emmaüs, et leur expliquant les Ecritures. Ces chaussures sont porteuses d’une bonne nouvelle : « La paix soit avec nous. »

Et si vous pratiquez la randonnée, vous savez combien il est important d’être bien équipé, mais il nous faut encore un bon état d’esprit… et pour marcher avec les Ecritures, le Saint-Esprit !  Un souffle de Dieu pour en avoir en soi et marcher avec persévérance, au jour le jour… bon an, mal an !

Comment les Ecritures nous accompagne-t-elles dans le quotidien ? Quelle inspiration, quel courage, quelle patience, nous apportent-elles ? Et ma question n’est pas forcément si nous lisons la Bible tous les jours, mais comment sa chaleur illumine notre être intérieure…

André Dumas l’écrivait dans une prière : « Donne-nous d’accompagner avec (Ta parole)  les moments si divers de nos vies, comme le pain accompagne les plats si variés de nos tables. (…) Ta parole est le vrai pain descendu du ciel pour la nourriture des hommes. »

Et pour conclure, une paire de chaussures de danseMoins rugueuses, plus souples, ces chaussures m’ont inspiré la danse joyeuse et apaisante de la présence du Christ aujourd’hui, dans nos vies : « C’est bien vrai ! Le Seigneur est ressuscité » (34) me donne envie de danser !

Personnellement, la danse me remplit de joie… elle est pour moi un espace intérieur de grâce et d’épanouissement intérieur, une expression sensible de mon âme dans un langage corporelle. »

Bien sûr, cela ne vous oblige pas de danser… mais j’aimerais que cette image, peut-être audacieuse, nous rappelle quelque chose de la finesse et de l’élégance de la présence du ressuscité en nous : « C’est bien vrai ! Le Seigneur est ressuscité. »

La joie de Pâques, la danse joyeuse de la présence du Ressuscité, va se poursuivre au-delà de ces dimanches. Et de cette joie sans voir, de cette danse de l’Esprit Saint en nous, Pierre en a été le témoin aussi, avec ces mots : « Lui que vous aimez sans l’avoir vu, en qui vous croyez sans le voir encore ; aussi tressaillez-vous d’une joie ineffable et glorieuse. » (1 P 1,8).

Amen.


Illustration: Arcabas.

samedi 30 mars 2024

Je te vois mourir sur cette croix.

Je te vois mourir sur cette croix.

Combien d’images, d’objets, de scènes peintes… te figent, te dépeignent, te crient ainsi ?

Sur ce bois d’humiliation, je te vois, te laissant engloutir dans la mort.

Mais combien de regards te verront, en cet instant, engloutir toutes nos morts ?

Qui saisira, dans ton abandon souffrant, ta main nous saisissant ?

Abandonné, souffrant, mourant, tu n’es pas devant nous mais en nous, comme nous sommes en toi, abandonnés, souffrants, mourants.

À l’impossible question « Où es Dieu dans les souffrances injustes du monde » ? Tu réponds : « Je suis là, en toi. »

Je me souviens des mots d’Élie Wiesel. Près d’une potence d’Auschwitz, lors d’une exécution par pendaison, un enfant agonisait sans fin… Un des prisonniers, contraint d’y assister avec lui, s’écriait : « Mais où est Dieu ? » Et Élie Wiesel de répondre : « … je sentais en moi une voix qui lui répondait :  Où il est ? Le voici : il est pendu ici, à cette potence ! »

Tu es là, pendu au bois.

A chaque instant de ma souffrance ou lorsque je dois la regarder en face, je te sais en moi.

Tu es là, reconnaissant ce vivre de douleur et d’accablement et le fécondant de ta faiblesse et ton amour.

Je suis là, au pied de ta croix, frappé par l’amertume du monde et te nommant : « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi ! »

Tu es là, en croix, habitant la souffrance du monde et me répondant : « Moi je suis la lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans l'obscurité, mais il aura la lumière de la vie. » (Jean 8,12)




jeudi 14 mars 2024

Quel est ton visage - et le mien?… (Récit de Luc 9,28-36)

Mais qui es-tu, quand tu parais dans ce vêtement si extraordinaire… ? Quel est ce visage, portant une expression ignorée par ceux qui te voyaient pourtant chaque jour ?

