dimanche 20 août 2023

Jacob au Yabboq, une bénédiction - la conclusion (5 - Une republication de l'été)

Inspiré d'un travail de recherche en théologie pratique sur le thème de la bénédiction, je termine ici ma réflexions sur le texte de la Genèse - Le passage du Yabboq - et son étonnante bénédiction, et fait le lien avec ma pratique de l'accompagnement spirituel des personnes détenues.

Après avoir pris le temps de lire cet épisode de Jacob au Yabboq et en réfléchissant à cette poussière, j’aimerais prendre le temps d’approfondir maintenant un second aspect du récit : au cœur de cette lutte étrange, une bénédiction est en jeu et elle est liée à un nom.

Et je vous rappelle la référence du texte que je travaille : Livre de la Genèse, 32, 23-33. Le passage du Yabboq (Traduction Œcuménique de la Bible).

Quel est ton nom?

En abordant le cours « Bénir - bénédiction », une autre question m’habitait : la bénédiction est-ce uniquement un temps de la liturgie adressé à l’assemblée à la fin d’une célébration ? N’y aurait-il pas quelque chose de la bénédiction dans l’accompagnement spirituel que je vis avec les personnes détenues ? J’en ai déjà dit quelques mots lors du chapitre précédent, mais avec l’angle spécifique des sens du mot diaconie. J’aimerais ici m’arrêter sur un chapitre d’E. Parmentier dans son livre « Cet étrange désir d’être béni. »[1]

La situation d’Ingrid Hermann, présentée par la théologienne, m’a renvoyé à ma propre situation d’aumônier dans les prisons. Son expérience auprès de ces enfants m’a convaincu que mon intuition n’était pas une illusion : quelqu’un dans sa pratique vivait une bénédiction en accompagnant des personnes en situation de vulnérabilité.

Malgré les limites, l’impuissance de son engagement, elle ouvre cependant des espaces qui peuvent donner de la valeur à la personne rencontrée, et je ne fais pas autre chose dans mon bureau de la prison. Et « appeler du bien, du respect, un avenir »[2] sur une personne, n’est-ce pas la bénir ?

Et puis il y a cette expression qu’elle formule en écho à la détermination de Jacob : « Nous ne vous laisserons pas sans que vous nous ayez béni. » Dans cette « lutte pour que la bénédiction soit et demeure »[3] auprès des personne détenues, dont je suis le compagnon de pain (étymologie du mot « compagnon), combien de fois ai-je pensé intérieurement – et dit parfois à haute voix – cette détermination ?

Bénir et être béni. Il y a équité dans notre communion avec le Seigneur qui béni. Il m’arrive de devoir clarifier avec eux que cette disposition spirituelle à vivre en Sa présence est un bien profondément partagé entre nous ? Il n’y a pas de Maître ni d’apprenti dans cette communion 

1. Bénir quelqu’un qui a un nom

J’aimerais, avant de conclure, réfléchir encore un moment à ce surprenant « ballet » de demandes du nom de chacun des lutteurs… et la réponse non moins surprenante de l’un d’eux. Chacun des protagonistes a, semble-t-il, une demande avec une intention différente selon qui pose la question : « l’homme » ou « Jacob »

Une première lecture donne l’impression d’une bénédiction jetée pour se débarrasser de la ténacité de Jacob qui fait craindre à « l’homme » de se retrouver captif de l’aurore. Mais il y a sa demande à connaître le nom de son adversaire. Elle souligne l’importance de connaître le nom pour bénir, ce qui m’a inspiré le titre de ce paragraphe : Bénir quelqu’un qui a un nom.

Lorsque Jacob devient Israël, il y a ici comme un hommage à la force de Jacob et une manière de donner à sa descendance une référence de courage pour le futur de sa « lutte avec Dieu et avec les hommes. » Mais le nouveau nom accordé à Jacob lui donne une audace nouvelle : 30Jacob lui demanda : « De grâce, indique-moi ton nom. » – « Et pourquoi, dit-il, me demandes-tu mon nom ? » Là même, il le bénit. Jacob semble avoir changé de ton et son intention n’est plus d’arracher une bénédiction mais de recevoir une grâce, celle de l’identité de « l’homme ». Veut-il avoir une confirmation de ce qu’il pressent depuis le début de cette lutte ?

