Je continue cette série d'articles, inspirés d'un travail de recherche en théologie pratique (lors de ma formation continue) sur le thème de la bénédiction. J'y réfléchis au lien que ce texte de la Genèse - Le passage du Yabboq - et son étonnante bénédiction, peut entretenir avec ma pratique de l'accompagnement spirituel des personnes détenues.
Avant d'aborder le vif du sujet, il m'a fallu encore présenter le contexte de ce récit ce que j'ai choisi de faire en le structurant avec le thème de la nuit qui occupe une place significative dans l'ensemble de cet épisode.
Ainsi donc, encore un peu de patience… Ce récit est si riche de signification et de spiritualité ! Je pense, que cela en vaut la peine.
Et je vous rappelle la référence du texte que je travaille : Livre de la Genèse, 32, 23-33. Le passage du Yabboq (Traduction Œcuménique de la Bible).
Les nuits de Jacob
1.
Une nuit, vingt ans plus tôt.
Les « messagers de
Dieu » de notre épisode me rappellent ceux que Jacob a vu lors de sa fuite
vers Harrân. (Gn 28,10ss cf. 31,38). Lors de cette nuit, endormi au pied de la
« maison de Dieu », Jacob fait un songe étonnant et entend une parole du
Seigneur. Il vaut la peine de rappeler qu’elle lui confirmait la promesse de
l’héritage d’Abraham : une terre et une nombreuse descendance auxquelles s’ajoutait
une bénédiction pour toutes les familles de la terre, et un engagement indéfectible
du SEIGNEUR à être avec lui partout où il ira, jusqu’au plein accomplissement
de la Parole de Dieu (28,13-15). D’ailleurs, au cœur de la crise qu’il traverse
au Yabboq, Jacob invoquera cette parole du Seigneur dans sa prière de supplication
(32,10-14)
Cette promesse d’une descendance
pareille à la poussière de la terre accordée à Jacob et cette
bénédiction pour toutes les familles de la terre à travers lui, est un
« à venir » qui nous concernera également par les vertus de son
accomplissement en Christ.
2.
Une nuit … apaisée.
Jacob qui a pris la fuite, bien
que celle-ci ait été ordonnée par une parole du Seigneur (31,3), est poursuivi
par Laban accompagné de ces « frères », c’est-à-dire son clan et sa
famille. Ils rejoignent le campement de Jacob. Il s’ensuit un échange très
tendu entre Jacob et son beau-père. Mais les propos de Jacob apaisent Laban qui
propose un nouvel accord, puis tous passent une nuit « dans la montagne » (Voir
Gn 31,51-54). Laban paraît être tout à fait apaisé, embrassant sa descendance
et la bénissant avant de retourner dans son pays (32,1).
Au sujet de la bénédiction, en
voici une qui clos une querelle, comme une bénédiction, comme un signe
d’apaisement après un conflit. Cette nuit paisible offre une pause à la
narration en laissant Jacob souffler un peu avant la nuit suivante qui sera
éprouvante, intense et décisive.
Je trouve intéressant de relever que cet épisode de Gn 32, après celui de Gn 28, nous présente un Jacob ayant fui deux fois : son frère Esaü tout d’abord, et ici son oncle Laban. Mais cette fois-ci, Jacob devra « faire face », et ce ne sera pas n’importe quel vis-à-vis qu’il va affronter, mais… « la face de Dieu » (32,31).
3.
Une nuit … agitée.
Jacob, qui s’est dégagé de
l’emprise de son oncle, va maintenant affronter son frère Esaü qu’il a laissé
vingt ans plus tôt dans la fureur et un sourd désir de vengeance (27,41). C’est
vers une nuit agitée que Jacob se dirige (14), mais pour l’instant, il poursuit
sa route quand surviennent « des messagers de Dieu » ! Cette mention m’a
surpris par sa brièveté et d’ailleurs elle semble surprendre également Jacob,
car, en les voyant, il s’écrie « C’est un camp de Dieu ! » (32,2)
Il y a ici comme une préface à
ce qui va suivre. Mais que peut signifier cet expression « camp de Dieu »
? Serait-ce qu’un Dieu nomade rejoindrait ce camp de bédouins ? Y aurait-il ici
un signe annonçant l’identité de cet « homme » mystérieux qui affrontera tout à
l’heure Jacob ? Dans tous les cas, je pense qu’elle induit le mystère d’une présence
surnaturelle et donne en effet un indice de l’identité de l’agresseur qui va
surprendre Jacob.
Ce « campement de
Dieu » survenant près de Jacob m’évoque aussi « la tente » que le Verbe
qui s’est fait chair est venu dresser parmi nous (Jn 1,14). Et c’est dans la
première lettre de Jean qu’E. Parmentier retrouve également cette annonce de
son « campement parmi nous » : « La Parole a été faite
chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous
avons contemplé sa gloire, une gloire comme celle du Fils unique venu du
Père. » (1 Jn 1,14)
Ces deux références bibliques
font un pont entre l’identité masquée de « l’homme »[1]
et cette présence glorieuse du Fils, emplie de grâce et vérité, mais invisible
sans les yeux de la foi. E. Parmentier parle de « gloire paradoxale »[2]
que les puissants ne seront pas contraints de reconnaître, mais chacun devra
affronter la crise auquel le Messie soumet « tous les pouvoirs. »[3]
Dans les pages de la Genèse que nous lisons, c’est à Jacob, patriarche en fuite
et dans l’angoisse de la mort, de traverser cette crise. Elle ne remet pas
forcément un pouvoir temporel en question, mais bien un autre pouvoir
dont Jacob a usé et abusé : celui de contrôler par ruse…
4.
Le soleil se levait…
Il se lève sur la fin des nuits
de Jacob. Cette mention d’un soleil levant n’est pas fortuite à mon sens. Je vois
dans cet astre du jour qui se lève, après cette nuit de lutte, un jour nouveau
pour l’avenir de Jacob. Ce soleil qui vient baigner le patriarche de sa lumière
bienfaisante, désormais Israël, est d’ailleurs commenté par T. Römer comme un
« symbole du renouvellement de la vie ou de l’intervention salutaire de
Dieu ».[4]
La lutte qu’il vient de vivre et
de remporter, bien que blessé, lui accorde deux signes. L’un, spirituel : un
nom nouveau qui fait de Jacob le Père d’un peuple universel. Et un signe visible
dans son corps : « Il boitait de la hanche. » (32,32). Le premier pour la
descendance à venir et le second comme… un secret gardé entre les deux
adversaires ? Une question que m’a soufflé la discrétion accordée à cette
blessure : on en reparle quasi plus, excepté dans la mention des prescriptions
alimentaires, qui sont d’ailleurs tout aussi discrètes dans les autres livres
bibliques.
Pour le moment, ce soleil qui se lève introduit à une étape nouvelle pour un homme affaiblit qui a craint pour sa vie. Un soleil qui continuera de se lever jusqu’à l’accomplissement de ce salut pour toutes les nations, et que célébrera le prêtre Zacharie : « …Il fera briller sur nous une lumière d’en haut, semblable à celle du soleil levant, pour éclairer ceux qui se trouvent dans la nuit et dans l’ombre de la mort, pour diriger nos pas sur le chemin de la paix. » (Lc 1,78-79)
[2] E. Parmentier, Notes de cours – UniGE : Jésus Christ bénisseur et bénédiction de Dieu, 2021.
[3] E. Parmentier, Notes de cours – UniGE : Jésus Christ bénisseur et bénédiction de Dieu, 2021.
[4] Thomas Römer, L’Ancien Testament commenté, La Genèse, Labor et Fides et Bayard, 2016.
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