Lors de mes accompagnements auprès de personnes détenues, je faisais face, parfois, aux sentiments négatifs et émotions douloureuses qui les habitent. Par exemple.
La tristesse en parlant des actes délictueux - grave ou moins - qu'ils ont commis.
La colère lorsque leurs conditions de détentions sont injustes ou brutales. Ou que leur honte ou regrets sont déniés.
La peur à la perspective d'une audience ou d'un jugement.
Ainsi, les infracteurs de la Loi ne coulent pas forcément des jours tranquilles, comme on pourrait le penser.
Et j'ai coutume de dire que "je n'ai pas pitié d'eux, car ils méritent bien mieux que ça." Je ne suis pas auprès d'eux pour les plaindre (ce qu’ils ne comprendraient pas d'ailleurs) mais pour leur offrir une main qu'ils peuvent saisir pour s'aider à se relever.
Dans ma petite boîte à outils de l'accompagnant spirituel, j'ai de courtes histoires que je partage avec eux. Elles ont pour tâche de "poser à côté" de la situation ou de leur vécu (comme une parabole) un récit qui ouvrira peut-être à une compréhension nouvelle.
Pour favoriser des émotions pacifiées. Pour faire face et aller de l'avant. Pour progresser vers toujours plus d'authenticité, de courage et de patience.
Voici l'une d'entre elles. Elle m’a été rapportée au sujet de Nelson Mandela :
"Après être devenu président de l’Afrique du Sud, j'ai demandé à certains membres de mon garde du corps d'aller faire une promenade en ville. Après la promenade, nous sommes allés déjeuner dans un restaurant.
Après un peu d'attente, le serveur est apparu qui portait nos menus. A ce moment-là, j'ai réalisé qu’il y avait un homme seul, à la table d’à côté. J'ai demandé à un de mes garde du corps: va inviter cet homme à nous rejoindre pour le repas.
L'homme s'est levé, a pris son assiette, et il s'est assis à côté de moi. Pendant qu'il mangeait, ses mains tremblaient constamment et il ne relevait pas la tête de sa nourriture. Quand nous avons fini, il m'a salué sans même me regarder. Je lui ai serré la main et il est parti !
Le garde du corps m'a dit : Madiba, cet homme doit être très malade, car ses mains n'arrêtaient pas de trembler en mangeant. Pas du tout, ai-je répondu, la raison de son tremblement est autre.
Il m’a regardé bizarrement et je lui ai dit: Cet homme était le gardien de prison où j'ai été enfermé. Souvent, après la torture à laquelle j'ai été soumis, je criais et pleurais pour avoir de l'eau et il venait m'humilier : il riait de moi et au lieu de me donner de l'eau il urinait sur ma tête.
Non, il n'était pas malade, il avait peur et tremblait en craignant que, maintenant que je suis président, je l'envoie en prison et lui fasse la même chose qu'il a faite avec moi. Mais je ne suis pas comme ça, ce comportement ne fait pas partie de mes choix de vie.
Les esprits qui cherchent à se venger détruisent les États, tandis que ceux qui recherchent la réconciliation construisent les Nations.
(Source: mur Facebook de Chicali Echeverría Martínez)·
J'ignore si cette anecdote est authentique. Mais elle soutient la conviction qui m’accompagne en écoutant ces moments sombres (et parfois révoltants) de leur vie en prison : leur liberté à faire des choix demeure, quel que soit leur vécu.
Ils ont (et nous avons) toujours le choix de nourrir la force plutôt que la violence, l'autorité plutôt que la brutalité... chercher un cours d'eau qui conduira à la mer plutôt que de jeter notre eau-vive dans un bassin mortifère pour qu'elle y croupisse ! Et qui pourrait ignorer le dur combat que ce choix peut exiger de nous?...
...L’Évangile ne l’ignore pas non plus.
Ne rendez à personne le mal pour le mal ; ayez à cœur de faire le bien devant tous les hommes. S’il est possible, pour autant que cela dépend de vous, vivez en paix avec tous les hommes. Ne vous vengez pas vous-mêmes, mes bien-aimés, mais laissez agir la colère de Dieu, car il est écrit : A moi la vengeance, c’est moi qui rétribuerai, dit le Seigneur. Mais si ton ennemi a faim, donne-lui à manger, s’il a soif, donne-lui à boire, car, ce faisant, tu amasseras des charbons ardents sur sa tête. Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien.
(L’apôtre Paul, dans sa lettre écrite aux chrétiens de la ville de Rome. Rm 12,21)
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