La réponse de « l’homme » est étonnante, comme s’il faisait un clin d’œil à Jacob (« Mais enfin tu as bien saisi qui je suis ») ou un reproche amusé (« Tu sais bien que c’est impossible »). Dans cet échange, nous passons d’une bénédiction, accordée à quelqu’un qui a un nom, à un refus de révéler le nom de celui qui béni.

Il y a sans doute beaucoup à dire sur les liens de ce refus d’accéder à la demande de Jacob. Et ici encore, plusieurs parallèles bibliques existent. Ces références précisent notre compréhension de l’enjeu : « Donner son nom, c’est déjà se livrer. Dieu refuse de répondre pour sauvegarder son mystère, mais il bénit Jacob et confirme ainsi les bénédictions dont celui-ci a été l’objet. »[4]

2. Un nom et un visage

E. Parmentier note à propos de la formule de bénédiction qu’elle « donne visage à l’autre. »[5] Et je considère maintenant que les observations qui précèdent montrent qu’ il y a moyen de passer d’une formule de bénédiction, adressée à une assemblée, à une parole de bénédiction adressée à un visage, un individu.

Dans l’éthique de mon accompagnement, la bénédiction est accordée, de manière essentielle, par ma posture d’écoute « non jugeante ». Elle dit une ouverture avec laquelle je donne un visage à l’autre, non en le dévisageant, mais en l’envisageant…Ce non-jugement n’est pas une indifférence commode à la situation qui a mené ce visage en prison, mais il permet d’exercer un discernement important : je renonce à ne considérer l’infracteur par le seul prisme du délit.  Être bénédiction, dans cette posture, c’est redonner un visage à autrui, plutôt que de le frapper d’un masque d’indignité !

Ainsi, cette bénédiction, libre et consciente, donne non seulement un visage à celui que je rencontre, mais il façonne aussi quelque chose du mien. Cette mutualité de la bénédiction rejoint une note d’E. Parmentier à propos du visage de Jacob : « Ainsi la bénédiction de Dieu le rend à jamais vulnérable et fragile ! Le changement de nom ne vaut pas seulement pour Jacob, mais aussi pour le lieu, qui est interprété comme la « Face de Dieu » (Péni-El ), où un humain a vu la « face de Dieu » sans mourir.[6]

La vulnérabilité comme signe de notre humanité permettant d’apercevoir la face de Dieu sans mourir ? Cela représente une profonde interpellation ! Cette vulnérabilité devient entre nous un espace que je valorise, afin qu’il soit possible de vivre une réelle rencontre et un authentique « face-à-face », entre nous et en présence de Dieu ! Être vrai dans la faiblesse donne à notre rencontre « un visage de Dieu, qu’on le vive dans la fraternité de la foi ou celle de l’humanité. »[7]

E.       Vivre une expérience spirituelle.

Pour conclure cette étude, j’ai choisi de dire encore quelques mots sur ce que ce texte donne à voir – et sans doute invite à vivre – dans les temps de lutte de notre existence. « Jacob appela ce lieu Peniel – c’est-à-dire Face-de-Dieu – car « j’ai vu Dieu face à face et ma vie a été sauve ». (32,31)

Penouël, dont la variante orthographique est Peniel, signifie « Face de Dieu. »[8] T. Römer laisse entendre qu’en choisissant ce nom Jacob « a compris à qui il avait eu affaire. »[9] Nous avons déjà dit qu’une telle rencontre, dans la tradition biblique, ne devrait pas avoir lieu sans faire mourir l’humain. Et pourtant Jacob est resté en vie !  

Boitant sous un soleil qui se lève, c’est un Jacob plus apaisé qui s’exprime ici. Cette étrange lutte lui a fait la grâce de saisir l’identité de Celui qui l’a blessé et béni. Sa nouvelle identité est également le fruit de ce mystérieux face à face et cela me ramène à l’œuvre d’Arcabas, cité au début de cette étude : Jacob, nu et vulnérable, a pris conscience d’une expérience tout à fait rare : « … car j’ai vu Dieu face à face et ma vie a été sauve »

Et pour nous, c’est une bonne nouvelle qui va à l’encontre de tant de conceptions erronées sur les intentions de Dieu envers notre condition humaine. Oui, un face à face avec Dieu pourrait bien laisser une trace douloureuse en nous, mais il ne nous tuera pas !