Que signifie tant d’éclat, « brillant comme un éclair » ? C’est le mot de l’Evangéliste Luc, celui dont on use pour décrire les éclats de lumières lorsqu’ils frappent la terre pendant l’orage.

Si ton visage est autre c'est pour m'inviter à te chercher au cœur de mon être. Si ton vêtement n’est pas seulement lumineux… C'est qu'il est comme la foudre qui frappe mon entendement.

Et tous deux viennent ensemble bouleverser ma connaissance du « Christ de Dieu » !

Et me voici de même... transfiguré !



dimanche 10 mars 2024

L’humain : le mystère et l’amour... (2)

J'ai partagé dans un précédent article quelques réflexions faites au cours de mon ministère d’aumônier dans les prisons. J'y ai parlé de l’humain tel que je l’ai rencontré dans ces lieux. Le format des Diachroniques étant de privilégier de courts articles. J’ai réparti ma réflexion en deux fois. Voici la seconde et dernière publication :

L’amour

Mais que serait le mystère s’il n’était qu’une ignorance, un trou noir sans fond ? Si j’ai appris à reconnaitre sa réalité, j’ai aussi découvert sa fécondité. Et cette fécondité (est-ce vraiment une surprise ?) me conduite à rien moins que l’amour. L’amour… il a tant de facettes, tant de beauté et tant de vanité ! Celui qui m’a permis d’apprivoiser le mystère de l’humain était désintéressé, un amour qui se donne sans autre intention que le don de soi.

L’amour. Suffit-il d’avoir ce mot à la bouche pour être un témoin crédible du Christ ? Je pense à cette lettre de l’apôtre Jean : « Mes chers amis, aimons-nous les uns les autres, car l’amour vient de Dieu. Celui qui aime est né de Dieu et il connaît Dieu. Qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour » (1 Jean 4,7-8).

Au cours de mon ministère en milieu carcéral, ce Dieu est amour fut une bonne et une étrange nouvelle à la fois. Où est le Dieu d’amour pour ces femmes et ces hommes que l’on rejette et condamne ? Où est le Dieu d’amour pour celles et ceux qui en ont fait pour la société qui les a rejetés ? Où est le Dieu d’amour pour ces personnes détenues qui suscitent en nous plus de colère que d’affection ?

Une réponse se tenait dans un tout petit espace contenu dans ce si grand mot  « amour ». Un détail d’une grande œuvre, comme celui d’un tableau de Maître. Approchez et vous y trouverez ce tout petit espace dans un mot plus difficile encore : le pardon. Quand je disais « détail »… c’était une image bien entendu ! Un petit espace, comme un chemin étroit ! Mais vivre le Dieu qui est amour n’est pas réservé qu’aux bons moments, c’est aussi pour les temps difficiles. Vivre le Dieu qui est amour n’est pas réservé à celles et ceux qui le méritent ! Vivre ce Dieu qui est amour de manière inconditionnelle me permit de traverser des voies impossibles. Vivre le courage et la patience d’un amour qui ouvrira pour nous des voies que l’on pensait impraticables, comme nos chemins de pardon peuvent l’être. Vive le Dieu qui est amour, ce n’est pas faire « tout bien comme il faut », c’est d’abord être vrai. La voie du Dieu qui est amour débute par cette leçon.

L’amour et le pardon : des valeurs qui portent autant d’espoirs que d’amertume dans les prisons. Mais il serait dommage de le taire : l’amour et le pardon ont été pour moi de redoutables « passe-murailles », d’étonnants « ouvre-cœurs » ! Le pardon et l’amour ont été des fenêtres ouvertes dans les murs sombres de l’âme humaine. Ils m’ont porté dans ce généreux et persévérant don de soi ! Au-delà des émotions, au-delà, du mérite, nous étions bien au cœur de l’Evangile !

C’est avec la conviction qu’un pardon est possible que je suis allé à la rencontre de ces jugements implacables qui enferment les personnes détenues, bien mieux encore que l’enceinte d’une prison ! Mais de cette puissante ressource, je ne suis ni l’inventeur ni l’initiateur : « Voici ce qu’est l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime d’expiation pour nos péchés. Mes bien-aimés, si Dieu nous a aimés ainsi, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres. » (1 Jean 4, 10-11).

