Marthe et
Marie… Ce texte est sans doute un des plus « populaires » des
Evangiles. Il choque ou enthousiasme, mais ne laisse pas indifférent.
L’accueil de Marthe et l’écoute de Marie, que n’a-t
’on pas dit ou écrit à leur sujet ! Iinterprété
symboliquement, Clément d’Alexandrie a vu en Marthe la Synagogue et en Marie
l’Eglise. Origène les a opposées : Marthe, les excès de la vie
active ; Marie, les bienfaits de la vie contemplative.
Les Réformateurs, à commencer par
Martin Luther, ont perçu en Marthe la justification par les œuvres et en Marie,
celle par la foi. Plus proche de nous, les modernes ont vu en elles tantôt la
soumission de l’aînée et la rébellion de la cadette, tantôt la femme soumise en
Marthe et libérée en Marie, ou encore Marthe la conservatrice et Marie la
féministe.
Aussi, que peut-on ajouter à
cela… et le faut-il ? Pour moi, j’aimerais lire ce texte tel qu’il se
présente à nous et apprendre de chacune d’elle quelque chose sur nous-même.
Car l’attitude de Marthe n’est
pas fautive. Elle est tout entière dans la distribution coutumière des rôles de
l’époque. Si Jésus prend la défense de Marie, il ne rejette pas l’hospitalité
de Marthe. C’est l’occasion pour lui d’affirmer son refus de priver toute femme
de son enseignement, de lui accorder une position de disciple à part entière,
avec sa légitimité au savoir théologique.
Dans ce texte, le choix de la
tâche ou de l’écoute reste libre pour l’une comme pour l’autre. Daniel
Marguerat l’a souligné avec finesse : « Se consacrer aux tâches de
l’hospitalité est un choix, pas un destin. »
Marthe
et Marie, c’est une leçon domestique qui nous ouvre un avenir spirituel.
L’essentiel est dans
cet appel à donner de l’attention à notre relation avec le Christ pour donner
du sens à notre action.
« Marthe le reçut dans sa maison. (…)
Marie, assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. » Luc fait rapidement les
présentations et distribue les rôles. Ensuite, dit de manière un peu moderne,
nous allons être amener, par leur exemple, à revoir nos priorités.
Alors, où est la priorité : accueillir le
Christ « en grandes pompes » ou être assis « à ses
pompes » ? Serait-ce donc dans notre relation de disciple avec
lui que ce « nécessaire »
se situe ? Jésus n’est-il qu’un nom dans le credo, un mot habituel qui
ponctue notre prière, le chapitre d’un dictionnaire biblique, une image
pieuse ?... Ou entretenons-nous un lien d’intimité spirituelle profonde
avec le Christ ?
Alors, quel est ce « nécessaire »
à privilégier dans l’activité du quotidien ? Et puisque je suis, ici, le
cordonnier… nous allons voir si j’étais si mal chaussé !
Vous l’imaginer bien, mon
ministère dans les aumôneries n’a pas été de tout repos. Il y avait parfois
tant à faire, avec un agenda débordant et des journées – voire des semaines –
si courtes pour en venir à bout…
Harassé, comme pouvait l’être Marthe, frustré de me sentir « si seul » pour préparer toute ces bonnes choses en faveur du Maître, je pensais : il va se régaler, c’est sûr, avec tout ce que j’entreprends pour l’honorer… Mais moi, je ne rigole pas !
Et puis, enfin, il y avait ce
moment où je venais m’assoir aux pieds de Jésus… en lui demandant pardon. Oui,
pardon : pardon de le faire passer pour un si piètre ami, un si mauvais
Maître, comme s’il abrutissait ses disciples de tâches, de stress, d’angoisse !
Après la suractivité de Marthe, je trouvais enfin le repos de Marie auprès de
lui, une parole réconfortante sans jugement, une parole amicale sans
complaisance, que je recevais dans l’intimité de mon cœur… en sa présence .
Sa présence nous soufflant sa
Parole est sans doute cette unique chose « qui est nécessaire ». Car
si Jésus n’est pas qu’un nom, sa parole, ce n’est pas que des mots. Marie ne
s’y est pas trompée. C’est une parole qui a sa source dans son Père qui est
dans les cieux, celle que nous entendions tout à l’heure dans livre
d’Esaïe. J’ai envie de dire : Tel Père, tel Fils… Une même
autorité, une même fécondité, pour réaliser en nous le bien qu’il veut pour
nous.
« Elle
a choisi la bonne part, celle qui ne lui sera pas enlevée. » Aux pieds du Christ, à l’écoute
de sa Parole, nous choisissons la meilleure préoccupation, celle qui va nous
instruire et nous soutenir, quelles que soient les circonstances.
Outre nos préoccupations abusives, les épreuves de
la vie ne manquent pas, ni les soucis, ni les craintes, ni enfin le « dernier
ennemi », la mort. Autant « d’agitation et d’inquiétude pour
bien des choses », qui pourrait nous ravir notre joie et notre
confiance en Dieu.
Persévérer à écouter et servir sa
Parole en sa présence, voilà une « bonne part », qui pourrait
bien réconcilier tout le monde : les écoutant comme les agissant…
Car ne sommes-nous pas tous dans
le même panier, lorsque Jésus nous avertit qu’ « Il ne suffit pas
de me dire Seigneur… Il faut faire la volonté de mon Père. » (Mt
7,21) ?
Ne sommes-nous pas tous dans
le même panier, lorsque Paul, nous appelle à la bienveillance dans nos
propos, à une parole assaisonnée de sel ?
Ne sommes-nous pas tous dans
le même panier lorsque l’apôtre Jean veut nous éviter le piège d’une parole
sans âme ni geste de grâce : « Mes petits-enfants, n'aimons pas en
paroles seulement, mais en acte et dans la vérité. » (1 Jn
3,18) ?
Alors, oui, « Parle
Seigneur, ton serviteur écoute. » (1 S 3,9-10). Amen.
Illustration: Icône de tradition byzantine.
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