[1] E. Parmentier, Non pas avoir, mais être bénédiction, Labor et Fides, 2021, p. 304-312
[2] E. Parmentier, Notes de cours – UniGE
[3] E. Parmentier, Notes de cours – UniGE
[4] Les notes TOB précise en 32,30 : Indique-moi ton nom, cf. Ex 3,13-14 ; Jg 13,17-18 ; voir Jn 17,6.26 ; Ap 19,13.
[5] E. Parmentier, Notes de cours – UniGE
[6] E. Parmentier, Notes de cours – UniGE
[7] E. Parmentier, Notes de cours – UniGE
[8] Note de la TOB et Bible de Jérusalem                                                                               
[9] T. Römer, L’Ancien Testament commenté, La Genèse, Labor et Fides et Bayard, 2016. 

mercredi 16 août 2023

Jacob au Yabboq, une bénédiction (4 - Une republication de l'été)

Inspiré d'un travail de recherche en théologie pratique sur le thème de la bénédiction, je poursuis ma réflexions sur le texte de la Genèse - Le passage du Yabboq - et son étonnante bénédiction, et fait le lien avec ma pratique de l'accompagnement spirituel des personnes détenues.

Voici un premier développement en lien avec l'expression "se rouler dans la poussière".

Et je vous rappelle la référence du texte que je travaille : Livre de la Genèse, 32, 23-33. Le passage du Yabboq (Traduction Œcuménique de la Bible).

Et Jacob resta seul…

Avec cette expression, nous quittons l’agitation des préparatifs d’un sauvetage pour un moment plus décisif encore. Je suis sensible à l’impression que procurent ces quelques mots. Ils paraissent un instant prémonitoire avant une lutte éprouvante. Nous permettrait-il d’imaginer un Jacob vivant un instant de retour sur soi, une préparation intérieure avant une épreuve dont il pressentirait l’importance ? Le rédacteur n’a sans doute pas ce genre de préoccupations psychologiques, mais le fait qu’il prenne ici le temps d’une pause significative avant l’instant qui va suivre est une intention tout à fait plausible.

1.       Un homme se roula avec lui dans la poussière jusqu’au lever de l’aurore.

La question de l’identité de cet « homme » se pose. La Bible de Jérusalem traduit « quelqu’un », gardant le mystère. Si une telle situation peut surprendre un lecteur moderne, l’attaque d’un être surnaturel sur un humain est présentée par les commentateurs comme un motif courant du folklore antique.[1]

Cette attaque nocturne a d’ailleurs un parallèle biblique, en Ex 4,24-26. Moïse est sur le chemin du retour en Égypte, après son long séjour auprès de Jethro. Ici aussi, le Seigneur « l’aborda » (traduction TOB) et tente de le faire mourir. Il faut une réaction vive de Cippora, qui pratique sur son enfant la circoncision, pour que Moïse ait la vie sauve. Il semble que la raison de l’attaque soit un manquement de Moïse qui n’aurait pas pratiqué ce signe de l’Alliance sur son enfant.

Les notes de la TOB signalent encore un texte d’Osée (Os 12,4-5) qui parle d’une lutte avec Dieu, mais en indiquant clairement l’intermédiaire d’un ange. La lecture d’Osée cherche à interpréter, à mon sens, une certaine hésitation face à une situation assez ambigüe : comment Dieu pourrait-il venir « en personne » et lutter physiquement avec un être humain ? D’ailleurs, cette équivoque va courir tout au long de cet épisode.

L’étrangeté de ce corps à corps avec un être surnaturel suggèrent deux intentions principales :  « Expliquer le nom de Penouël qui signifie face de Dieu et donner une origine au nom d’Israël. »[2]

Mais il ne faudrait pas omettre un enjeu important de ce texte, à savoir la bénédiction et les questions qu’elle pose : est-elle arrachée à un adversaire pressé de quitter Jacob ? Ou accordée après que la demande de Jacob à connaître son nom, puis sa réponse énigmatique, ne laisse plus de doute sur son identité ? Quoiqu’il en soit, j’ai été tout de même surpris de sa mention au cœur de cette lutte – sans être particulièrement annoncée auparavant – comme si les combattants étaient seuls au courant de l’enjeu réel de cette lutte !