Aimer comme nous sommes aimés. Pardonner comme nous sommes pardonnés ! Dans le milieu carcéral, les aumôniers contribuent à la réhabilitation des personnes détenues. Si la phrase est assez courte, la réalité est bien plus longue et complexe. En effet, le pardon n’est pas un tampon de l’administration pénitentiaire… ou de la justice pénale. De toute manière, la justice pénale ne pardonne pas, elle oublie. Le pardon n’est pas l’absolution d’une autorité religieuse qui donnerait l’illusion d’une absence de trajet intérieur pour l’acquérir. Mais pour moi, disciple du Christ, impossible de répondre « non » à la question du pardon, sans être un ignorant de Dieu, car Dieu est espoir de réconciliation. Je pense à ce verset du Psaume 130,3-4 : « Si tu retiens les fautes, SEIGNEUR ! Mais qui subsistera ? Mais tu disposes du pardon et l’on te craindra. »

Ouvrir un chemin de pardon n’est pas une bagatelle, un acte facile et superficiel. Refuser le pardon ne l’est pas moins, car fermer à quelqu’un tout recourt au pardon est un acte contre nature de la connaissance de Dieu, car Dieu est amour. Ce serait gravement ignorer que Qui n’aime pas n’a pas connu Dieu.



Photo: Eric Imseng


vendredi 1 mars 2024

L’humain : le mystère et l’amour... (1)

L’humain : le mystère et l’amour.

J’aimerais partager ici quelques réflexions faites au cours de mon ministère d’aumônier dans les prisons. Il s’agit de l’humain tel que je l’ai rencontré dans ces lieux. Son mystère qu’il m’a donné à voir et l’amour qu’il m’a proposé de vivre. Je m’adosserais pour le mystère au Livre des Psaume et pour l’amour à le Première lettre de Jean.

Le format des Diachroniques est de privilégier de courts articles. J’ai réparti ma réflexion sur deux publications.  Dont la première :

Le mystère.

« Mystérieuse connaissance qui me dépasse, si haute que je ne puis l’atteindre » (Psaume 139, v.6). Ces mots évoquent tout de suite quelque chose de mon expérience d’écoute et d’accompagnement spirituel auprès des personnes détenues. Bien sûr, il s’agit d’abord de l’impossibilité d’une pleine connaissance de Dieu. Qu’on se souvienne du livre de Job : « Prétends-tu sonder la profondeur de Dieu, sonder la perfection du Puissant ? » (Job 11,7-9). Dans ce psaume comme dans mon écoute, même s’il faut les distinguer, le mystère de la connaissance de Dieu et celui de l’humain ne s’excluent pas l’un l’autre.

J’ai admis une fois pour toute ma vulnérabilité en la matière.  Être à l’écoute de l’humain, quelles que soient les compétences acquises, quelque chose de l’inconnu demeure et ne se réduit jamais à notre savoir. Au-delà de ce que nous partageons de tangible, il y a de l’incompréhensible que je ne peux pas atteindre. Et je n’oublierai pas de sitôt ces mots de Françoise Dolto en exergue d’un livre de Maurice Bellet – sur l’écoute justement : « Je n’y comprenais rien. J’étais tout oreilles. »

C’est donc avec cette humilité que j’ai écouté cet inconnaissable de l’humain, reconnaissant pour les instants de clarté qu’il a bien voulu m’offrir.  J’ai ainsi écouté le parcours de vie des personnes détenues qui les ont conduites en prison. Les délits ou crimes dont ils ont été responsables. J’ai écouté encore leur quête sur le sens et la raison de leur geste. J’ai écouté aussi leurs luttes avec eux-mêmes au milieu des méandres de la justice. J’ai écouté leur sérénité comme leurs tourments, leur ignorance ou leur sagesse. J’ai été à l’écoute de tant de mots et de maux… C’est pourquoi je ne peux m’empêcher de penser que je suis un témoin privilégié de tout l’humain. Tout entier à son écoute. Tout entier à son école.

Au-delà de nos paroles, au plus profond de nos échanges, dans une étonnante simplicité, la clarté du vivant comme le mystère de l’humain se sont livrer à moi dans leur beauté comme leur laideur, leur lumière et leur ombre.

