Voilà pour la structure de mon temps, mais il y aussi une intention à mes visites. On m’a suggéré, pour un article dans la presse, de choisir un texte de la Bible qui caractérise mon engagement. Il se trouve dans l’Évangile de Matthieu, au chapitre 9. Je pense, en particulier, à cette parole de Jésus : « Aller donc apprendre ce que signifie : c’est la miséricorde que je veux et non les sacrifices ! »
Ce texte m’accompagne depuis le début de mon ministère dans les prisons. Jésus mange dans la maison d’un nommé Levi, un collecteur d’impôts : un être considéré comme malhonnête et impur, indigne d’une telle visite ! Et pourtant, aux religieux qui s’en offusque, Jésus les renvoie à cette leçon : Aller donc apprendre ce que cela veut dire « aimer de compassion, ne pas juger, passer outre les objections, accueillir les vulnérabilités de la personne humaine. Et lui dire un amour qui ne l’a pas attendue pour s’offrir à elle ! »
Pour moi, Jésus invite dans cette parole à préférer l’insécurité de l’amour inconditionnelle à la sureté artificielle de nos « sacrifices » : de bonnes actions qui n’intéressent que nous, une bonne conscience qui nous rend insensible à la souffrance d’autrui, l’assurance trompeuse d’être un plus méritant parce que… etc.
« Apprendre la miséricorde » ? On peut bien se moquer de ces religieux, mais saurait-on mieux ce que cela signifie « la miséricorde » et plus encore : « la miséricorde que Dieu veut » ?
« Miséricorde ». Pour le vocabulaire, on a parlé de compassion, d’empathie, d’attention… et bien sûr, d’un bouleversement ! Mais, au-delà du vocabulaire, je choisis de rester à l’école de l’amour du Christ, à savoir ne pas se soustraire à la rencontre de l’humain en souffrance, être disponible pour accompagner les mouvements de son être intérieur et d’en être instruit plutôt que de tout savoir, d’en être enrichit souvent, en offrant un amour qui se donne sans attendre de retour sur investissement…
Je m’interroge aussi souvent si, de nous deux (le visitant et le visité), je ne suis pas le plus redevable des deux ? Mais dans la pratique de l’accompagnement spirituel : qu’est-ce que cela implique de se tenir en face d’une personne détenue ? Qu’est-ce que cela bouleverse de se tenir près d’une personne qui est en train de mourir ?
Des leçons de vie assurément ! Et pas uniquement théoriques, car la vie que j’accompagne ne saurait se rencontrer sans quelques émotions utiles à une rencontre véritable. Des émotions qui ne sont pas de l’émotivité, qui nous ferait manquer les fruits authentique d’une attention généreuse à autrui, car je suis engagé, auprès du souffrant, à vivre des émotions qui me porte sans qu’elle me déporte…
Apprendre c’est donc plus que d’acquérir des postures et des gestes techniques (même s’ils sont tout à fait utiles et nécessaires)… Apprendre, dans le fond, c’est tout simplement : Ne pas savoir… Je me rappelle cette expression de Lytta Basset, qui parlait du « non-savoir » de l’aumônier : une entrée en matière aussi simple que redoutable. Mais cette sobriété fera justement la fécondité de la rencontre ! J’ai noté dans un article : « Qu’une écoute qui sait n’entend plus ! »
J’aimerais dire encore que ce « non-savoir » est une espèce de « pauvreté », que je ne fuis pas, mais, au contraire, que je cultive : « Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des Cieux est à eux. » (Mt 5,3). Je me laisse porter par la « pauvreté en esprit » des béatitudes : elle est ma sagesse, ma capacité, parce qu’elle est une pauvreté qui m’ouvre toute grande les portes du Royaume des Cieux ! Et pour le disciple du Christ que je désir être, avoir le Royaume des Cieux, ce n’est pas toucher un lot de consolation, mais c’est obtenir toute la plénitude de Dieu !
(La suite est dans la parution suivante). Entre 4 murs. Entre 4 yeux. Un accompagnement spirituel (3)
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