E. Parmentier, affirme que le Yabboq peut être compris comme le lieu d’un « corps à corps en se mêlant à la poussière » en associant les deux sens d’un un terme rare ‘abaq.[3] Ainsi, cette lutte physique, l’est-elle restée ou a-t-elle pu se transformer en un « cœur à cœur » ? Ce combat a quelque chose de la lutte intérieure d’un Jacob habitué à saisir par ruse et qui va apprendre à obtenir dans la faiblesse.

2.       Dans la poussière…

Ce mot poussière a très vite piqué ma curiosité. Il me parle, en effet, très personnellement car il a un lien important avec ma vocation à rejoindre l’humanité dans sa vulnérabilité. F. Lienhard, dans un chapitre consacré à La diaconie en rappelle l’étymologie : « Le terme diaconie signifie à travers la poussière (du grec dia = à travers, et conia = poussière). »[4]

A travers la poussière… Comment résister à cette interpellation ? Dans mon service diaconal ne suis-je pas justement appelé à « passer au-travers » de cette poussière de notre condition humaine, non en l’évitant, mais au contraire, en l’honorant dans sa fragilité originelle (« …car c’est du sol que tu as été pris. Oui, tu es poussière et à la poussière tu retourneras. » - Gn 3,19) ?

Dans l’épisode de Jacob au Yabboq, il y a cependant un mouvement de plus : il s’agit encore de se rouler dans la poussière. Pour le patriarche, ce fut une confrontation avec son humanité, dont la prodigieuse force semblait justement l’en priver, jusqu’à ce que sa blessure le rende plus « abordable »… Le Jacob boitant de la hanche n’est-il pas plus humble et vrai que celui qui tenait le Seigneur presque à sa portée ?

Ce combat de Jacob est aussi en quelque sorte le mien. En acceptant d’accompagner les mouvements intérieurs des personnes détenues, ne suis-je pas en train de me rouler avec eux dans la poussière de leur humanité en lutte et en souffrance ? Cette lutte n’est pas affrontement physique, mais confrontation fraternelle pour nous tenir au plus proche l’un de l’autre et partager une rencontre franche et courageuse. En somme, se rouler dans la poussière, donne à cette expression habituelle d’empathie une teinte d’authenticité et de compassion particulière à mes yeux.

Mais pour se mêler à la poussière de notre humaine condition[5], pour lutter selon les règles (2 Tm 2,5), il y a quelques saines postures à adopter, quelques sources auxquelles s’abreuver pour faire authentiquement « œuvre de miséricorde » au sens du chapitre 25 de l’Evangile selon Matthieu. J’ai trouvé dans ce chapitre de F. Lienhard, de telles exigences, dont voici quelques-unes que je présente brièvement.

3.       L’abaissement du Christ.

Et la première de ces attitude, la plus essentielle sans doute, qui donne à la diaconie sa valeur et sa qualité, est présentée par Lienhard comme étant une imitation de l’abaissement du Christ, dont il approfondi le sens en s’appuyant sur un autre auteur : « La diaconie du Christ opère une réorientation fondamentale de la manière de vivre des êtres humains, alors que l’humanité pécheresse tend à s’élever, le Christ invite à s’abaisser. »[6]

Mais que serait une imitation sans ce que nous appelons la suivance du Christ ? On peut imiter sans être proche, et c’est à une vie de disciple qu’il faut appeler pour avoir une chance de le vivre réellement et d’en assumer la responsabilité sans artifice.

Cette marche avec le Christ implique des renoncements, tels que la « poursuite de ces intérêts propres » par exemple[7]. Cet abaissement, auquel je consens, en ayant le Christ comme Maître, n’est pas celui d’une rencontre avec des personnes abaissées parce que sanctionnées d’une peine de prison. Au contraire mon abaissement est une rencontre respectueuse et franche, une posture d’humilité qui nous permettra à l’un comme à l’autre de nous « élever » vers des libertés nouvelles, « Car tout homme qui s’élève sera abaissé et celui qui s’abaisse sera élevé. » - Lc 14,11. Aussi, est-il tout à fait nécessaire qu’intimement je me sois roulé dans la poussière avec le Christ avant de le faire avec eux !