J’ai écouté pendant plus de dix ans ces vies d’hommes et de femmes, arrêtées, examinées, contraintes, jugées. Et j’ai puisé encore dans cette humilité les ressources pour accueillir la douleur et la révolte, la honte et l’incompréhension, l’ennui et le désespoir, le déni et la lucidité.

Au cours de nos entretiens, j’ai entendu souvent le désir de la personne détenue à rejoindre celui du psalmiste : « Dieu ! Scrute-moi et connais mon cœur… et conduis mois sur le chemin de toujours. » (139, 23-24). Il y avait une épreuve de vérité vers laquelle nous cheminions, parfois sans y penser. Jusqu’à ce que ce cœur écouté avec bienveillance, sondé, éprouvé, les ramènent sur ce chemin de toujours . Et même s’il n’a pas toujours été vécu en tant que croyant, il y a eu souvent ce désir d’oser revenir en soi, reprendre un dialogue avec soi, marcher à nouveau sur la route de la vie. En cela, j’ai été le « complice » de leur réhabilitation.

Bien sûr, ce chemin ne conduisait par forcément à un vécu comme avant, mais peut-être sera-t-il mieux qu’avant… Car le passé dépassé ne nous ramène pas au début mais plus loin. Ainsi, ce chemin de toujours, qui s’ouvrait aux personnes détenues, ce n’était rien de moins que la vie qui ne cesse pas d’être la vie, même derrière les murs d’une prison.



Photo: Eric Imseng


mercredi 14 février 2024

Être exclu... C'est exclu!

Raoul Follereau, ce nom vous dira peut-être quelque chose si vous êtes de ma génération. Homme de cœur et d’action, il a été un ardent soutien et défenseurs des personnes atteintes de la maladie de la lèpre ! Il a fondé une œuvre en leur faveur et parcouru le monde pour leur venir en aide et améliorer leurs conditions de vie. Il dénonçait leur exclusion par ces mots : « Ils ne sont pas à côté du cimetière, ils sont dedans, misérables et muets… Ils ont dépassé la limite même du désespoir. »

Dans l’Evangile de Marc, tout se passe très vite et semble aller dans tous les sens. Mais si son évangile peu sembler un peu brouillon par le style, Marc ne l’a pas composé au hasard : ce récit de la purification d’un lépreux est un signe qui atteste que Jésus est bien le Messie attendu. D’ailleurs à la question inquiète de Jean le Baptiste emprisonné : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » Jésus lui répondra de regarder : « les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. » (Mt 11,2-6)

Marc nous fait lire encore, dans son récit, la ferme volonté qu’a Jésus de montrer sa compassion envers celles et ceux qui sont en détresse… et qui viennent à lui ! « Si tu le veux, tu peux me purifier. » - « Je le veux, sois purifié. » (41)

Un lépreux retrouve une peau saine, et l’on parle de purification et non de guérison… l’indice sans doute que, dans ce récit, la question d’être pur ou impur précède celle d’être malade ou guéri. Être pur, c’est être sans tâche, propre… pour un vêtement par exemple. Mais c’est aussi être pur de corps et d’âme (Platon) : être bien dans sa peau ! Mais ce lépreux n’est pas pur de corps, et il ne peut plus l’être d’âme ! Il croupi dans ce cimetière des vivants dont parlait Raoul Follereau !

L’exclusion est un mot important de ce récit ! et ce mot a été combattu avec l’énergie que l’on sait par l’Abbé Pierre dont l’œuvre constante peut se dire en deux mots : « Être exclu… C’est exclu ! »

Mais revenons à notre récit. « Les bonnes choses vont par trois », dit-on ? Ici, les mauvaises choses vont par deux ! Il y a la « double exclusion » de ce lépreux exclu de son corps et exclu de la communauté. Et comme si cela ne suffisait pas, il doit subir encore une « double humiliation » : celle de l’apparence qu’il doit montrer, décrite dans le texte du Lévitique que nous avons lu, avec « son attirail lugubre » (Lagrange). Et plus encore, lors de toute rencontre avec ses semblables, ce cri déchirant par lequel il doit se présenter à eux : « Impur ! Impur ! »

En le purifiant, Jésus va le rétablir dans son intégrité physique mais aussi dans son estime de lui-même. Et c’est à dessin que Jésus l’envoie vers le prêtre pour constater qu’il est guéri et qu’il peut réintégrer la communauté.

