Que ce soit dans les geôles de Babylone ou sur le
chemin d’Emmaüs, en dépit des circonstances est-il possible de voyager
léger ? L’adversité n’est-elle pas irrémédiablement contre nous ?
N’assombrit-elle pas notre lieu, ne durcit-elle pas notre chemin ? Et rien
d’autre ?
Une prédication offerte à la communauté paroissiale de Savigny-Forel, pour le dimanche des réfugiés. Textes du jour: le Psaume 137 et Luc 24,13-35.
Permettez-moi de vous raconter une courte histoire.
Un voyageur entend parler d’un sage qu’il ne devrait pas manquer de rencontrer.
Il accepte et se rende chez cet homme, arrive à sa demeure et entre. Il se
saluent… Mais le voyageur s’aperçoit que le sage ne possède qu’un lit, une
petite table et une chaise dans sa maison. Le voyageur étonné questionne :
Maître je suis surpris de voir que votre demeure soit si dépouillée : où
sont tous vos meubles ? Et le sage de répondre : Et les tiens, où
sont-ils ? Oh, mais moi – réponde le voyageur - je ne suis que de passage
ici… Et le sage de conclure : Eh bien moi, c’est pareil.
Se savoir « de passage » ici-bas… Se
désencombrer de l’inutile ?... Ma courte histoire parle de biens matériel
– comme l’image de notre être intérieur. Elle fait écho aux textes que nous
venons de lire avec leurs détresses existentielles. Chacun à leur manière, ils
nous rappellent qu’avant de retrouver un peu de cette légèreté d’être, il est
nécessaire d’alléger le fardeau qui pèse sur notre âme, il est important de
laisser se dire notre souffrance.
Et si le Psaume 137 – en particulier sa conclusion –
peut choquer, il peut aussi nous ouvrir une voie à l’expression franche de
notre douleur, de notre colère ! On peut parler ici de catharsis, qui est un processus qui va permettre de réguler une émotion
difficile. Ainsi, plutôt que d’être
condamnable, l’invective qui conclut le Psaume nous invite à assumer nos cris
de douleurs. Le cri comme un processus de
purification par la parole quand notre vie intérieure est outragée ou dépitée ?
Oui, sans doute.
J’ai le souvenir d’une formation à la communication
non-violente. Dans un exercice pratique de résolution d’un conflit, la première
étape était de laisser libre cours à notre colère – envers autrui comme envers
soi… Une première étape, mais pas le seul but. S’ensuivait alors, une fois
libéré de flot de la colère ou de la culpabilité, d’explorer ensuite nos
sentiments, nos besoins, pour parvenir à nous situer sans violence dans cette
situation.
Je me souviens avoir pensé au cours de cet exercice
à l’avertissement de la lettre aux Ephésiens : Etes-vous en colère ? ne péchez pas ; que le soleil
ne se couche pas sur votre ressentiment » (4,26). Le poison n’est pas la colère mais sa détérioration
en nous, sa rumination « de jour en jour de soleil couché en soleil
couché… » La pourriture d’un ressentiment inavoué ou négligé est comme le
fruit gâté d’une corbeille à fruit qui finit par les abîmer tous !
Que ce soit sur les routes de l’exil ou dans le
quotidien de notre pays, la non-violence n’est pas une absence d’émotions
difficiles, mais une parole réconciliée avec soi-même pour le dire à autrui.
En lisant
l’épisode de Luc, nous passons du cri à la parole partagée. Au contraire des
captifs du psaume qui sont expatriés, ils rentrent chez eux… Mais leurs
détresses se ressemblent. Leurs catharsis diffèrent d’intensité, mais
elles se rejoignent, que ce soit en libérant la blessure d’un cri ou en se
remémorant la déception par des mots, les deux situations intéressent le Christ
: « Quels sont ces propos que vous
échangez en marchant ? » (17)
Cheminer avec les disciples d’Emmaüs, c’est être aussi
en marche avec nos propres déceptions… Dès lors, que ce soit sur les routes de
l’exil ou au quotidien dans notre propre pays, c’est avec une attention
particulière que nous lirons ce cheminement qui va de la déception à la
résurrection !
Mais les propos seuls n’ont pas suffi, il a fallu
les dire en présence de cet « étranger résidant » à Jérusalem.
Reconnu par nous, mais encore invisible pour eux. Il y a peut-être un trait
d’humour dans la remarque de Cléopas sur le fait que cet inconnu « est bien le seul à séjourner à Jérusalem qui
ignore ce qui s’est passé ces jours-ci. » (18) alors qu’il n’est autre que le principal sujet de
leur déception !
Jésus alors questionne : « Quoi donc ? (19). Il ouvre un espace de bienveillance à leur
déception. Et eux, verbalisent leurs sentiments, leurs doutes. Suivra la
magistrale leçon de Jésus ressuscité sur le Christ dans les Ecritures et la nécessité
de sa souffrance. Un Messie souffrant qu’il a hélas prêché dans le désert
à ses disciples.
Mais de ces mots de sagesse va naître le
réchauffement de leur être intérieur. Une écoute qui fera
« brûler leur cœur » !
Une fois encore, cette leçon du Christ nous rappelle
l’attente erronée d’une libération. Une fois encore, le libérateur n’est pas là
où on l’attendait. J’ai repensé aux déceptions qui attendent les réfugiés
fuyant d’authentiques situation de désastres… Accueillis oui, mais pas sans la
nécessité d’affronter de nombreuses paroles : légales,
administratives, politiques… et elles ne feront pas toujours honneur à leur
désir profond – et si légitime – d’être entendu avec humanité.
Mais cet entretien de Jésus, vainqueur de la mort, le
Christ ressuscité, qui pourtant ne néglige pas notre humaine condition, la
questionne avec bienveillance, la soigne avec empathie… cet entretien a encore
beaucoup à nous dire, que ce soit sur les routes de l’exil ou au quotidien dans
notre pays.
Pour ma part, j’ignore ce que fuir un pays en guerre
signifie dans ma chair, comme fuir Paris en guerre (selon la chanson de Big Flo
et Oli). Mais je ne peux pas ignorer la migration qui nous unis tous ensemble… Et
nous réconcilient. Ce pays que nous avons toutes et tous quitté pour une
nouvelle patrie ?
Dans la lettre aux Ephésiens, encore : Ainsi, vous n'êtes plus des étrangers, ni des émigrés ; vous êtes
concitoyens des saints, vous êtes de la famille de Dieu. (…) C'est en lui que,
vous aussi, vous êtes ensemble intégrés à la construction pour devenir une
demeure de Dieu par l'Esprit. (2,19.22)
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