4.       La grâce mieux que la bienfaisance…

Il y une source où puiser pour traverser la poussière de notre humaine condition avec autant de liberté que de courage : la grâce. Et F. Lienhard de nommer un écueil qui nous en privera en ne produisant qu’une posture de bienfaisance condescendante au lieu d’une authentique compassion.[8]

Ne pas se placer plus haut, mais dans une mutualité partagée et reconnue. La grâce comme le fruit d’une « faiblesse assumée, rendue possible par la foi. »[9] L’autorité de mon accompagnement et sa reconnaissance par autrui vient de cette profession de foi : « le chrétien est par nature aussi pauvre que celui qu’il veut secourir, mais il peut accepter cette pauvreté et en faire le lieu de la rencontre d’autrui. »[10]

Je pense à Frère Roger qui refusait le terme de Maître spirituel. Le service diaconal est pétri d’humilité, mais il n’en a pas le monopole… Et le faudrait-il d’ailleurs ?

5.       La diaconie : donner à vivre sans exclure…

Dans son article, F. Lienhard parle encore de l’usage profane du terme diaconie pour désigner un service qui donne la priorité au besoin de celui qui est servi. Dans son sens de « servir à table », il oriente notre engagement vers la responsabilité de « donner les moyens de vivre et servir d’une manière générale. »[11]

Ainsi, me mêler à la poussière signifie le choix de ne pas écarter le profane au profit du religieux. Mon service à table implique de donner la priorité aux besoins réels de la personne. D’ailleurs, ce qui est dit profane m’est souvent apparu comme la meilleure entrée vers un entretien qui ouvrira à une dimension spirituelle, souvent à la surprise de mon interlocuteur !

Cet engagement à accueillir toute personne dans toute sa réalité est une des valeurs de base de notre engagement, comme le précise notre Charte de l’Aumônerie Œcuménique des prisons.[12] Dans ce cas, me mêler à la poussière sera d’écouter d’abord ce qui les fait vivre. Je rencontre leur humanité dans une joyeuse et féconde ignorance, « …car j’ai appris qu’une écoute qui sait, n’entend plus. »[13]

Mais cette approche, que je qualifierais d’inclusive, est une posture également critique de ce que le religieux peut impliquer d’exclusion. Je pense que la diaconie est un contrepoint polémique vis-à-vis du sacré lorsqu’il cherche à faire mentir la grâce ! Ma critique de l’exclusion au nom de la religion n’est-elle d’ailleurs pas présente dans presque chaque ligne des Évangiles ? Un des textes, fondamental pour mon engagement pastoral, présente Jésus de Nazareth venant désavouer une exclusion au nom de la religion et rappeler à des religieux : « Allez donc apprendre ce que signifie : C’est la miséricorde que je veux, non le sacrifice. Car je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs. » (Mt 9,13)



[1] Les notes de la TOB, La Bible de Jérusalem, et T. Römer, Op.cit.
[2] Les notes de la TOB, La Bible de Jérusalem, et T. Römer, Op.cit.
[3] Élisabeth Parmentier, Notes de cours – UniGE
[4] Fritz Lienhard, la diaconie, dir. Bernard Kaempf, Introduction à la Théologie pratique, PUS, 1997.
[5] L’expression est d’E. Parmentier dans Cet étrange désir d’être bénis, Labor et Fides, 2020, p.308.
[6] P. Philippi, Chirstozentrishe Diakonie, Munich, Kaiser, 1971, cité par F. Lienhard, p.269.
[7] F. Liehnard, op.cit., p.269
[8] F. Lienhard, Op.cit., p.270.
[9] F. Lienhard, Ibid., p.270.
[10] F. Lienhard, Ibid., p.270.
[11] F. Lienhard, Ibid., p.260.
[12] « Dans le cadre de la loi et des règlements qui reconnaissent sa présence qualifiée, l’Aumônerie Œcuménique des prisons a pour mission de répondre aux besoins spirituels et religieux des personnes détenues. Elle participe au maintien des liens indispensables au respect de la dignité humaine. (…) Elle offre aux personnes en détention, sans distinction de croyance ou de foi, un espace de rencontre avec des aumôniers qualifiés, formés à l’accompagnement spirituel, à l’écoute et au dialogue. » (Mandat de l’Aumônerie Œcuménique des Prisons) 
[13] E. Imseng, dans Christophe Vuilleumier, Champ-Dollon – les 40e rugissants (1977-2017), Slatkine, 2017, p.75

dimanche 13 août 2023

Jacob au Yabboq, une bénédiction (3 - Une republication de l'été)