Quoiqu’il en soit, dans cette rencontre, tous les deux « risquent leur peau », selon le mot de Marion Muller-Colard. Risquer sa peau, pour le lépreux c’est transgresser les règles : il ne crie pas, il va à Jésus, il s’adresse à lui ! Risquer sa peau pour Jésus c’est de ne pas le fuir, de ne pas le réprimander. Il l’accueille, il lui parle, et plus encore, il le touche ! Être touché, et touché. Prendre un risque. Aller au-delà de l’apparence, de la réputation, des on-dit, des il ne faut pas….

Ainsi, pour nous, dont le besoin de guérir d’une lèpre physique n’est plus aussi nécessaire qu’alors, de quelle lèpre existentielle pourrions-nous être frappé aujourd’hui ? Qui pourrait bien être notre « lépreux » ? De quelle peau sera-t-il ou sera-t-elle vêtu pour se présenter à nous avec ce cri impur, impur, ou pour le dire autrement « Ignore-moi ! Déteste-moi ! Rejette-moi ! » ? Jusqu’où prendrons-nous exemple sur la volonté de Jésus d’accueillir un exclu de le ramener vers l’intégration ?

Être en lien avec une personne exclue n’est pas forcément surmonter une situation conflictuelle. Ce lien peut être vécu en offrant du temps, une présence, une écoute, une aide concrète. Elle peut être simple et cela ne nous demande pas d’être parfait.

Être en lien avec une personne exclue ne fera pas de nous un aidant et un aidé, mais deux personnes qui apprennent les bienfaits du respect mutuel, deux personnes qui découvrent un lien d’humanité dans toute sa pureté… ! La voilà la pureté qu’il vaut la peine de préserver. Marcher ensemble selon l’amour.

La lettre aux Romains nous y invite. Être pur, ce n’est pas seulement manger et boire juste pour ne pas être en faute. Être pur, c’est chercher l’essentiel qui rassemble plutôt que la particularité qui divise. Être pur, ce n’est pas jouer les forts contre les faibles ! Être pur, c’est vivre la joie de cette règle d’or : « Car le Règne de Dieu n'est pas affaire de nourriture ou de boisson ; il est justice, paix et joie dans l'Esprit Saint. » (17)




mercredi 7 février 2024

Lumière d'un soir... (Une republication)

Lorsqu’ils apprennent mon engagement comme aumônier dans les prisons, nombreux sont les gens qui m'imagine exerçant un ministère éprouvant, faisant face à des détresses profondes, au désespoir intense, à des violences inouïes, chez les personnes détenues que je rencontre... et certaines de mes journées leur donnent en partie raison.

Mais peuvent-ils s’imaginer aussi, cet instant particulier, alors que je rentre de mes visites du soir ?

Peuvent-ils me voir, marchant doucement vers ma maison, ému et paisible, encore tout nimbé d'un peu de lumière d’Évangile... parce qu'un combat de l'Esprit a été remporté sur les ombres des cœurs ? Parce qu'un homme s'est enfin relevé de sa couche de honte et à repris le sentier de son humanité ? Parce qu'un visage s'est ouvert à sourire à nouveau, ayant retrouvé le courage d’envisager un avenir ?

Non, sans doute, ne le peuvent-ils pas, et faut-il leur en vouloir…

N'est-ce pas mon redoutable privilège de se tenir, au côté du Christ, auprès de ces hommes et de ces femmes, en ces lieux fermés à tout un chacun ?

N’est-ce pas mon incroyable richesse que d’apercevoir celle pluie de Dieu, sa grâce, ruisseler sur eux, leur ouvrant des espaces de responsabilité, de vérité et de liberté ?

Non, bien sûr, j’aurais tort de vous en vouloir…

Dès lors, puisque je suis le compagnon de pain des prisonniers, je n’hésiterai pas à rapporter cette lumière du soir… qui fait ma joie.


Et vous accomplirez ainsi la loi du Christ...

En désignant l’illustration proposée sur un feuillet à l’assemblée – Votre illustration de la publication : « Jésus leva les yeux au ciel et...