 Je continue cette série d'articles, inspirés d'un travail de recherche en théologie pratique (lors de ma formation continue) sur le thème de la bénédiction. J'y réfléchis au lien que ce texte de la Genèse - Le passage du Yabboq - et son étonnante bénédiction, peut entretenir avec ma pratique de l'accompagnement spirituel des personnes détenues.

Avant d'aborder le vif du sujet, il m'a fallu encore présenter le contexte de ce récit ce que j'ai choisi de faire en le structurant avec le thème de la nuit qui occupe une place significative dans l'ensemble de cet épisode. 

Ainsi donc, encore un peu de patience… Ce récit est si riche de signification et de spiritualité ! Je pense, que cela en vaut la peine.

Et je vous rappelle la référence du texte que je travaille : Livre de la Genèse, 32, 23-33. Le passage du Yabboq (Traduction Œcuménique de la Bible).

Les nuits de Jacob

1.       Une nuit, vingt ans plus tôt.

Les « messagers de Dieu » de notre épisode me rappellent ceux que Jacob a vu lors de sa fuite vers Harrân. (Gn 28,10ss cf. 31,38). Lors de cette nuit, endormi au pied de la « maison de Dieu », Jacob fait un songe étonnant et entend une parole du Seigneur. Il vaut la peine de rappeler qu’elle lui confirmait la promesse de l’héritage d’Abraham : une terre et une nombreuse descendance auxquelles s’ajoutait une bénédiction pour toutes les familles de la terre, et un engagement indéfectible du SEIGNEUR à être avec lui partout où il ira, jusqu’au plein accomplissement de la Parole de Dieu (28,13-15). D’ailleurs, au cœur de la crise qu’il traverse au Yabboq, Jacob invoquera cette parole du Seigneur dans sa prière de supplication (32,10-14)

Cette promesse d’une descendance pareille à la poussière de la terre accordée à Jacob et cette bénédiction pour toutes les familles de la terre à travers lui, est un « à venir » qui nous concernera également par les vertus de son accomplissement en Christ.

2.       Une nuit … apaisée.

Jacob qui a pris la fuite, bien que celle-ci ait été ordonnée par une parole du Seigneur (31,3), est poursuivi par Laban accompagné de ces « frères », c’est-à-dire son clan et sa famille. Ils rejoignent le campement de Jacob. Il s’ensuit un échange très tendu entre Jacob et son beau-père. Mais les propos de Jacob apaisent Laban qui propose un nouvel accord, puis tous passent une nuit « dans la montagne » (Voir Gn 31,51-54). Laban paraît être tout à fait apaisé, embrassant sa descendance et la bénissant avant de retourner dans son pays (32,1).

Au sujet de la bénédiction, en voici une qui clos une querelle, comme une bénédiction, comme un signe d’apaisement après un conflit. Cette nuit paisible offre une pause à la narration en laissant Jacob souffler un peu avant la nuit suivante qui sera éprouvante, intense et décisive.

Je trouve intéressant de relever que cet épisode de Gn 32, après celui de Gn 28, nous présente un Jacob ayant fui deux fois : son frère Esaü tout d’abord, et ici son oncle Laban. Mais cette fois-ci, Jacob devra « faire face », et ce ne sera pas n’importe quel vis-à-vis qu’il va affronter, mais… « la face de Dieu » (32,31).

3.       Une nuit … agitée.

Jacob, qui s’est dégagé de l’emprise de son oncle, va maintenant affronter son frère Esaü qu’il a laissé vingt ans plus tôt dans la fureur et un sourd désir de vengeance (27,41). C’est vers une nuit agitée que Jacob se dirige (14), mais pour l’instant, il poursuit sa route quand surviennent « des messagers de Dieu » ! Cette mention m’a surpris par sa brièveté et d’ailleurs elle semble surprendre également Jacob, car, en les voyant, il s’écrie « C’est un camp de Dieu ! » (32,2)

Il y a ici comme une préface à ce qui va suivre. Mais que peut signifier cet expression « camp de Dieu » ? Serait-ce qu’un Dieu nomade rejoindrait ce camp de bédouins ? Y aurait-il ici un signe annonçant l’identité de cet « homme » mystérieux qui affrontera tout à l’heure Jacob ? Dans tous les cas, je pense qu’elle induit le mystère d’une présence surnaturelle et donne en effet un indice de l’identité de l’agresseur qui va surprendre Jacob.

Ce « campement de Dieu » survenant près de Jacob m’évoque aussi « la tente » que le Verbe qui s’est fait chair est venu dresser parmi nous (Jn 1,14). Et c’est dans la première lettre de Jean qu’E. Parmentier retrouve également cette annonce de son « campement parmi nous » : « La Parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme celle du Fils unique venu du Père. » (1 Jn 1,14)

Ces deux références bibliques font un pont entre l’identité masquée de « l’homme »[1] et cette présence glorieuse du Fils, emplie de grâce et vérité, mais invisible sans les yeux de la foi. E. Parmentier parle de « gloire paradoxale »[2] que les puissants ne seront pas contraints de reconnaître, mais chacun devra affronter la crise auquel le Messie soumet « tous les pouvoirs. »[3] Dans les pages de la Genèse que nous lisons, c’est à Jacob, patriarche en fuite et dans l’angoisse de la mort, de traverser cette crise. Elle ne remet pas forcément un pouvoir temporel en question, mais bien un autre pouvoir dont Jacob a usé et abusé : celui de contrôler par ruse…

4.       Le soleil se levait…

Il se lève sur la fin des nuits de Jacob. Cette mention d’un soleil levant n’est pas fortuite à mon sens. Je vois dans cet astre du jour qui se lève, après cette nuit de lutte, un jour nouveau pour l’avenir de Jacob. Ce soleil qui vient baigner le patriarche de sa lumière bienfaisante, désormais Israël, est d’ailleurs commenté par T. Römer comme un « symbole du renouvellement de la vie ou de l’intervention salutaire de Dieu ».[4]

La lutte qu’il vient de vivre et de remporter, bien que blessé, lui accorde deux signes. L’un, spirituel : un nom nouveau qui fait de Jacob le Père d’un peuple universel. Et un signe visible dans son corps : « Il boitait de la hanche. » (32,32). Le premier pour la descendance à venir et le second comme… un secret gardé entre les deux adversaires ? Une question que m’a soufflé la discrétion accordée à cette blessure : on en reparle quasi plus, excepté dans la mention des prescriptions alimentaires, qui sont d’ailleurs tout aussi discrètes dans les autres livres bibliques.

Pour le moment, ce soleil qui se lève introduit à une étape nouvelle pour un homme affaiblit qui a craint pour sa vie. Un soleil qui continuera de se lever jusqu’à l’accomplissement de ce salut pour toutes les nations, et que célébrera le prêtre Zacharie : « …Il fera briller sur nous une lumière d’en haut, semblable à celle du soleil levant, pour éclairer ceux qui se trouvent dans la nuit et dans l’ombre de la mort, pour diriger nos pas sur le chemin de la paix. » (Lc 1,78-79)




[1] Dans le cours de l’étude, j’ai choisi de présenter ce personnage énigmatique par la traduction de la TOB : « un homme ».
[2] E. Parmentier, Notes de cours – UniGE : Jésus Christ bénisseur et bénédiction de Dieu, 2021.
[3] E. Parmentier, Notes de cours – UniGE : Jésus Christ bénisseur et bénédiction de Dieu, 2021.
[4] Thomas Römer, L’Ancien Testament commentéLa Genèse, Labor et Fides et Bayard, 2016.

vendredi 4 août 2023

Jacob au Yabboq, une bénédiction (2 - une republication de l'été)

Je continue cette série d'articles, inspirés d'un travail de recherche en théologie pratique (lors de ma formation continue) sur le thème de la bénédiction. J'y réfléchis au lien que ce texte de la Genèse - Le passage du Yabboq - et son étonnante bénédiction, peut entretenir avec ma pratique de l'accompagnement spirituel des personnes détenues.

Mais auparavant, je poursuis la présentation de mon projet d'étude, en particulier sur le contexte géographique. Et je vous rappelle la référence du texte que je travaille : Livre de la Genèse, 32, 23-33. Le passage du Yabboq (Traduction Œcuménique de la Bible).

A.    "... et il passa le gué du Yabboq."

Ces quelques mots introduisent la géographie de l’épisode. Comme on peut le voir sur la carte ci-contre, le Yabboq est un affluent qui se trouve sur la rive orientale de la Vallée du Jourdain.

Nous sommes à peu près à mi-chemin entre le lac de Kinnereth et la mer salée. Ainsi, ce passage entre deux eaux, nous offrirait-il une petite note symbolique ? Jacob se situerait-il dans un espace de transition, entre vie et mort, entre une source d’eau vive et une réservoir d’eau morte, entre un lieu qui transmet la vie et un autre qui fait mourir ?

Sur le seuil de ce récit, nous retournons sur le passé de Jacob : en particulier, sa fuite à Harrân, chez son oncle Laban, pour échapper à son frère Esaü. Après avoir acquis par ruse le rang de son frère aîné, puis usurpé son identité pour obtenir la bénédiction de son père, Isaac, il a fallu trouver un refuge pour échapper à des représailles (Gn 27 – 28). Notre épisode se situe lors de l’arrivée de Jacob sur la terre qu’il a quittée vingt ans plus tôt.

Jacob ne nomme pas lui-même ce lieu, comme nous le verrons en d’autres circonstances : il est donné par le rédacteur : le gué du Yabboq. D’après ce que j’ai pu observer sur les cartes, il indique un passage autorisé permettant une entrée aisée sur le territoire pour une caravane aussi importante que celle du clan de Jacob.

Mais il y a également une portée symbolique qu’E. Parmentier signale[1] : « Yabboq représentant à la fois un passage symbolique et territorial, de la terre étrangère à la patrie. » Ainsi le lieu choisi n’est pas un hasard, que ce soit par le sens de « se battre », auquel s’ajoute la signification du nom de Jacob « le talonneur » et son nom nouveau « Dieu se montre fort »[2], c’est tout un programme qui s’ouvre devant nous… Mais alors que Jacob craint les représailles de son frère Esaü, c’est vers un tout autre combat qu’il se dirige !

L’intention première de ce récit me paraît être de donner une profondeur spirituelle et un sens religieux à l’avenir de l’Alliance avec Yahvé : Jacob va devenir Israël, prendre sa part de l’héritage des promesses faites à Abraham. Le « talonneur », dont la force était de saisir par la ruse, va devenir « le lutteur », dont la force sera celle d’avoir été « blessé mais vainqueur »[3]. En revenant sur sa terre, Jacob reviendrait-il sur « les lieux du crime », vers le lieu d’une bénédiction « usurpée » pour en obtenir une « à la loyale. » ? C’est à voir …

Quelques mots sur le contenu de cette étude. Il y a des choix que l’on fait sans penser à ce qu’ils pourraient nous coûter d’efforts… et de lutte ! Celle d’avoir choisi le récit de la lutte de Jacob m’en a coûté passablement ! Ce récit a tant d’intensité et de richesses spirituelles qu’il a été douloureux de n’en choisir que quelques-unes. J’ai voulu présenter tout d’abord le récit et son contexte avant d’aborder deux points en lien avec ma pratique de l’accompagnement spirituel auprès des personnes détenues. La poussière, comme un lieu de notre humanité, puis le nom comme un espace de notre vocation, avant de conclure par ce que peut signifier le vécu de cette expérience spirituelle.

J’aimerais encore remercier ma compagne, Elisabeth, dont le joyeux bon sens m’a souvent tiré d’affaire dans les méandres de mes réflexions touffues, et en particulier, pour ses relectures attentives des différentes versions de mon texte.



Vous accomplirez ainsi la loi du Christ... (La conclusion)

  La conclusion de notre extrait parle d’un envoi des disciples dans le monde soutenu par la consécration du Christ. Ainsi, la consécration ...